Poutine explique la politique syrienne de la Russie


 Le 17 septembre 2015 – Source StrategicCulture

Une rencontre au sommet des États eurasiens dans la capitale tadjike de Douchanbé a offert une tribune à Poutine pour exposer la position de la Russie au sujet de la crise syrienne.

Comme c’est souvent le cas avec les discours de Poutine, les médias occidentaux en ont à peine parlé. Au lieu de quoi, ils poursuivent leurs habituelles spéculations mal informées sur «ce que fait la Russie en Syrie», fondées sur des affirmations saugrenues à propos de grandes stratégies géopolitiques de la Russie, pimentées de faux rapports sur son activité militaire.

Fondamentalement, ce que dit Poutine est très simple : État islamique est une menace existentielle pour tout le monde, et tous ceux qui sont impliqués dans la guerre civile en Syrie devraient renoncer à leurs divergences et à leurs propres stratégies géopolitiques pour s’unir contre lui.

A cette fin, Poutine propose de reprendre ce qui est, au fond, le plan de paix proposé par Kofi Annan à la Conférence de Genève de 2012 pour mettre fin au conflit en Syrie : il devrait y avoir des négociations entre les différentes factions syriennes pour mettre en place un gouvernement avec partage du pouvoir jusqu’à ce qu’il y ait un accord pour un règlement définitif du conflit.

Comme Poutine le souligne, Assad a accepté cette proposition : «Le président Assad est prêt à intégrer la partie modérée des forces de l’opposition dans ces processus, dans la gestion de l’État.»

En même temps, Poutine réaffirme que la Russie continuera à livrer à l’armée syrienne les équipements dont elle a besoin pour se maintenir, bien qu’il prenne soin de dire qu’il s’agit de «l’assistance technologique militaire nécessaire» – et non (jusqu’à présent) une implication active de l’armée russe dans les combats.  Poutine n’exclut pas cette possibilité, mais il est évident qu’il ne l’envisage que comme partie d’une large coalition internationale contre État islamique.

Surtout, Poutine reste catégoriquement opposé à tout changement de régime. Il insiste sur fait que c’est la poursuite incessante par l’Occident d’un changement de régime qui a causé l’exode des réfugiés.

D’ailleurs, comme Poutine le rappelle, vaincre État islamique «…  sans participation active des autorités et des militaires syriens, sans participation de l’armée syrienne, comme le disent les soldats qui combattent État islamique…» n’a absolument aucun sens.

Comme nous l’avons dit plus haut, ceci est la position russe.

Si vaincre État islamique est en effet la priorité absolue, alors la logique de Poutine ne peut pas être critiquée.

Le problème – comme c’est devenu très clair ces dernières semaines – est que pour les États-Unis et pour les autres membres de la coalition favorables à un changement de régime, ce n’est pas la priorité.

Il semble que le renversement du gouvernement du président Assad reste la priorité.

Comme la fausseté des allégations d’intervention militaire directe de la Russie en Syrie est devenue trop évidente pour qu’elles soient maintenues, les gouvernements et les médias occidentaux ont déplacé l’accent ces derniers jours sur l’affirmation que les Russes se concentrent en lieu et place sur la construction d’une présence militaire en Syrie, éventuellement comme une sorte d’instrument de négociation.

On a beaucoup parlé – y compris avec la production de photographies par satellite – de la construction d’une base aérienne russe à Lattaquié. Il a aussi été question du déploiement en Syrie de chars de pointe T90 et de missiles antiaériens S-300. Les États-Unis ont aussi fait des tentatives pour empêcher le vol d’avions cargos russes vers la Syrie, dont les Russes affirment qu’ils transportent du matériel humanitaire, mais dont les États-Unis pensent qu’ils transportent en réalité des armes.

Il est tout à fait possible – et même probable – que face à la crise provoquée par la montée en puissance d’État islamique, les Russes aient intensifié leurs livraisons militaires à la Syrie.

Cependant, certaines des affirmations lancées actuellement ne paraissent pas particulièrement convaincantes.

La présence russe à Lattaquié, par exemple, n’est pas nouvelle. Les Russes y ont longtemps maintenu une station d’écoute, et il est sensé, au vu de la détérioration de la situation, de prolonger la piste d’atterrissage et de déployer un petit nombre de troupes pour la sécuriser.

Même s’il est possible que les Russes installent en effet une sorte de tête de pont, leurs mouvements sont également cohérents avec des mesures de précaution en vue d’une évacuation précipitée du personnel de maintenance en cas d’une nouvelle dégradation de la situation et, franchement, cela semble une explication plus plausible de ce que nous sommes en train de voir.

Quant au déploiement de missiles S-300 en Syrie, il n’en existe aucune preuve, et ces rapports sont certainement faux.

A la lumière des commentaires de Poutine, il est difficile d’éviter la conclusion, comme nous l’avons dit précédemment, que la campagne de désinformation sur le renforcement militaire en Syrie vise surtout à discréditer l’actuelle initiative diplomatique russe avant qu’elle ne s’engage véritablement, plutôt qu’en raison de toutes les réelles préoccupations sur l’accroissement de la présence militaire russe en Syrie.

Que ce soit vrai ou non, l’alarmisme exprimé dans les capitales occidentales à propos de la présence militaire russe en Syrie est rien moins qu’extraordinaire.

Poutine a sûrement raison lorsqu’il dit qu’État islamique présente un danger pour tout le monde et que le moyen de le contrer est de s’unir contre lui. Que cette logique soit si violemment repoussée est bizarre et franchement tragique, et montre à quel point les dirigeants occidentaux sont devenus obsédés par leurs projets géopolitiques.

Voici les extraits d’un discours tenu par Poutine à Douchanbé, repris sur le site internet du président russe :

«J’ai mentionné les situations en Syrie et en Irak ; ce sont les mêmes qu’en Afghanistan, en ce qu’elles nous préoccupent tous. Permettez-moi s’il vous plaît de dire quelques mots sur la situation dans cette région, la situation autour de la Syrie.

» Ce qui se passe est très sérieux. Le groupe appelé État islamique contrôle d’importants pans de territoire en Irak et en Syrie. Les terroristes affirment déjà publiquement qu’ils ont pour objectifs la Mecque, Médine et Jérusalem. Leurs plans comprennent l’extension de leurs activités à l’Europe, à la Russie, à l’Asie centrale et du Sud-Est.

» Cela nous préoccupe, en particulier depuis que des militants subissant un endoctrinement idéologique et un entraînement militaire par ISIS proviennent de nombreux pays dans le monde – y compris, malheureusement, des pays européens, de la Fédération de Russie et de nombreuses anciennes républiques soviétiques. Et, bien sûr, nous sommes préoccupés par leur retour possible sur nos territoires.

» Le bon sens de base et le sens des responsabilités pour la sécurité mondiale et régionale exigent que la communauté internationale unisse ses forces contre cette menace. Nous devons mettre de côté nos ambitions géopolitiques, abandonner les prétendus doubles standards et la politique consistant à utiliser directement ou indirectement des groupes terroristes particuliers pour atteindre ses propres objectifs opportunistes, y compris des changements dans des gouvernements et des régimes indésirables.

» Comme vous le savez, la Russie a proposé de former rapidement une large coalition pour contrer les extrémistes. Celle-ci doit réunir tous ceux qui sont prêts à contribuer, ou contribuent déjà, à la lutte contre le terrorisme, exactement comme les forces armées d’Irak et de Syrie le font aujourd’hui. Nous soutenons le gouvernement syrien – je veux le dire – dans la lutte contre l’agression terroriste. Nous lui fournissons et continuerons à lui fournir l’aide nécessaire en technologie militaire et nous exhortons les autres pays à s’y joindre.

» Manifestement, sans participation active des autorités et de l’armée syriennes, sans participation de l’armée syrienne, comme disent les soldats combattant État islamique, vous ne pouvez pas expulser les terroristes de ce pays, ni de l’ensemble de la région, et il est impossible de protéger le peuple multiethnique et multi-confessionnel de Syrie de l’élimination, de l’asservissement et de la barbarie.

» Bien sûr, il faut impérativement réfléchir aux changements politiques en Syrie. Et nous savons que le président Assad est prêt à intégrer le segment modéré de l’opposition, les forces d’oppositions saines, dans ces processus, dans la gestion de l’État. Mais la nécessité d’unir les forces dans la lutte contre le terrorisme est certainement au premier plan aujourd’hui. Sans cela, il est impossible de résoudre les autres problèmes urgents et croissants, y compris le problème des réfugiés que nous voyons aujourd’hui.

» Par ailleurs, nous observons quelque chose d’autre : nous assistons actuellement à des tentatives de faire porter pratiquement la faute à la Russie pour ce problème, pour son apparition. Comme si le problème des réfugiés avait crû à cause du soutien de la Russie au gouvernement légitime de la Syrie.

» Tout d’abord, j’aimerais souligner que les Syriens, avant tout, fuient les combats, dus la plupart du temps à des facteurs externes comme résultat des fournitures d’armes et d’autres équipements spécialisés. Les gens subissent les atrocités des terroristes. Nous savons que ceux-ci commettent des atrocités, qu’ils sacrifient des gens, détruisent des monuments culturels, comme je l’ai déjà mentionné, et ainsi de suite. Les gens fuient les extrémistes, d’abord et avant tout. Et si la Russie n’avait pas soutenu la Syrie, la situation dans ce pays aurait même été pire qu’en Libye, et le flot des réfugiés serait même plus important.

» Ensuite, le soutien du gouvernement légitime en Syrie n’est en aucune manière relié au flot de réfugiés provenant de pays comme la Libye, que j’ai déjà mentionnée, l’Irak, le Yémen, l’Afghanistan et beaucoup d’autres. Nous n’avons pas été ceux qui ont déstabilisé la situation dans ces pays, dans des régions entières du globe. Nous n’avons pas détruit des institutions gouvernementales là-bas, provoquant des vides de pouvoir qui ont été immédiatement comblés par les terroristes. Donc personne ne peut dire que nous avons été la cause de ce problème.

» Mais juste maintenant, comme je l’ai dit, nous devons nous concentrer sur la réunion des forces, entre le gouvernement syrien, la milice kurde, ce qu’on appelle l’opposition modérée et les pays de la région, pour combattre la menace contre l’État lui-même et lutter contre le terrorisme – afin qu’ensemble, en joignant nos efforts, nous puissions résoudre ce problème.»

Traduit par Diane, relu par jj

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