Par Rostislav Ichtchenko – le 2 juillet 2015 – Source thesaker.is
Rostislav Ichtchenko, politologue et président du Centre d’analyse systémique et de pronostic, était interviewé par Tatiana Dobrodeeva pour Ruspravda.info sur les perspectives de la contre-offensive par l’armée de Novorussie.
Tatiana Dobrodeeva – Jusqu’où et jusqu’à quand l’armée de la République populaire de Donetsk peut-elle poursuivre sa contre-offensive ?
Rostislav Ichtchenko – Aujourd’hui, la contre-attaque est pour l’essentiel terminée. Compte tenu des territoires déjà occupés par la milice, le plus que celle-ci peut faire est de contrôler ces zones et d’avancer progressivement avec des groupes qui partent en reconnaissance et lancent des attaques à petite échelle.
Ils ont une tâche compliquée : ils ont besoin de contrôler leurs communications, laisser des garnisons dans les villes occupées, continuer à coincer les troupes de la junte et détruire celles qui sont déjà capturées, et en même temps maintenir leur offensive. Mais ils n’ont pas les ressources pour atteindre tous ces objectifs. Selon les estimations les plus optimistes publiées par la milice, ils ont 25 000 à 30 000 hommes – assez pour être victorieux, mais pas assez pour être en mesure de contrôler le territoire.
Par conséquent, en tenant compte de la profondeur de l’offensive, la milice a fait tout ce qu’elle pouvait. Le plus qu’elle peut faire est d’assurer sa victoire dans le sud en prenant Marioupol, qui est déjà encerclée, et de continuer une offensive partielle au nord pour éloigner la ligne de front de Donetsk et Lougansk.
Ainsi le potentiel de cette offensive est limité aux régions de Donetsk et Lougansk. Même ainsi, ils ont besoin de temps pour se regrouper et se réorganiser, même si l’on tient compte du cessez-le-feu récemment signé. Théoriquement, l’offensive peut se poursuivre sans interruption, mais seulement si des protestations contre le gouvernement de Kiev éclatent à Kharkov, Odessa, Zaporojie, Dniepropetrovsk, Kherson et Nikolaïev.
Si ces mouvements de protestation sont assez sérieux et suffisamment soutenus, la milice n’aura qu’à leur tendre la main. Ensuite ils seront en mesure de mobiliser davantage de troupes et d’avancer jusqu’au Dniepr.
Mais si ses forces reposent uniquement sur les ressources des régions de Donetsk et Lougansk, la milice aura besoin d’une pause de deux ou trois semaines pour se regrouper et se réorganiser. La dernière fois que la milice a eu besoin de consolider ses forces, cela lui a pris deux ou trois semaines. Et maintenant, compte tenu du matériel saisi et de la défaite de l’armée de Kiev, ils auront besoin de cette pause pour augmenter leur nombre et poursuivre leur avance.
Ensuite, évidemment, après que Kharkov, Odessa et Zaporojie auront été prises, la milice aura de nouvelles ressources à mobiliser, et alors Kiev n’aura plus aucune chance. Franchement, même maintenant, ils n’ont aucune chance. Ensuite, ils n’en auront aucune, même théoriquement, et la milice pourrait facilement avancer jusqu’à Lvov. Mais, à partir d’aujourd’hui, nous devons nous attendre à ce que la milice prenne du temps pour se regrouper, de manière à augmenter ses forces puis de lancer la prochaine offensive entre la fin de septembre et la mi-octobre.
– Pendant cette pause, la junte peut-elle reprendre son offensive contre les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk?
– Ils ne seront pas en mesure de reprendre leur offensive parce qu’ils ont déjà perdu une part significative de leurs troupes vraiment motivées. Leurs efforts de mobilisation ont échoué parce que personne ne veut plus faire la guerre. Tout le monde veut gagner, mais personne ne veut combattre. En plus, en termes de force technique, les camps sont maintenant à peu près à égalité. Avant, la junte avait une supériorité significative en termes de chars blindés, d’aviation et d’artillerie, mais maintenant la proportion pour l’artillerie est de 1 : 1 et de 1 : 2 pour les chars blindés. Les avions militaires ne volent plus parce qu’ils ont été tout simplement abattus.
Maintenant, les deux camps sont à égalité, mais les miliciens sont beaucoup plus motivés. Par conséquent, si la milice avait eu suffisamment de ressources pour contrôler les territoires occupés, ils auraient pu avancer jusqu’à Lvov et il n’aurait pas été possible de les arrêter. La junte n’est pas en position de lancer une nouvelle offensive ; ils n’en ont tout simplement pas la force.
Au mieux, ils pourraient essayer de rassembler toutes leurs unités pour créer une véritable ligne de front le long du Dniepr et de la Desna, et essayer de se défendre. C’est le plus qu’ils peuvent faire : essayer de faire couler le plus de sang de miliciens possible et ensuite parvenir à une entente quelconque sur les territoires.
Mais en termes de politique intérieure, vu que la junte déverse toutes ses ressources dans «la lutte pour l’intégrité territoriale de l’Ukraine», toute personne qui négocie un accord reconnaissant qu’au moins deux régions ne feront plus partie de l’Ukraine est morte politiquement.
La junte n’a donc pas d’autre choix que de lutter pour une victoire finale – sauf que la victoire finale n’appartiendra pas à la junte mais à la milice.
– Quelle est la probabilité que la junte survive dans sa forme actuelle, étant données les protestations massives contre elle à Kiev?
– Il n’y a aucune chance parce que pour préserver la junte, il faudrait l’avoir soutenue. Mais personne ne veut le faire. Les États-Unis et tous ses autres soutiens veulent que la junte disparaisse. La seule chose qui les préoccupe est comment ils vont tirer les marrons du feu sans se brûler. Donc la question maintenant n’est pas de préserver le régime de Kiev, mais comment l’abandonner de manière telle que ses souteneurs s’en sortent sur un match nul.
– A votre avis, quelle est la probabilité d’un troisième Maïdan ? Et s’il y en a un, qui seront ses parrains ?
– Un troisième Maïdan serait totalement différent. Le premier Maïdan était un véritable mouvement de masse, auquel des dizaines de milliers de gens ont participé. Le second Maïdan a rassemblé au total environ 10 000 personnes, dont la moitié étaient des militants nazis et l’autre moitié des marginaux. Un troisième Maïdan consisterait uniquement en hommes armés qui tueront Porochenko et installeront un véritable Hitler à sa place, parce que Porochenko n’en est pas un et que les nazis ont besoin du véritable original. Ce ne sera pas un Maïdan ; ce sera le prochain coup d’État.
– Est-ce que la situation géopolitique autour de l’Ukraine a changé ?
– La situation n’a pas changé. Quoi qu’on dise, en réalité la crise ukrainienne fait partie d’une crise mondiale – la confrontation globale entre les États-Unis et la Russie. La Russie est déjà devenue la seconde superpuissance, et les États-Unis essaient de revenir à une époque où ils étaient la seule superpuissance – d’où l’Afghanistan, la Géorgie, la Syrie, et maintenant l’Ukraine. Donc ce qui se passe en Ukraine est une confrontation entre les États-Unis et la Russie. Tous les autres ne sont que des conflits mineurs.
Traduit du russe en anglais par Robin.
Traduit de l’anglais par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone