Par Andrew Korybko − Le 30 décembre 2020 − Source oneworld.press
La poussée exercée depuis l’incident Navalny à l’été 2020 par des forces occidentales et par ceux qui leur sont sympathiques, en vu de dépeindre faussement la Russie comme un “régime voyou”, vise à paver la voie d’une politique de sanctions plus étendue contre la grande puissance eurasiatique, et à intensifier les efforts pour la “confiner”.
La presse occidentale a récemment ravivé le trope démystifié selon lequel la Russie serait un soi-disant “régime voyou” après les derniers développements autour de l’incident Navalny de l’été dernier. L’organe Bellingcat, auto-décrit comme “publiant des enquêtes”, ainsi que CNN, ont récemment publié un rapport conjoint affirmant que le FSB avait essayé d’empoisonner le blogger anti-corruption ; il s’agit d’une hypothèse irréaliste, que le président Poutine a condamné lors de sa conférence de presse de fin d’année comme provocation menée par des services de renseignements étrangers. Néanmoins, ce récit, relevant de la guerre de l’information, persiste, et s’est vu accordé une nouvelle exposition par Gary Kasparov, l’ancien champion d’échecs, dans l’éditorial qu’il a publié sur CNN vendredi sous le titre “Il est temps de traiter la Russie de Poutine comme le régime voyou qu’elle est“. Son article mérite d’être démystifié, afin de rétablir la vérité et de comprendre l’agenda sous-jacent à la propagation de telles informations.
Kasparov publie d’emblée une panoplie d’accusation, affirmant que la Russie est coupable de crimes allant de l’assassinat d’adversaires politiques au moyen d’armes chimiques, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine et le piratage les réseaux informations étasuniens. Mais ce qu’il ne mentionne pas, c’est qu’aucune preuve n’a jamais été présentée pour prouver de manière concluante la responsabilité de la Russie dans les tentatives d’assassinat sus-mentionnées. Sur le sujet de l’Ukraine, Kasparov élude le fait que la Crimée s’est réunifiée à la Russie à l’issue d’un référendum démocratique, et qu’une vraie invasion militaire de ce pays par Moscou ne se serait pas manifestée par des escarmouches limitées et contenues à la région ukrainienne du Donbas. En outre, le champion d’échecs omet le fait que Trump a contredit les affirmations de Pompeo quant à la complicité de la Russie dans la dernière attaque informatique, et a de fait préféré en accuser la Chine. De toute évidence, ces faits sont trop “politiquement incommodes” pour être mentionnés par Kasparov, et il fallait donc les ignorer pour avancer son récit de guerre de l’information.
Il faut dire que ce récit est constitué de paranoïa et de spéculations. Une partie se lit comme un rêve enfiévré d’un esprit génial, aventuré dans le monde de la folie, s’imaginant que les agences de sécurité russes tomberaient en lambeaux, après avoir lui-même affirmé qu’elles avaient mené les crimes inouïs qu’il a mentionnés. Ce positionnement schizophrène est expliqué par sa théorie selon laquelle le président Poutine ne ferait même plus attention au caractère négligé des provocations internationales qu’il aurait fomentées, du fait du manque de conséquences de ces pratiques par le passé. Il s’agit là d’un autre sophisme commis par Kasparov, car la Russie a constitué la victime d’un régime de sanctions toujours plus intense depuis 2014. Pourtant, il semble être parvenu à s’auto-convaincre que l’Occident s’emploie en fait à “apaiser” la Russie en continuant à maintenir des relations limitées avec celle-ci, pour des raisons pragmatiques. Ces relations, selon lui, doivent immédiatement prendre fin et la Russie doit être exclue des institutions internationales.
Ce que Kasparov appelle de ses vœux est limpide aux yeux de tout observateur objectif : un redoublement du régime de sanctions occidental contre la Russie, et une intensification des efforts multilatéraux pour “confiner” celle-ci. Les tentatives passées menées par certains dirigeants étasuniens en vue de désigner la Russie comme “État soutien du terrorisme“ pourraient recevoir une seconde vie si l’éditorial de Kasparov est coordonné avec les dirigeants du renseignement étasunien afin de pré-conditionner l’opinion publique internationale à accepter une décision aussi dramatique. L’administration Biden à venir est pleine à craquer de faucons anti-russes, si bien qu’il est tout à fait possible qu’ils progressent rapidement sur la voie la détérioration des relations bilatérales avec la Russie, en utilisant ce prétexte, ou un autre. Mais il ne faut pas oublier que le fondement tout entier de ce scénario est l’hypothèse incontestable selon laquelle la Russie serait responsable de ce que Kasparov et ses alliés affirment, chose dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est fortement douteuse.
Quoi qu’il en soit, il est désormais devenu tabou pour quiconque de remettre en question publiquement ces accusations, sous peine de recevoir sur la tête le goudron et les plumes de l’étiquette “agent russe”. Le noyau médiatico-militaire a jusqu’ici fonctionné sans grain de sable dans les rouages quant à coordonner les messages visant à justifier les provocations à venir contre la Russie. Le peuple étasunien s’est fait laver le cerveau à croire que la Russie est l’un de ses principaux ennemis, et les commentaires de Kasparov sur les derniers développements de l’affaire Navalny sont utilisés pour renforcer cette rhétorique. CNN a publié son éditorial afin de lui accorder une exposition maximale, sur le plan intérieur et international, pour les raisons exposées ci-avant. Si ses divagations sont pour l’instant limitées à la sphère internet, elles pourraient bien avoir prochainement un impact bien réel si les États-Unis s’emparent de ses affirmations pour pousser un nouveau régime de sanctions et d’autres tentatives de “confinement” contre la Russie. Cela pourrait même se produire si Trump crée la surprise et reste en fonctions après le 20 janvier, au vu de ses récentes déclarations anti-russes.
En conclusion, les seuls qui ont quelque chose à gagner de ces fausses représentations de la Russie comme “régime voyou” sont les membres anti-russes des administrations militaires, de renseignements et diplomatiques étasuniennes (l'”État profond“) et leurs alliés internationaux, comme Kasparov, qui maintient des griefs personnels contre le président Poutine. Pour résumer les choses avec objectivité, les supposées activités “dévoyées” de la Russie font pale figure si on les compare avec les actions de voyous menées par les États-Unis depuis la fin de l’ancienne Guerre froide, comprenant les assassinats par drones, les coups d’État des révolutions de couleur, les guerres hybrides, et plusieurs guerres à grande échelle. Il ne s’agit pas de changer le sujet en le relativisant, mais le lecteur doit connaître le contexte stratégique global et comprendre l’hypocrisie étasunienne manifeste à cet égard. Si l’on regarde vers l’avant, la campagne de guerre de l’information anti-russe ne va faire que s’intensifier, et ne cessera que le jour où Moscou se soumettra aux exigences hégémoniques unipolaires de Washington ; cela n’est pas près d’arriver, et la guerre de l’information n’est donc pas prête de cesser.
Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí pour le Saker Francophone
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