Par Andrew Korybko – Le 5 avril 2018 – Source Oriental Review
Les déclarations des ministres de la Défense russe et pakistanais après leur rencontre à la Conférence de Moscou sur la sécurité internationale de cette année montrent que les relations militaires entre les deux grandes puissances sont sur la bonne voie et qu’elles les rapprochent du partenariat stratégique tant attendu.
La Russie et le Pakistan se sont engagés dans un rapprochement rapide et global ces deux dernières années qui met leurs relations sur la trajectoire d’un partenariat stratégique, avec les déclarations faites par leurs ministres de la Défense après leur rencontre à la Conférence de Moscou sur la sécurité (MCIS) montrant que leurs liens militaires en particulier sont définitivement sur la bonne voie.
TASS a rapporté que Sergueï Choigou avait ceci à dire en parlant avec son homologue pakistanais Khurram Dastgir Khan :
« Au cours des dernières années, des réunions bilatérales ont contribué à renforcer les contacts entre les forces armées russes et pakistanaises dans des domaines tels que les exercices conjoints de troupes terrestres et navales ainsi que le renforcement des liens entre les états-majors. Cette année, nos ministères de la Défense ont également un programme intense de décisions à prendre.
Nous soutenons la participation du Pakistan à l’Organisation de coopération de Shanghai en tant que membre à part entière. Nous espérons que l’interaction de l’OCS contribuera au développement et au renforcement des liens d’amitié entre nos ministères de la Défense.
Nous sommes reconnaissants à la partie pakistanaise pour sa participation régulière à la conférence de Moscou sur la sécurité internationale. D’année en année, le forum devient de plus en plus un lieu de dialogue ouvert et professionnel sur un large éventail de problèmes actuels.
J’ai eu des relations chaleureuses et fraternelles avec votre prédécesseur. Sur son invitation, j’ai visité le Pakistan pour la première fois. »
Le même jour, M. Khan a pris la parole au même endroit et a déclaré publiquement ce qui suit au sujet des relations russo-pakistanaises :
« Je crois que les deux pays ont su transcender leur histoire pour prendre un nouveau départ…
C’est un début parce que, bien sûr, cette histoire de méfiance qui existe des deux côtés est encore là ; mais, pour de nombreuses raisons géostratégiques, les deux pays trouvent maintenant que c’est une voie plus optimale de coopérer l’un avec l’autre. (…)
Je tiens à souligner qu’il ne s’agit nullement d’une relation à somme nulle avec les États-Unis. C’est que le Pakistan a procédé à un recalibrage régional de ses politiques étrangères et de sécurité. »
Sans aucun doute, les liens entre les deux rivaux de l’ère de la guerre froide se sont remarquablement dégelés au point de devenir des partenaires proches dans la nouvelle guerre froide, bien que le Pakistan déclare indirectement son appartenance à un nouveau mouvement des non-alignés (néo-MNA) en décrivant le redimensionnement de ses politiques en terme gagnant-gagnant à la lumière des événements récents. La « diplomatie militaire » de la Russie devrait jouer un rôle crucial en aidant Moscou et Islamabad à « équilibrer » la transition tumultueuse de l’unipolarité vers la multipolarité, et on s’attend à ce que la coopération entre leurs forces armées se poursuive avec le temps.
Il n’y a pas de meilleure chance pour que la Russie et le Pakistan concluent un partenariat militaire officiel, surtout après l’hostilité affichée du vice-président Pence envers le Pakistan à la fin de l’année dernière et les tweets agressifs du président Trump. Tous deux soulignent la détérioration inévitable du partenariat militaire américano-pakistanais autrefois si fort, alors que l’interaction positive entre les ministres de la Défense russe et pakistanais plus tôt cette semaine montre que les deux parties travaillent, en réponse, sur leur propre partenariat militaire multipolaire.
Il convient de rappeler que ce n’est dirigé contre aucun tiers tel que les États-Unis ou l’Inde mais que c’est conçu pour obtenir des résultats gagnant-gagnant qui favoriseront la paix et la stabilité régionales, pour lesquelles le « Saint Graal » du partenariat militaire russo-pakistanais serait finalisé − si Moscou vendait ses systèmes de missiles anti-aériens S-400 défensifs à Islamabad. Il est encore trop tôt pour parler de la probabilité que cela se produise mais ce serait néanmoins le couronnement de leur partenariat, si un tel développement se produisait ou même si des rapports crédibles émergeaient sur des discussions prospectives à ce sujet.
Curieusement, l’accord tant attendu sur les S-400 entre la Russie et l’Inde a encore été retardé et n’a pas été accepté au MCIS comme les médias l’avaient prédit à tort. Même si une source a confié à l’agence TASS que c’était seulement à cause d’un différend et que le contrat sera signé en octobre, on ne peut s’empêcher de se demander si l’intransigeance de New Delhi sur cette question est due à son indignation face à la proximité grandissante de Moscou avec Islamabad et à sa crainte de sanctions américaines. Après tout, l’Inde essaie de jouer la Russie contre les États-Unis afin d’obtenir les offres militaires les meilleures et les plus abordables possible. Donc un tel scénario de type Chanakya ne peut pas être exclu.
Indépendamment des liens historiques entre la Russie et l’Inde, Moscou va de l’avant en formant une association trilatérale multipolaire entre elle-même, Pékin et Islamabad afin de sauvegarder la sécurité dans le Heartland eurasien vulnérable, plus menacé que jamais par la guerre hybride, notamment avec l’introduction dangereuse de Daech sur le champ de bataille afghan. La grande vision stratégique est la formation d’un anneau d’or des grandes puissances multipolaires, dont le Pakistan est l’élément clé sur le plan géostratégique, ce qui explique l’une des motivations principales du partenariat militaire russo-pakistanais qui a été discuté plus tôt cette semaine à Moscou.
Les États-Unis et l’Inde tenteront probablement de se convaincre l’un l’autre que cette institution eurasienne émergente est dirigée contre eux, prédisant astucieusement que ce récit trompeur va amener leur homologue à s’engager encore plus dans leur partenariat stratégique planifié sur 100 ans en fournissant une « justification défensive » à leur propre population et au monde dans son ensemble. Le fait accompli selon le « scénario de la supériorité » des États-Unis est la division de la Grande Eurasie en deux blocs, celui du Cercle d’Or centré sur le Heartland et la « quintette » du Rimland controlé par l’OTAN, tout ce qui se trouve entre eux à l’Ouest et en Asie du Sud-Est tombant sous l’égide d’un mouvement néo-MNA profitant des avantages de la « connectivité compétitive ».
Il est peut-être déjà trop tard pour inverser cette tendance et on ne sait pas si l’Inde, État pivot, a un désir sincère de le faire. Mais en tout cas, le partenariat stratégique russo-pakistanais en cours et le renforcement des relations militaires entre les deux parties ont vu le jour en raison de leur rapprochement rapide au cours des dernières années. Ils formeront un axe de stabilité en Eurasie en ces temps turbulents, ces deux grandes puissances interagissant de façon intéressante pour leur plus grand bénéfice commun dans cette nouvelle guerre froide à l’inverse de la précédente et ancienne guerre froide.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone