Quand la marmite bout


Par Dmitry Orlov – Le 10 mars 2020 – Source Club Orlov

« Une marmite surveillée ne bout jamais », dit un vieux dicton. Mais un empire surveillé ne s’effondre-t-il jamais ? Ben si bien sûr ! Tous les empires finissent par s’effondrer, sans exception. Une fois qu’un empire commence à se diriger vers l’effondrement, la surveillance peut prendre un certain temps, surtout si aucun nouvel empire naissant n’est prêt à prendre la relève. Ce qu’il faut surveiller est le moment où un événement lié à l’effondrement déclenche immédiatement le suivant, et le suivant. Cela nous indique qu’une boucle de rétroaction auto-renforcée a pris forme et que le processus d’effondrement prend de l’ampleur, non plus en raison de tendances à long terme mais d’une logique interne propre, bien qu’il soit certainement aidé par des chocs externes, certains plus importants que d’autres.


Un choc particulièrement important pour le système est arrivé la semaine dernière, le 6 mars 2020. Le système en question est celui du pétrodollar qui a permis aux États-Unis de pomper des ressources du reste du monde, en se nourrissant, et en s’habillant sur son dos, gavé simplement par l’émission de dettes. Pourquoi se concentrer spécifiquement sur le pétrole ? Dans son excellent rapport « Le pétrole dans une perspective de matières premières critiques », Simon Michaux écrit : « Aujourd’hui, environ 90% de la chaîne d’approvisionnement de tous les produits fabriqués industriellement dépendent de la disponibilité de produits ou de services dérivés du pétrole ». Sans pétrole, rien ne se fait et rien ne bouge. Mais le pétrole est une ressource finie et non renouvelable, et c’est le talon d’Achille d’un empire construit principalement sur le contrôle du marché international du pétrole brut par l’émission de dettes.

Ce qui s’est passé vendredi dernier, c’est que le ministre russe de l’énergie, Alexander Novak, a refusé de prolonger l’accord de la Russie avec l’OPEP, en vigueur depuis le 30 novembre 2016, pour limiter la production, empêcher le prix du pétrole de s’effondrer, permettant ainsi aux producteurs américains de pétrole de schiste d’augmenter leur production et, théoriquement, de prendre des parts de marché à l’OPEP et à la Russie… sauf que ni l’OPEP ni la Russie n’ont suffisamment de capacités de réserve pour augmenter de manière significative leur part de marché dans tous les cas. Cet accord restera en vigueur jusqu’à la fin du mois de mars et, en réaction, les prix à terme du pétrole se sont effondrés immédiatement après l’annonce, le prix de référence du Brent étant actuellement de 36,87 dollars le baril seulement, alors qu’à la fin de l’année dernière il était à près de 70 dollars le baril. L’Arabie saoudite a annoncé qu’elle supprimait toutes les contraintes volontaires sur la production tout en accordant des rabais à ses principaux clients. Pourquoi les décisions de la Russie et de l’Arabie saoudite marquent-elles le début de la fin du pétrodollar ? La réponse à cette question est à portée de main, mais elle n’est pas particulièrement connue – et, étant donné la réticence et la timidité des médias occidentaux à divulguer des nouvelles indésirables, elle ne le sera peut-être jamais.

Passant sur une grande partie de l’histoire ancienne, et citant à nouveau le rapport de Michaux, « La production mondiale de pétrole a plafonné en janvier 2005 pendant 58 mois jusqu’en octobre 2009 ». Contrairement aux précédents chocs pétroliers, qui étaient tous de nature politique, celui-ci a été motivé par la géologie et les limites technologiques : la production de pétrole conventionnel ne pouvait plus répondre à la demande. Il en est résulté un énorme pic de prix – un record historique en termes corrigés de l’inflation – qui a atteint 147,27 dollars sur les marchés le 11 juillet 2008. Les marchés du crédit ont rapidement été paralysés. Le 25 septembre 2008, craignant que le plan de sauvetage de 700 milliards de dollars ne suffise pas, le président George W. Bush a déclaré « Si l’argent n’est pas libéré, ce pigeon pourrait tomber » – c’est ce que dit le N.Y. Times. Mais il a fallu bien plus que 700 milliards de dollars pour empêcher la chute de ce pigeon : en novembre 2008, la Réserve fédérale a lancé l’assouplissement quantitatif (QE1), un moyen de maintenir le système bancaire en vie en émettant de l’argent gratuit sans aucun adossement à l’économie physique des biens et des services. La Banque centrale européenne et la Banque du Japon ont suivi le mouvement en lançant leurs propres programmes similaires. Constatant que le QE1 était insuffisant pour prévenir un effondrement imminent, la Fed a lancé le programme QE2 en novembre 2010, suivi du QE3 qui s’est poursuivi jusqu’en 2014.

Il n’est pas surprenant que le QE n’ait pas fait grand-chose pour améliorer les capacités de production. Une grande partie de l’argent a fini dans les portefeuilles de quelques personnes bien introduites ; une autre a servi à alimenter un certain nombre de bulles spéculatives, en particulier dans l’immobilier, au point que la moitié de la population des États-Unis ne peut se permettre de se loger à un prix raisonnable. La Réserve fédérale est aujourd’hui le propriétaire ultime d’environ la moitié du parc immobilier, dont une grande partie est vide alors que de nombreuses personnes, y compris celles qui ont un emploi, sont obligées de se serrer les unes contre les autres dans des espaces restreints, de dormir dans leur voiture ou de vivre dans la rue. Tel est le coût social qu’il faut payer pour empêcher l’effondrement de la pyramide de la dette, basée sur le pétrodollar, qui est si importante. Il aurait peut-être été préférable de laisser tomber ce pigeon. Après tout, si l’industrie mondiale a un élément sacrificiel – le maillon le plus faible, si vous voulez – c’est le secteur financier. Il s’agit d’informations numériques et de bouts de papier, et la réinitialisation la moins chère que l’on puisse imaginer consiste à cliquer sur « supprimer », à déchirer le papier et à recommencer. Beaucoup de gens accusent maintenant les politiques des banques centrales d’être responsables de ce désastre. La faute des banquiers centraux est qu’ils ont continué à vivre sous respiration artificielle au lieu de se suicider rapidement eux-même. Je pense que cela aurait été trop leur demander.

Mais un développement important lié à l’énergie s’est produit : les États-Unis ont commencé à produire beaucoup de pétrole. Il s’agissait en pratique exclusivement de « pétrole de réservoirs étanches ou tight oil » provenant de formations de schiste non poreux, dont l’extraction est très coûteuse et qui n’aurait jamais été produit sans l’afflux d’argent gratuit. Encore Michaux : « …les schistes américains (tight oil, fracturation avec forage horizontal) ont contribué à 71,4% de la nouvelle offre mondiale de pétrole depuis 2005. » Le tableau n’est pas rose : les sociétés de fracturation se sont endettées, la plupart d’entre elles n’ont pas pu maintenir un flux de trésorerie positif même avec des prix du pétrole relativement élevés – grâce à la discipline OPEP/OPEP+ – et beaucoup d’entre elles ont passé une grande partie de leur temps en faillite en vertu du chapitre 11. Ajoutez à cela le fait que le pétrole issu de cette fracturation est de qualité plutôt médiocre, que la plupart des points les plus productifs (sweet spot) ont déjà été siphonnés, et que beaucoup de nouveaux puits non seulement s’épuisent très rapidement mais produisent de plus en plus de gaz et de moins en moins de pétrole. Même avec des forages effrénés, il semble que la production de pétrole issu de la fracturation ait déjà commencé à plafonner, une seule province – la zone dite du Permien – montrant encore des signes de croissance de sa production future.

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Pendant ce temps, les prix du pétrole, suffisamment élevés pour rendre possible la fracturation – bien qu’elle ne soit pas encore tout à fait solvable, et encore moins rentable -, maintenus gratuitement grâce à la gentillesse de l’OPEP et de la Russie, ont continué à ronger l’économie physique des biens et des services, entraînant son rétrécissement. Les politiques du « Tais toi et prend le pognon ! » des banques centrales ont contribué à rendre l’argent plus beau et plus facile à utiliser, mais la dégradation sous-jacente a fini par se manifester même dans le nuage du financement par de la fausse monnaie. En septembre 2019, il s’est soudain avéré que plus personne n’était prêt à accepter les dettes émises  par le Trésor américain – censée être l’investissement le plus sûr possible – comme garantie pour des prêts au jour le jour appelés « repurchase agreements » ou REPO. L’idée est de mettre en gage une partie de votre portefeuille le soir, de la récupérer le matin en payant un petit montant d’intérêt et de rester solvable pendant la nuit. Mais lorsque les prêteurs sur gages ont commencé à refuser la dette du Trésor américain, la Réserve fédérale a été obligée d’intervenir et d’agir comme une sorte de prêteur sur gages de dernier recours. Elle dispose actuellement d’une limite d’opération globale de 150 milliards de dollars et est sur-souscrite, la demande actuelle étant d’environ 216 milliards de dollars. Comme pour tout prêteur sur gages, les clients de la facilité REPO ne sont pas obligés de racheter la garantie et peuvent laisser la Fed tenir le sac. Nous ne savons pas encore combien de fois cela s’est produit ; la Fed reste muette à ce sujet. Mais le marché REPO peut être un moyen sournois d’encaisser la dette américaine – jusqu’à environ 40 000 milliards de dollars par an, ce qui devrait suffire à monétiser la totalité de la dette fédérale américaine en moins de mois qu’il n’en faut pour avoir un bébé.

Cette folie du REPO, qui n’est que théoriquement différente de la monétisation directe de la dette ou de l’impression de monnaie, semble maintenant bien ancrée et prête à se développer davantage. Mais ce n’était pas suffisant et, en octobre 2019, la Fed a décidé de lancer la phase suivante d’assouplissement quantitatif, en lui donnant le nom accrocheur de « non QE » – qui a dit : « Ne jamais croire en une politique avant qu’elle ne soit officiellement niée » ? Bismarck ? Sir Humphrey Appleby ? Ce qui a rendu nécessaire le « non QE » est que les économies de l’Occident dans son ensemble plus le Japon et quelques autres nations sont entrées en récession au cours de la seconde moitié de 2019. La production industrielle allemande n’a cessé de diminuer depuis un an ; le Japon n’est pas loin derrière. Les seules économies industrielles qui continuent à croître sont la Chine et la Russie, mais même la croissance chinoise n’a jamais été aussi lente depuis des décennies. Mais Donald Trump avait promis de « Make America Great » et, ayant renoncé au grand projet de rapatrier la production industrielle qui avait été externalisée en Chine et ailleurs il y a plusieurs générations, il a dû au moins faire en sorte que cela ait l’air bien en maintenant diverses bulles financières gonflées, en particulier dans les domaines des actions et de l’immobilier, grâce à une politique monétaire souple.

Malgré ces vaillants efforts, vers le 20 février, la bourse a commencé à avoir des vapeurs. Le nouveau coronavirus COVID-19 est arrivé sur la scène, provoquant l’arrêt temporaire de grandes parties de l’économie en Chine, en Italie et ailleurs, dans le but de retarder sa propagation jusqu’à ce que des traitements soient trouvés ou un vaccin créé. Il s’agit d’une maladie semblable à la grippe, mais avec un taux de mortalité nettement plus élevé que celui de la grippe saisonnière ordinaire. Elle tue principalement les personnes âgées et les gens malades tout en épargnant presque complètement les enfants en bonne santé et en provoquant des symptômes relativement bénins chez les adultes en bonne santé. Ce n’est en aucun cas la fin du monde, bien que si on lui permet de suivre son cours, elle emportera des dizaines de millions de personnes dans le monde entier, la plupart d’entre elles étant soit à la retraite, soit atteintes de maladies préexistantes, soit les deux, bien que l’incompétence des autorités et la panique puissent aggraver la situation. Dans l’ensemble, aussi peu aimable soit-il, le coronavirus fait à la société humaine ce qu’une meute de loups fait pour un troupeau de cerfs : il écrête sa pyramide des âges et le garde en bonne santé en éliminant les vieux et les malades. Il y a cependant quelque chose de très particulier à ce sujet :  le COVID-19 semble affecter le cerveau, et d’une manière très particulière – par l’anus. Il provoque une accumulation de papier toilette, entre autres choses ! – bien entendu, des troubles psychologiques préexistants peuvent être à l’origine de cet effet. En tout cas, les rouleaux de papier toilette sont beaucoup plus efficaces pour museler les cris d’angoisse que ces masques de protection en papier peu solides qui sont si populaires aujourd’hui.

En tout cas, la peur du coronavirus a certainement suffi à mettre en état de choc une économie américaine déjà mal en point. Mais ensuite, comme cela arrive si souvent lorsqu’un régime détesté et voyou trébuche et tombe à genoux, les poignards seront de sortie. Les Ides de mars sont arrivées une semaine plus tôt cette année, et maintenant la campagne de réélection de M. MAGA s’achève lentement dans une flaque de liquide orange collant, ses lèvres blanchies prononçant les mots « Et toi aussi, Mohammed ? » En fait, il n’y a rien de personnel. C’est entre les États-Unis et la Russie, où il y a un très gros compte à régler, avec en prime l’Arabie Saoudite, très heureuse de sortir son poignard. Vous voyez, les Russes ne sont pas particulièrement heureux de ce qui s’est passé à la fin des années 1980, lorsque les États-Unis et l’Arabie saoudite ont conspiré pour écraser financièrement l’URSS en inondant le marché du pétrole, faisant chuter le prix en dessous de 10 dollars le baril. Ils sont encore moins heureux de ce qui est arrivé à la Russie dans les années 1990, lorsque les Russes ont décidé que les Américains étaient leurs amis, et qu’ils ont été pillés, mis en faillite et presque détruits grâce aux efforts des « conseillers » et « consultants » américains. Il a fallu 20 ans à la Russie pour se remettre de cette catastrophe, et maintenant qu’elle l’a fait, elle est prête à faire aux États-Unis ce que les États-Unis lui ont fait.

Sergei Zagatin a rassemblé cette histoire pour nous dans un ensemble bien ordonné :

Les experts politiques occidentaux décrivent souvent l’effondrement de l’URSS comme le résultat de certaines manipulations extérieures intelligentes exécutées par l’Occident sous le commandement de Ronald Reagan. Ces manipulations ont provoqué une avalanche de problèmes économiques en URSS et ont fomenté un conflit interne au sein de l’élite soviétique. Conjugué à la grande résistance de la population face à l’échec de l’idéologie communiste, le premier État socialiste du monde s’est autodétruit. Parmi les manipulations extérieures, on peut citer le bluff de Reagan avec les Initiatives de défense stratégique, alias « Star Wars », qui a forcé l’URSS à s’engager dans une course aux armements futile et ruineuse, et aussi l’effondrement du prix du pétrole, organisé avec l’Arabie saoudite, privant ainsi l’URSS de sa principale source de revenus d’exportation. Cette description est terriblement simpliste, ce qui la rend appropriée pour le lavage de cerveau des jeunes globalistes. Les Américains auraient pu tirer de précieuses leçons de l’effondrement soviétique, par exemple en prêtant attention à ma présentation « Closing the Collapse Gap ». Hélas, ce n’est pas le cas.

Il serait très amusant de lire dans un futur manuel d’histoire que l’Est dans son ensemble, sous la sage direction de Vladimir Poutine, a d’abord bluffé les États-Unis dans une course aux armements insensée et ruineuse – avec son déficit budgétaire de plusieurs milliers de milliards de dollars – et ensuite, juste au moment où les élites américaines ont perdu tout sens de l’unité alors que la bourse perdait 15% en une seule semaine, a fait s’effondrer le marché du pétrole, et avec lui l’économie occidentale. En bref, Poutine aura fait aux États-Unis ce que Reagan avait fait à l’URSS. Cette explication serait-elle aussi terriblement simpliste ? Sans aucun doute, elle conviendrait tout aussi bien pour corrompre l’esprit des jeunes nationalistes. Quoi qu’il en soit, il y a une question plus importante à laquelle il faut répondre : pourquoi la Russie a-t-elle décidé de faire chuter le marché du pétrole le vendredi 6 mars 2020 ?

Passons en revue les positions des trois principaux concurrents du marché pétrolier :

  • La Russie affiche un excédent budgétaire national sain, calculé sur la base d’un prix du pétrole à 40 dollars le baril. Elle dispose de plus de 500 milliards de dollars de réserves financières. Le pétrole est un poste d’exportation important pour la Russie, fournissant environ un tiers des recettes du budget fédéral. Mais la Russie n’a plus besoin d’exporter du pétrole pour maintenir une balance commerciale positive. La Russie n’est pas particulièrement dépendante des importations, ayant mis en place avec succès un programme de remplacement des importations. Elle est politiquement stable et militairement invincible.
  • Le budget de l’Arabie saoudite ne peut demeurer à flot, que si le prix du pétrole atteint en moyenne 85 dollars le baril. Elle dispose également de réserves d’environ 500 milliards de dollar. L’Arabie saoudite est très dépendante des importations et compte beaucoup sur la main-d’œuvre étrangère. Elle est politiquement instable – le jeune Mohammed est actuellement occupé à emprisonner les membres de sa propre famille – et militairement si faible que même les Yéménites affamés peuvent emporter des victoires contre son armée.
  • Le budget fédéral américain ne dépend pas du prix du pétrole, mais il présente un déficit de 1000 milliards de dollars sur un total de 4 700 milliards de dollars. Ce pays a également la plus grande dette fédérale au monde, soit environ 23 400 milliards de dollars. Son existence repose donc sur sa capacité à imprimer de l’argent et à contrôler les pétrodollars. Dans ce contexte, ses réserves sont très faibles. Il traverse politiquement une phase chaotique, les différentes factions de l’élite dirigeante étant ouvertement hostiles les unes envers les autres et incapables de régler leurs différends dans le cadre d’un État de droit. Il connaît un déficit commercial chronique et il est très dépendant des importations, son industrie ayant été vidée de sa substance par de nombreuses vagues de délocalisation. Son armée est en piteux état, épuisée au cours de longues campagnes infructueuses en Afghanistan, en Irak, en Syrie et ailleurs et sans défense contre les armes modernes développées par la Russie, la Chine et l’Iran. Les deux tiers du pétrole produit par les États-Unis proviennent des schistes bitumineux. Bien que les responsables américains prétendent que les producteurs de pétrole de schiste peuvent fonctionner avec un prix du pétrole supérieur à 25 dollars le baril, il s’agit simplement d’un effort pour éviter une panique du marché, car ce n’est un secret pour personne que les sociétés utilisant la fracturation hydraulique pour produire du pétrole sont endettées jusqu’au cou et que beaucoup d’entre elles n’ont pas pu gagner d’argent, même avec du pétrole à environ 55 dollars le baril. Trump parle maintenant de superviser une importante consolidation entre ses sociétés, et au diable les lois antitrust. Comme je l’ai toujours soupçonné, la main invisible du marché est en fait très visible, plutôt petite et orange, et même trumpienne. En tout cas, la panique sur les marchés fait rage depuis trois semaines maintenant et il semble peu probable qu’elle s’arrête.

L’action de la Russie et de l’Arabie saoudite permettra au moins d’obtenir trois choses. Premièrement, elle fera éclater une bulle de plus de 300 milliards de dollars de dettes détenues par les entreprises américaines travaillant dans le schiste, avec des répercussions sur leurs fournisseurs et leurs clients.

Deuxièmement, l’arrêt de l’industrie du pétrole de schiste obligera les États-Unis à importer à nouveau environ 10 millions de barils de pétrole par jour. Même à un prix quotidien de 36,87 dollars le baril, cela représente 135 milliards de dollars par an que les États-Unis n’ont pas. Un seul petit problème : cet excédent de 10 millions de barils de production quotidienne n’existe même pas. Le maximum que les États-Unis pourraient obtenir est d’environ 1 à 2 millions de barils par jour, et ce, si la Russie et l’Arabie saoudite décident de coopérer. Relisez cette citation : « … Les pétroles de schistes américains (pétrole de réservoirs étanches, fracturation avec forage horizontal) ont contribué à 71,4 % de la nouvelle offre mondiale de pétrole depuis 2005. » Et puis, une fois que le phénomène conjoncturel de la fracturation sera bel et bien dépassé, le prix du pétrole passera à 85 dollars le baril – ce qui remettra l’Arabie saoudite dans le coup – et la facture des importations de pétrole des États-Unis atteindra 310 milliards de dollars par an, si ces derniers peuvent mettre la main sur cette somme, mais là encore, c’est peu probable. [Et il faudra peut-être payer en Yuan, NdT]

Au maximum, il semble un peu tard pour prendre en considération ma présentation « Closing the Collapse Gap », mais elle peut aider à donner quelques détails réalistes sur le bouquet des conséquences auxquelles les États-Unis seront très probablement confrontés, n’y ayant pas prêté attention au cours des treize années qui se sont écoulées depuis que je l’ai publiée. Néanmoins, j’aimerais donner un conseil supplémentaire aux jeunes Américains, pour les aider à éviter de créer encore plus de problèmes à l’avenir : ne jouez jamais au plus fin avec les Russes. Ils sont assez gentils lorsqu’ils sont traités équitablement, mais ils gardent aussi des rancunes depuis plus longtemps que les États-Unis existent, sont vindicatifs comme l’enfer et trouvent toujours le moment le plus sanglant pour égaliser le score. Même si cela peut être difficile, soyez très gentils et polis avec les Russes et appréciez votre bonne fortune, ou bien ils pourraient couper les exportations d’uranium enrichi vers les États-Unis – qui ne peuvent plus le faire – et alors les lumières s’éteindraient.

Les cinq stades de l'effondrement

Dmitry Orlov

Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par jj pour le Saker Francophone

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