Trompeuse euphorie : les US changent-ils vraiment de politique envers Cuba ?


Par Nil Nikandrov – Le  26 juillet 2015 – Source strategic-culture

Le président américain Obama a dû admettre en décembre dernier que la politique des États-Unis à Cuba avait échoué. Il a fallu à Washington une cinquantaine d’années pour comprendre un fait fondamental : les sanctions, l’embargo économique et commercial, ainsi que les tentatives pour isoler la petite île étaient condamnés dès le départ.

La révolution cubaine a résisté aux défis de protéger l’indépendance et la souveraineté de son peuple. La direction nationale a défini la mission stratégique à accomplir sur la voie de la modernisation. Les frères Castro – Fidel et Raul – ont été à l’origine des réformes laissant loin derrière les vieux dogmes idéologiques.

Le ministère russe des Affaires étrangères a salué le rétablissement des relations diplomatiques. Il déclare : «Nous considérons la décision de rétablir les relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, et d’ouvrir des ambassades dans les capitales des deux pays, comme un acte de justice historique. Cette mesure est attendue depuis longtemps et reflète les réalités internationales changeantes qui sont de mieux en mieux comprises dans le monde, incluant, nous l’espérons, Washington.

Nous croyons que les accords conclus vont créer un contexte favorable pour accélérer la résolution des nombreux problèmes qui se sont accumulés autour de Cuba depuis un demi-siècle ; principalement, la levée totale du blocus et le retour à Cuba de la base militaire de Guantánamo faciliteront le développement de la coopération régionale. Nous soutenons la normalisation des relations américano-cubaines. Nous croyons que la Russie et Cuba ont toutes les opportunités d’élargir leur coopération bilatérale sur toute une gamme de questions d’intérêt mutuel, conformément à nos priorités de politique étrangère, forgées de longue date dans un esprit de partenariat stratégique.»

Cuba se vante de son influence internationale. Elle développe des relations bilatérales avec la Chine, la Russie, le Brésil, le Venezuela, l’Argentine et des États européens de premier plan. Les investissements dans l’économie sont de plus en plus importants, les prévisions de développement économique sont optimistes. Certains disent que Cuba est passée à travers la tempête malgré l’embargo et d’autres mesures punitives. Maintenant, le pays peut se débrouiller sans les États-Unis. Washington ne voit pas le problème cubain comme une question de relations bilatérales. L’Amérique Latine s’oppose à toute tentative de la part des États-Unis d’empiéter sur l’indépendance cubaine. Un analyste a dit ironiquement que les États-Unis tentent d’en finir avec l’indépendance de Cuba pour la transformer en allié comme le Guatemala ou le Honduras.

Maintes fois, le président Obama a été poussé par ses homologues d’Amérique latine à normaliser ses relations avec Cuba. En l’absence d’une normalisation rapide, les présidents du Venezuela, de Bolivie, d’Équateur, du Nicaragua et d’autres pays latino-américains ont averti qu’ils boycotteraient les sommets avec les États-Unis. La confrontation des États-Unis avec Cuba a été un problème pour de nombreux pays du continent. La haine impériale punitive de la part des États-Unis ne sert pas leurs intérêts. Cuba a été un exemple de l’impérialisme US en action, sapant la confiance envers les États-Unis en Amérique latine.

Maintenant, les États-Unis démontrent leur volonté de dialogue. Les images de diplomates américains et cubains échangeant des poignées de main sont apparues sur les écrans de télévision. Il y a plusieurs raisons de changer la politique américaine envers Cuba. L’administration US a annoncé le changement de politique en faisant des remarques conciliantes. Les consultations entamées par Obama ont duré un an et demi. Certains pays d’Amérique latine ont vu ce changement de politique comme une tentative de miner Cuba de l’intérieur. Jusqu’au  19 juillet 2015, les intérêts américains à Cuba étaient représentés par la Section des intérêts de l’Ambassade de Suisse à La Havane ou USINT Havane (l’adresse télégraphique du Département d’État des États-Unis).

Les agences de sécurité cubaines ont dit à plusieurs reprises qu’elles ont été impliquées dans une guerre secrète menée par les États-Unis contre le gouvernement de l’île. Maintenant que ceux-ci ont ouvert une ambassade (dans le bâtiment de l’ancienne mission) à La Havane, ils ont une base légale pour mener des activités subversives avec leurs services spéciaux. A part le fait de l’ouverture de l’ambassade, il n’y a aucun progrès, ni actuel, ni envisagé à court terme dans la relation bilatérale. La politique d’immigration des États-Unis peut provoquer des conflits. Les médias rapportent qu’il y a des plans pour «rapatrier les immigrants illégaux» de Cuba. L’annulation de l’embargo commercial n’est pas en vue pour l’instant, les entreprises américaines font face à des restrictions portant sur Cuba, les sociétés de pays tiers sont interdites d’exporter vers les États-Unis des produits «made in Cuba» ou de vendre des marchandises contenant des composants produits à Cuba.

Il n’y a pas de plans pour remédier à la politique financière de répression des États-Unis envers Cuba. Le retour de l’installation militaire de Guantánamo à Cuba ne fait pas partie de l’ordre du jour. Les analystes occidentaux disent qu’aucun investissement américain dans l’économie cubaine n’aura lieu tant que les frères Castro contrôlent le pays. Les États-Unis ont adopté de nombreuses mesures punitives contre l’économie cubaine. Il faut du temps pour les faire disparaître. Il existe, au Congrès, beaucoup d’opposants farouches à Cuba qui s’opposent au  rapprochement. Obama a dit à plusieurs reprises que le rétablissement des liens économiques ne sera pas une promenade facile. Il aura besoin de temps et d’efforts.

Cuba n’a pas l’intention de changer les principes fondamentaux de sa politique. En mars, Raul Castro soutenait le gouvernement du Venezuela après qu’Obama a publié un décret déclarant l’urgence nationale par rapport à la menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis posée par la situation au Venezuela. L’explication était risible. Raul Castro a déclaré que Cuba était catégorique dans l’expression de sa solidarité avec la révolution bolivarienne, avec le président Nicolas Maduro et l’union civile-militaire. «La position de notre pays est invariable. Je réitère la forte solidarité de la révolution cubaine avec la révolution bolivarienne, avec le président Nicolas Maduro et l’union civile-militaire qu’elle mène. Je réitère la fidélité absolue à la mémoire de Hugo Chavez, le meilleur ami de la révolution cubaine », a-t-il dit.

Raul Castro a souligné que la direction cubaine avait une vision réaliste de la politique de Washington. «Les faits montrent que l’histoire ne peut pas être ignorée. La relation des États-Unis avec l’Amérique latine et les Caraïbes a été marquée par la doctrine Monroe et le principe de l’exercice de la domination et de l’hégémonie sur nos nations», a ajouté Castro. La Russie se félicite du rétablissement des liens américano-cubains. Elle estime qu’elle a la possibilité de donner une impulsion aux relations bilatérales avec Cuba et de progresser dans le cadre du partenariat stratégique. La Havane est intéressée par une coopération globale avec la Russie. Ces pays se sont toujours soutenus sur la scène internationale.

Un nuage diplomatique a été jeté sur l’Union européenne (UE) et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), lors du sommet de juin 2015 à Bruxelles, où Cuba a déclaré qu’elle était opposée aux sanctions imposées à la Russie à propos de l’Ukraine. Le deuxième jour de la réunion de haut niveau UE-CELAC, le premier vice-président du Conseil d’État de Cuba, Miguel Diaz Canel-Bermudez, a déclaré : «Nous affirmons une nouvelle fois notre rejet des sanctions contre ce pays.» Il a rappelé que les États-Unis continuent d’imposer un blocus économique à Cuba.

La Russie et Cuba travaillent sur des projets conjoints à long terme dans l’énergie, l’aviation civile et d’autres domaines. Voilà ce que dit le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov dans ses remarques consacrées à la récente réunion avec son homologue cubain Bruno Rodrigues et Raul Castro, président du Conseil d’État : «On peut s’attendre à ce que Cuba fasse de son mieux pour empêcher toute ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures du pays. Le gouvernement cubain a une riche expérience de la lutte contre la cinquième colonne créée par les US, des réseaux d’organisations non gouvernementales et des technologies innovantes utilisées de nos jours dans les opérations de Regime Change.» Les États-Unis cesseront-ils leurs activités subversives? Sûrement pas, ils vont très certainement utiliser des méthodes éprouvées, adaptées aux nouvelles missions et à leurs opportunités.

Durant ce mois d’août, une convention pour unifier l’opposition cubaine est prévue à Puerto Rico. Elle réunira des dissidents résidant à Cuba et dans d’autres pays. L’ordre du jour est la nécessité de se préparer à une période de transition dans le but de créer à Cuba un régime libre et démocratique. Guillermo Toledo, coordonnateur cubain principal, dit que la convention se concentrera sur l’élaboration d’une stratégie commune concernant un pays nouveau à Cuba.

Selon lui, les Cubains doivent résoudre leurs problèmes de manière indépendante du dialogue entre les États-Unis et le gouvernement cubain pour faire respecter les droits de l’homme et construire un nouveau pays. Il a également déclaré que l’opposition qu’il mène ne va pas contre l’accord. En tant que force politique pacifique, elle doit utiliser les possibilités d’ouverture pour accéder à la liberté et à la démocratie. L’utilisation du terme opposition pacifique montre que Toledo prend  ses distances avec les groupes d’opposition opérant à Miami, qui se battent pour une revanche historique dans le but de vaincre la révolution cubaine. La convention coïncide avec la visite prévue du secrétaire d’État américain John Kerry à La Havane.

Nil Nikandrov

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

 

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