Est-ce-que Amnesty International a perdu la tête ? [2/6]


Une analyse médico-légale des rapports d’Amnesty International sur l’opération israélienne Protective Edge à Gaza en 2014


Par Norman G.Finkelstein – Le 9 juillet 2015 – Source byline.com

Première Partie

 

Le sinistre arsenal

Pour justifier sa violence incontrôlée dans la bande de Gaza, Israël se focalise invariablement sur l’arsenal de roquettes que le Hamas aurait stocké. Amnesty se fait l’écho de cette histoire.

Ainsi, le lecteur apprend dans le rapport d’Amnesty Unlawful and Deadly que, dès 2001, le Hamas avait empilé des roquettes à courte portée illicites et mortelles ; qu’il a ensuite «développé des roquettes Qassam de plus longue portée» ; que «plus récemment, les groupes armés à Gaza ont produit, mis à niveau, ou importé en contrebande des milliers de roquettes Grad BM-21 de différents types, avec des portées variant de 20 km à 48 km, et acquis ou produit un plus petit nombre de fusées de moyenne et longue portée , y compris le Fajr 5 iranien et le M-75 produit localement (tous deux avec une portée de 75 km), ainsi que les roquettes J-80 d’une portée de 80 km, également produites localement» ; et que «lors de l’opération Protective Edge, les Brigades al-Qassam ont affirmé avoir tiré des roquettes R-160, une version produite localement de la M-302, également avec une portée de 160 km.» [1] «La majorité des 8,3 millions d’Israéliens , et tous les 2,8 millions de Palestiniens de la Cisjordanie occupée, conclut sinistrement Amnesty, sont maintenant à portée d’au moins une partie des roquettes détenues par des groupes armés palestiniens dans la bande de Gaza… Le cercle de la peur s’est élargi.» Mais quelle a été la menace réellement posée à Israël par l’arsenal de roquettes du Hamas? (Par  charité, on ignorera l’inclusion bizarre, par Amnesty, des Palestiniens de Cisjordanie dans le «cercle de la peur»).

Le Hamas aurait tiré 5 000 roquettes et 2 000 obus de mortier sur Israël pendant OPE. [2] L’écart entre les milliers d’armes du Hamas déchaînées sur Israël et le peu de morts et de destruction qu’elles ont infligées est généralement porté au crédit d’Iron Dome [Dôme de Fer], le merveilleux système de défense anti-missile d’Israël. Amnesty rapporte ainsi que «le système de défense antimissile Iron Dome d’Israël a permis de limiter les pertes civiles dans de nombreux domaines», et a été utilisé «pour protéger les zones civiles des projectiles lancés depuis la bande de Gaza». Mais cette explication ne convainc guère. Israël prétend que Iron Dome a intercepté 740 roquettes ; le Département de la sûreté et de la sécurité (cité par Amnesty) estime le nombre à 240. Étrangement, Amnesty omet les conclusions accablantes de l’une des principales autorités mondiales en matière de défense anti-missile, Theodore Postol, du MIT [3]. Postol a déjà démystifié les revendications magnifiant le système de défense anti-missile Patriot au cours de la première guerre du Golfe en 1991 [4]. Il a conclu que Iron Dome a intercepté avec succès 5% des roquettes du Hamas soit, sur la base des données brutes d’Israël, le nombre décevant de 40 d’entre elles [5]. En général, Iron Dome a servi comme un accessoire polyvalent dans diverses campagnes israéliennes de hasbara [propagande]. Après l’opération Pillar of Defense [Pilier de la Défense] en 2012, Israël a vanté le succès de son système de défense anti-missile pour compenser les maigres résultats de l’assaut [6]. Mais Israël a minimisé l’efficacité de Iron Dome dans son rapport officiel post mortem sur l’OPE, The 2014 Gaza Conflict, 7 July-26 August 2014, comme il a gonflé la vulnérabilité de son front intérieur, afin de justifier les morts et les destructions qu’il a provoquées pendant l’opération. Ce rapport, qui a été publié en 2015 pour anticiper les conclusions critiques de l’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et qui n’est rien de plus que du rabâchage, consacre seulement deux de ses 460 paragraphes à Iron Dome, tandis que l’accent est mis non pas sur la brillante performance de Iron Dome mais sur son aspect vulnérable, incapable d’empêcher un «préjudice important à la vie et aux biens des civils». [7]

Même avec le calcul officiel israélien de 740 interceptions, il reste encore une question. Comment se fait-il que les milliers de projectiles du Hamas non interceptés par Iron Dome aient infligé si peu de dommages? En effet, avant même qu’Israël n’ait déployé Iron Dome, une première fois, lors de l’opération Pillar of Defense, les projectiles du Hamas étaient à peine enregistrés. Alors que le Hamas a tiré 13 000 roquettes et obus de mortier sur Israël entre 2001 et 2012, un total de 23 civils israéliens a été tué, ou un civil tué pour 500 projectiles tirés. [8] Au cours de l’opération Plomb Durci [2008-2009], l’affrontement le plus violent d’Israël avec Gaza avant l’OPE et avant Iron Dome, le Hamas a tiré 900 projectiles [9] tuant seulement trois civils. En outre, au cours de l’OPE, 2 800 projectiles du Hamas, soit 40% du total, sont tombés dans les régions frontalières d’Israël [10] où Iron Dome n’était pas déployé, et seulement un civil israélien a été tué par une roquette [11]. La plupart des Israéliens dans les zones frontalières n’ont pas fui et «sont restés dans leurs communautés d’origine» au cours de l’OPE [12].

Postol attribue le peu de victimes civiles israéliennes pendant l’OPE principalement (mais pas exclusivement) au système d’alerte précoce et aux abris d’Israël, [13] qui a été considérablement amélioré au cours des dernières années [14]. Mais cela ne peut toujours pas expliquer entièrement le petit nombre de victimes civiles qu’il y avait avant ces améliorations de la défense civile et, encore plus révélateur, il ne peut pas expliquer les dommages matériels minimes. Pendant l’OPE, le site web d’un ministre israélien des Affaires étrangères a enregistré la chronique, sur une base quotidienne, des dommages matériels causés par les roquettes du Hamas [15]. Le tableau suivant résume ses données.

Dommages matériels israéliens dus aux attaques à la roquette du Hamas

Date Description
JUL 7
8 dommage sur une propriété
9 immeuble touché à côté du jardin d’enfant
10
11 une maison complètement détruite, deux autres endommagées
12  …
13 une roquette frappe l’usine israélienne de production d’électricité qui alimente Gaza
14  …
15 dommages significatifs aux voitures et aux propriétés; une école pour enfants handicapés est frappée
16 maison endommagée
17 immeuble endommagé
18 jardin d’enfant et synagogue endommagés
19 gros dommages dans une zone résidentielle
20  …
21 maison touchée, immeuble endommagé
22 maison endommagée
23  …
24  …
25  …
26  …
27 deux maisons touchées
28
29  …
30  …
31  …
AUG 1  …
2  …
3 cour d’école touchée
4  …
5 maison touchée
6  …
7  …
8 maison touchée
9  …
10  …
11  …
12  …
13  …
14  …
15  …
16
17  …
18  …
19 centre commercial touché
20  …
21 immeuble touché
22 maison et synagogue touchés
23  …
24  …
25
26 maison et terrain de jeu touchés

Le rapport Unlawful and Deadly signale que «des dizaines de roquettes et d’obus de mortier dans les zones bâties ont endommagé des biens civils, y compris des maisons d’habitation, des infrastructures, des bâtiments publics et des établissements d’enseignement», tandis que The 2014 Gaza Conflict allègue que «plusieurs communautés résidentielles, à la frontière avec le Bande de Gaza … ont été touchées par les tirs de roquettes et de mortier» [16]. Pourtant, n’est-ce pas aussi une chose remarquable et digne d’émerveillement que, même en admettant qu’un certain pourcentage atterrit dans des zones vides, les milliers et des milliers de roquettes du Hamas aient infligé des dommages négligeables? Comment se pourrait-il qu’une seule maison israélienne ait été détruite et 11 autres frappées ou endommagées par un tel méga-barrage de roquettes? [17] La réponse la ​​plus évidente et la plus plausible est que la plupart de ces prétendues roquettes n’étaient que des feux d’artifice renforcés. Amnesty évoque le scénario cauchemardesques de roquettes à longue distance du Hamas. Mais les roquettes à longue distance du Hamas utilisées lors de l’opération Pillar of Defense ne disposaient pas de charges explosives ; un responsable israélien les a dénigrées les qualifiant de simples tuyaux [18]. Il est peu probable que le Hamas ait considérablement amélioré sa technologie de fusée en l’espace de seulement 20 mois séparant Pillar of Defense de l’OPE, et il est peu probable que la contrebande ait pu fournir un nombre substantiel de fusées sophistiqués huit mois après Pillar of Defense. En juillet 2013 a eu lieu le coup d’État en Egypte, et l’un des premiers actes du leader du coup d’État a été de combler presque tous les tunnels entre le nord du Sinaï et Gaza, qui étaient la route de contrebande principale. En adoptant le récit d’Israël sur l’arsenal meurtrier de roquettes du Hamas, et même si les projectiles ont provoqué la crainte parmi la population civile israélienne, Amnesty s’est fait, sciemment ou non, un relais de la propagande de l’État.

Norman Finkelstein

À suivre…

[1] Bien qu’Amnesty ne fournisse pas une base pour ces données, il le tire presque certainement de sources officielles israéliennes. Il est difficile de dire quelle valeur on doit attacher à ces sources. The 2014 Gaza Conflict allègue que, à la veille de l’opération Pillar of Defense (2012), le Hamas «avait stocké plus de 7 000 roquettes et mortiers», tandis que la veille de l’OPE, il «avait acquis 10.000 roquettes et mortiers» (p. 51, 54 ). Il fournit également une ventilation précise de ces roquettes (6 700 roquettes d’une portée de 20 km, 2 300 roquettes d’une portée de 40 km…). C’est une énigme de savoir comment Israël est venu à ces chiffres et pourquoi, les connaissant, il n’a pas préempté militairement l’utilisation par le Hamas de ces projectiles s’il savait combien le Hamas en avait empilés, il doit sûrement aussi savoir où ils étaient stockés. Le rapport israélien indique également que le Hamas «a investi massivement dans le réarmement après l’opération de Gaza 2008-2009 et les engagements de Gaza 2012, qui ont rétréci substantiellement son stocks d’armes» (p. 61, n186). Mais si le Hamas avait accumulé 7 000 projectiles juste avant Pillar of Defense, et en a tiré 1 500 au cours de cette opération (§ 51), son arsenal aurait été appauvri de seulement 20%. La conclusion raisonnable est qu’Israël invente ces chiffres à partir de rien.
[2] Le Département de la sûreté et de la sécurité (UNDSS) des Nations Unies, cité dans l’addendum au rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (A / HRC / 28/80 / Add.1, le 26 Décembre 2014, p. 8. conflit de Gaza 2014) rapporte que le Hamas a tiré 4 000 roquettes et obus de mortier sur Israël et un montant supplémentaire de 500 projectiles qui ont atterri à l’intérieur de la bande de Gaza (par. 103, 112).
[3] Theodore Postol, «La preuve qui montre que Iron Dome ne fonctionne pas», Bulletin of the Atomic Scientists (19 Juillet 2014; http://thebulletin.org/evidence-shows-iron-dome-not-working7318); Iron Dome or Iron Sieve ?, Democracy Now ! (31 Juillet 2014; http://www.democracynow.org/2014/7/31/iron_dome_or_iron_sieve_evidence, http://www.democracynow.org/blog/2014/7/31/part_two_theodore_postol_asks_is).
[4] Theodore A. Postol, Lessons of the Gulf War Patriot Experience, International Security (Winter 1991/92).
[5] Israël a prétendu que 90% (740) des roquettes du Hamas entrant dans les zones peuplées où Iron Dome a été déployé ont été interceptées, ce qui mettrait le nombre total de roquettes entrant dans ces domaines à 820. Yoav Zitun, Iron Dome: IDF intercepted 90 percent of rockets, Ynetnews.com(15 August 2014; http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4558517,00.html).
[6] Finkelstein, Méthode and Madness, pp. 128-29.
[7] The 2014 Gaza Conflict, paras. 189-90 (cf paras. 4, 113, 190).
[8] Sur la base de The 2014 Gaza Conflict, qui rapporte que le Hamas a tiré 13 000 projectiles sur Israël entre 2001 et le début de Pilier de la défense (par. 44, 51, p. 58n174). B’Tselem (Centre d’information israélien pour les droits de l’homme dans les territoires occupés), les attaques contre des civils israéliens par des Palestiniens (http://www.btselem.org/topic/israeli_civilians).
[9] 2014 Gaza Conflict, p. 58n174.
[10] Ibid., Par. 114, p. 122n361. Ce rapport indique que «plus de 60%» des projectiles du Hamas a atterri dans les zones frontalières, mais il met le nombre total de projectiles du Hamas tiré au cours de OPE à 4 000, tandis que le chiffre UNDSS, utilisé dans cette monographie, indique un total à de 7 000.
[11] Les cinq autres morts civils en Israël sont dus à des obus de mortier (ibid., Pp. 112-13nn328-32).
[12] Ibid., Par. 210.
[13] Certains éléments de preuve circonstancielle accréditent la thèse de Postol. Bien que les tirs de roquettes du Hamas ont tué seulement un civil dans deux des régions frontalières israéliennes sans Iron Dome, des obus de mortier en ont tué quatre autres. Le résultat différentiel est peut-être dû au fait que le système d’avertissement d’Israël fournit un délai à ceux qui cherchent un abri de 15 secondes dans le cas d’une fusée, mais seulement 3-5 secondes dans le cas d’une attaque au mortier. Postol mentionne également la taille modeste des ogives de fusée du Hamas comme un facteur.
[14] 2014 Gaza Conflict, para. 183, p. 111n327; Itay Hod, The Israeli App Red Alert Saves Lives, Daily Beast (14 July 2014).
[15] http://mfa.gov.il/MFA/ForeignPolicy/Terrorism/Pages/Israel-under-fire-July-2014-A-Diary.aspx.
[16] 2014 Gaza Conflict, p. 65 (légende).
[17] C’était pareil dans le passé. Seule une maison israélienne a été «presque entièrement détruite» pendant Plomb Durci, et les dommages matériels étaient également négligeables. Norman G. Finkelstein, This Time We Went Too Far: Truth and consequences of the Gaza invasion, revised and expanded paperback edition (New York: 2011) p. 63; Human Rights Watch, Indiscriminate Fire: Palestinian rocket attacks on Israel and Israeli artillery shelling in the Gaza Strip (June 2007), pp. 24-28.
[18] Dan Williams, Some Gaza Rockets Stripped of Explosives to Fly Further, Reuters (18 November 2012).

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