Beijing trace sa propre route vers sa transformation en « super-puissance manufacturière » à haute valeur ajoutée.
Par Pepe Escobar – Le 12 avril 2018 – Source Asia Times.
Le discours du Président Xi Jinping au Forum de Boao, ponctué de métaphores chinoises et rédigé dans l’intention d’apaiser les craintes d’une guerre commerciale néfaste entre la Chine et les États-Unis, fut la prolongation logique de son célèbre discours au sommet de Davos l’an dernier, dans lequel il positionnait la Chine à l’avant-garde de la nouvelle mondialisation.
Au forum de Boao, le président Xi a insisté sur une « nouvelle phase d’ouverture » de l’économie chinoise ; il a aussi vivement critiqué « la mentalité de jeu à somme nulle, digne de la Guerre froide » et fait l’éloge de la longue marche chinoise vers le développement, depuis son accession à l’OMC jusqu’à son propre projet d’intégration eurasiatique commerciale au XXIe siècle, l’initiative « Une ceinture, Une route » ou Nouvelle route de la soie.
À court terme, l’économie chinoise devra suivre un des deux vecteurs suivants. Beijing pourrait choisir d’ouvrir son économie principalement aux grandes sociétés américaines, une stratégie qui serait à l’avantage de l’Occident et qui est l’« option B » de la Chine. Ou bien, au cours des sept prochaines années, Beijing pourrait lancer une autre initiative innovante visant à consolider son statut de centre mondial des hautes technologies. Il s’agit là de l’« option A », privilégiée par Beijing.
Il se trouve que cette option A est parfaitement intégrée à l’effort de développement d’inter-connectivité de la Nouvelle route de la soie : de l’est de la Chine jusqu’à l’Europe occidentale, en passant par l’Asie centrale, l’Asie du sud-est, l’Asie du sud-ouest et même les républiques du Caucase. À travers la Nouvelle route de la soie, la Chine se prépare à exporter non seulement des capitaux et sa façon de faire du commerce mais également des produits de haute technologie à haute valeur ajoutée.
Ceci nous amène à la question de la confrontation de ces deux options, qu’il convient d’étudier en détail et qui est au centre d’un débat houleux sur la possibilité d’une guerre commerciale aussi certaine que dangereuse : « Chine 2030 » versus « Made in China 2025 ».
2030 ou 2025 ?
« China 2030 » a été publié en 2013 par la Banque mondiale en collaboration avec le ministère des Finances de la Chine et le Conseil d’État. Ce projet est bel et bien un produit de l’ère du président Hu Jintao, appelant à toutes les habituelles réformes d’économie de marché, avec un accent sur le « besoin » pour toute stratégie chinoise d’être « dirigée par quelques principes cardinaux : un marché ouvert ; le respect du principe d’équité ; une coopération mutuellement bénéfique ; une envergure inclusive mondiale et le développement durable ».
Mais le projet du président Xi Jiping est plus large que cela, il reprend un projet qui émane à l’origine du ministère du Commerce chinois qui fut d’abord nommé lors de sa présentation à Astana et à Jakarta, en 2013 « Une ceinture, Une route ». Un certain temps s’écoula avant que tout le monde comprenne que « Une ceinture, une route » n’était rien d’autre qu’un plan complet d’intégration pan-eurasiatique.
Puis, en 2015, Beijing présenta ce qui est de facto sa stratégie économique nationale : « Made in China 2025 ». Ce projet est lui aussi centré autour d’une Chine accélérant la cadence, mais cette fois dans un effort de réduction de sa dépendance aux technologies occidentales et de son rôle de chaîne de montage pour sociétés étrangères, en augmentant l’investissement national dans la recherche et le développement, en améliorant l’automatisation des usines chinoises et en développant des secteurs stratégiques tels que la robotique.
Nous arrivons déjà à l’objectif 2020 qui est de garantir une production industrielle locale faite à 70% de composants d’origine chinoise. Le succès de la marque Huawei, qui en a froissé plus d’un aux États-unis, la patrie d’Apple, est un petit exemple de ce qui nous attend dans le futur.
Cependant, « Made in China 2025 » est une stratégie encore plus ambitieuse, visant à catapulter l’Empire du milieu dans le tiercé de tête des industries de haute technologie avant 2049, soit pour le centenaire de la République populaire de Chine. C’est de cette manière que la Chine entend se sortir du « piège des revenus intermédiaires ».
Pour ce faire, Beijing a créé son propre projet national dont l’objectif est de transformer la Chine en superpuissance manufacturière de biens de haute technologie, exportant des trains à grande vitesse, des avions, des véhicules électriques, des robots, des technologies utilisant l’intelligence artificielle et le standard de téléphonie 5G qui seront au centre de « l’internet des objets ».
La Corée du Sud est évidemment un modèle économique précédent dont la Chine peut s’inspirer, notamment la modernisation graduelle des conglomérats « chaebol » qui a été supervisée par l’État. Une autre source d’inspiration majeure provient d’« Industrie 4.0 », l’initiative stratégique nationale allemande lancée en 2011 dans le but de consolider son avancée technologique dans le domaine de l’ingénierie mécanique.
L’Europe aux premières loges
Le fait que la Chine ne se contente pas d’un strapontin dans le domaine de la haute technologie dominé par une élite américaine annonce ce qui était encore récemment impensable pour cette élite : un basculement de l’économie mondiale de l’Ouest vers l’Est à l’horizon 2025.
Beijing n’a pas l’intention de reculer dans cette entreprise. La direction prise est clairement un éloignement d’un monde unipolaire vers un monde multipolaire, où un partenariat avec la Russie de Poutine joue un rôle central puisqu’ils coordonnent leurs efforts dans tous les domaines, depuis l’adossement du yuan et du rouble à l’or, en passant par le développement d’une alternative au mécanisme de paiement SWIFT, jusqu’au projet d’inter-connectivité économique le plus ambitieux dans l’histoire de l’humanité, reliant 60 pays et cultures au sein de la « Nouvelle route de la soie ». Destinée à être intégrée à l’Union économique eurasiatique (http://www.eaeunion.org/?lang=en) cette initiative est, dans les grandes lignes, un effort concerté d’intégration de politiques industrielles étatiques.
Comme le soutient cet éditorial du Global Times, une guerre commerciale sino-américaine ne résoudrait rien et n’atténuerait certainement pas la compétition entre les deux initiatives que sont « Chine 2030 » (ouverture aux entreprises américaines) et « Made in China 2025 » (recours presque exclusif aux technologies chinoises). Les grandes sociétés américaines sont dans une position délicate, ayant massivement investi en Chine, transféré beaucoup de leur technologie en Chine et utilisant eux-mêmes des technologies chinoises du fait de la mondialisation des mouvements de biens. Si jamais un mur était érigé empêchant les échanges entre l’Amérique et la Chine, l’Europe serait heureuse de prendre la place de l’Amérique.
Pendant ce temps, Beijing jouera la carte de l’apaisement, par exemple en ouvrant son secteur financier à l’investissement étranger, y compris l’annulation du maximum autorisé à l’investissement étranger dans les banques chinoises.
Note de bas de page
Yi Gang, le nouveau directeur de la Banque de Chine, a promis lors du Forum de Boao que Beijing autorisera une participation maximale de 51% des investisseurs étrangers dans les sociétés de courtage, le marché des contrats à terme et les sociétés de gestion de fonds et retira complètement ce plafond dans tous ces secteurs en 2021.
Faisant preuve de beaucoup de diplomatie, M. Yi a déclaré : « Je dirais qu’avec l’ouverture des industries financières et des services, les États-Unis obtiendront dans le futur un avantage comparatif dans le commerce des services. De telle façon que lorsque nous aurons un commerce de biens et un commerce de services, les deux s’équilibreront ».
Cela dit, il reste toujours l’option « dure » pour résoudre le déficit commercial américain. Dans une note de recherche, c’est justement la voie préconisée par des analystes de Goldman Sachs, sous la direction de l’économiste en chef Jan Hatzius, qui suggère : « Pour un pays avec un déficit commercial chronique comme les États-Unis, il est possible d’augmenter suffisamment les barrières commerciales protégeant son marché pour obtenir une réduction significative de son déficit commercial. Mais cela au prix d’une croissance affaiblie. Pour simplifier, la seule façon assurée de réduire sensiblement le déficit commercial dans un contexte de représailles tarifaires est la récession ».
Entre une guerre commerciale ou une récession, une seule chose est claire : la Chine ne fera l’économie d’aucun effort pour mettre en place sa stratégie vers la supériorité technologique « Made in China 2025 ».
Pepe Escobar
Pepe Escobar est un analyste géopolitique indépendant. Il écrit pour Russia Today, Sputnik et TomDispatch et contribue régulièrement à des sites internet, des émissions de radio et de télévision sur des sujets allant des États-Unis à l’Asie de l’Est. Il est l’ancien correspondant itinérant pour Asia Times Online. Né au Brésil, il est correspondant à l’étranger depuis 1985 et a vécu à Londres, Paris, Milan, Los Angeles, Washington, Bangkok et Hong Kong. Avant le 11 septembre 2001, il était spécialisé sur la couverture médiatique des pays du Moyen-Orient à l’Asie centrale, avec une préférence pour les questions relatives aux luttes entre grandes puissances et les questions énergétiques. Il est l’auteur de Globalistan (2007) ; Red Zone Blues (2007) ; Obama does Globalistan (2009) et Empire of Chaos (2014), tous publiés par Nimble Books. Son dernier ouvrage, 2030, publié aussi chez Nimble Books, est sorti en décembre 2015.
Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone
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