Réveil brutal : Les perspectives d’intégration de l’Ukraine à l’UE disparaissent de l’horizon


Par Dmitry Minin – Le 2 avril 2015 – Source Strategic-culture

La révolution du Maïdan a impliqué une participation populaire dans le processus du changement de pouvoir. L’intégration à l’Union européenne était promue comme un de ses principaux objectifs. L’accord d’association était une étape sur cette voie. Il avait été signé le 21 mars 2014. Une année a passé, mais il n’y a pas de résultat concret. Les perspectives d’intégration sont même devenues plus sombres qu’elles ne l’étaient alors.

En 2014, les matières premières ukrainiennes sont parties librement sur les marchés européens, conformément aux préférences commerciales autonomes prévues par l’accord d’association. Les exportations ont augmenté de 10% à 12% pendant les dix premiers mois de l’année, principalement grâce à la production agricole. Une croissance de 15% était attendue, mais elle a reculé vers la fin de l’année. L’effet de l’annulation des taxes à l’exportation était terminé. L’Ukraine avait trop peu à offrir et l’économie était dans un état déplorable. Selon l’Office des statistiques d’État de l’Ukraine, le volume des exportations du pays vers l’Union européenne a augmenté seulement de 2,6%. Il a chuté d’environ 22% au quatrième trimestre de 2014.

Les dernières données montrent qu’en janvier 2015 les exportations ukrainiennes vers l’Union européenne ont baissé de 31% par rapport à janvier 2014. Depuis que les préférences commerciales autonomes (environ 1 milliard de dollars) sont entrées en vigueur, les exportations ukrainiennes vers l’Union européenne ont été égales aux deux tiers de ce qu’elles étaient lorsque Nikolay Azarov était à la tête du gouvernement ukrainien. L’ancien Premier ministre avait préconisé des approches discrètes pour le développement de relations avec l’Union européenne. Les statistiques montrent que la plus grande partie des revenus sous la forme de droits à l’exportation (70%) se font sur les métaux ferreux. Peut-être est-ce arrivé grâce à l’exportation de matériel militaire rendu inutilisable lorsque les combats se poursuivaient dans le Donbass. Mais cela ne peut pas durer éternellement. La croissance des exportations ne peut pas être plus longtemps stimulée par la dévaluation de la hryvnia. Les experts ne s’attendent pas à ce que les exportations de l’Ukraine s’envolent, même si la situation sur les marchés mondiaux s’améliore tandis que les préférences commerciales sont toujours en vigueur. Anna Derevyanko, directrice exécutive de l’Association européenne des entreprises, a dit que la croissance des exportations requiert une politique économique stable et prévisible, qui n’existe pas actuellement.

L’annulation des droits à l’exportation de l’Union européenne ne représente pas grand chose en raison des faibles quotas. Kiev préfère taire ce fait. Par exemple, les quotas sont fixés à 5% pour l’exportation de céréales. Cela fait de l’Afrique et de l’Asie les consommateurs principaux. L’association avec l’UE ne modifie pas la situation. Les métaux et les engrais – les deux exportations principales – restent considérablement limités. Vers la fin de l’année, il est devenu évident que la plus grande partie des quotas n’était pas épuisée. La plupart des marchandises n’avaient pas été exportées du tout. Les quotas étaient pleinement utilisés par les exportateurs qui avaient vendu leurs produits à l’Union européenne avant. La raison principale, ce sont les barrières non tarifaires comme, par exemple, les normes sanitaires, vétérinaires et techniques. Il faut plusieurs années pour démarrer une production à partir de zéro et l’amener au niveau des biens manufacturés répondant aux normes européennes et l’exporter. Cet effort requiert un capital de départ, mais il est difficile d’attirer des investissements pour la production industrielle en Ukraine. Les Européens sont uniquement intéressés aux minéraux et aux produits semi-finis; les produits à forte valeur ajoutée ne sont pas demandés en Europe, donc l’Ukraine reste un fournisseur de matières premières. La zone de libre-échange renforcée et globale [Deep and comprehensive free trade area – DCFTA], une partie de l’accord d’association avec l’Union européenne, entrera en vigueur en janvier 2016 et assurera à l’Ukraine une protection tarifaire plus faible ou l’éliminera même pour certaines marchandises. Kiev n’a pas utilisé à son avantage la période où l’Union européenne a réduit sa protection tarifaire de biens ukrainiens tandis que l’Ukraine maintenait son marché protégé par des tarifs. L’annulation des droits d’importation infligera de grands dommages au budget de l’Ukraine. Les pertes ne peuvent pas être compensées par l’augmentation du volume des exportations. De nombreux fabricants ukrainiens feront faillite.

Le rêve de ceux qui prônent l’idée d’une intégration à l’Europe promettant de grands flux d’investissements est brisé. Selon Eurostat, les membres de l’UE en Europe de l’Est ont maintenu leurs exportations et leurs marchés traditionnels sans stimulation de la production technologique de pointe. Jusqu’à présent, seul George Soros a annoncé ses projets d’investir un milliard de dollars dans l’économie ukrainienne. Mais il a la réputation d’être un profiteur qui fait sa fortune grâce à la spéculation sur les taux de change. On dirait que M. Soros va utiliser l’Ukraine pour ses bénéfices personnels. Kiev a caressé l’espoir d’un Plan Marshall qui déverserait des milliards de dollars dans son économie. Peu nombreux sont ceux, à l’Ouest, qui se rallient à de telles idées. En général, des gens qui s’y connaissent un minimum en politique réelle, comme, par exemple, Anders Åslund, économiste suédois et maître de recherches à l’Institut Peterson d’économie internationale. Åslund a été conseiller économique pour les gouvernements du Kirghizstan, de la Russie et de l’Ukraine. Selon lui, si le capital nécessaire est alloué sous forme de crédits, l’Ukraine ne sera pas viable financièrement. En fait, il suggère que l’argent soit purement et simplement donné. Les dirigeants européens n’envisagent même pas une telle possibilité. Au mieux, ils peuvent offrir des montants limités sous forme de crédits, associés à des conditions assez sévères.

Kiev attendait de l’Union européenne qu’elle lui accorde 2,8 milliards d’euros sous forme d’aide destinée à réformer l’économie. Mais le Parlement européen n’a voté que 1,8 milliard d’euros. Ce n’est pas exactement une aide, mais plutôt des prêts supplémentaires reçus par l’UE pour être ensuite accordés à l’Ukraine de manière à ce qu’elle puisse rembourser ses obligations à court terme. Personne ne veut prêter directement à l’Ukraine sans garanties offertes par des intermédiaires. L’argent ne sera pas dépensé pour le développement et les réformes, mais plutôt pour rembourser des dettes à l’Europe ou, autrement dit, pour augmenter le poids de la dette sur le pays.

Les espoirs de voyager librement en Europe sont déçus. Il y a quelque temps, des passeports biométriques étaient délivrés pour permettre la libre circulation dans les pays de l’Espace Schengen. Puis cela été tranquillement revu à la baisse parce que les Européens voulaient encore des visas et il n’y a aucune perspective pour un système sans visa dans un avenir prévisible. Le chef de la délégation de l’UE, l’ambassadeur Jan Tombinski, a dit en mai 2014, lors du sommet du Partenariat oriental à Riga, qu’il n’y aurait pas de régime sans visa pour l’Ukraine.

Bruxelles ignore la demande d’envoi des casques bleus européens en Ukraine – l’idée que promeut si fortement Kiev. L’UE l’a écartée tout en ne donnant son accord que pour le renforcement de la mission de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Le représentant pour l’UE de la Commission responsable des relations extérieures et de la politique européenne de voisinage et des négociations élargies, Johannes Hahn, a dit que les pays de l’UE projetaient de renforcer la mission de l’OSCE en Ukraine, pas d’y envoyer des casques bleus. Selon lui, «nous ne discutons pas de la mission de maintien de la paix, mais du renforcement de la mission de l’OSCE. C’est la raison de la présence à cette séance du secrétaire général de l’OSCE. L’UE fournit beaucoup de soutien supplémentaire, y compris du personnel et de l’équipement

Jusqu’à maintenant, l’Union européenne n’a pas critiqué directement l’Ukraine. Elle a continué sa politique de tentative de pressions sur la Russie. Mais dans le cas du régime ukrainien, elle réalise clairement avec qui elle doit traiter. L’Union européenne n’a pas de projets d’intégrer l’Ukraine tant que l’actuel gouvernement reste au pouvoir. Tout en soutenant l’Ukraine en paroles, l’Union européenne ne prend pas de mesures sérieuses dans le sens d’un développement de relations plus étroites.

Les préparatifs sont en cours pour le sommet UE-Ukraine fixé au 27 avril. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, et Federica Mogherini, la Haut-Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, étaient attendus à Kiev le 30 mars pour mettre au point tous les détails de l’ordre du jour de la rencontre. Juncker a refusé de s’y rendre pour des raisons de santé. Il a été suivi par Mogherini, qui n’a pas donné de raisons à son absence. Ce sont des gestes diplomatiques qui indiquent qu’aucune percée n’est attendue. Il est intéressant de deviner comment Kiev expliquera à la chancelière allemande Angela Merkel et au président français qu’il n’a rien fait pour appliquer les accords de Minsk et pourquoi les lois adoptées par la Verkhovna Rada (le parlement ukrainien) ont mutilé la substance de ce qui avait été convenu.

Ce ne sera pas un événement historique dans les relations entre l’UE et l’Ukraine. Par exemple, Federica Mogherini a dit récemment que l’intégration à l’Europe de l’Ukraine n’est pas l’ordre du jour. Elle a noté que l’Union européenne et l’Ukraine auraient mieux fait d’être plus attentives aux problèmes internes. La réussite est le seul moyen pour l’Ukraine de les surmonter.

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone.

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