Par David Marty – Le 24 août 2015 – Source Znet
Il est difficile de trouver un aspect positif à la débâcle de Syriza. Pourtant s’il y a un effet secondaire dans l’affaire Syriza/Troïka, c’est qu’elle a contraint certains de ses principaux acteurs à tomber le masque, permettant aux analystes politiques de faire moins de spéculations sur le point où se situe chacun d’eux par rapport à l’euro, et plus généralement par rapport à l’Union européenne et à l’Otan.
D’une part, l’Union européenne, qui n’est plus en mesure de restaurer sa façade démocratique avec encore plus de propagande, est maintenant plus exposée que jamais auparavant dans son demi-siècle d’existence. Son vernis pro-paix, pro-social et pro-démocratie pâlit rapidement au soleil, révélant sa totale soumission à l’Otan et aux politiques agressives de Washington, son programme réactionnaire néolibéral et antisyndical, ainsi que sa haine farouche de la démocratie, comme l’a montré son mépris total du référendum grec. Comme l’a écrit A.E. Pritchard du Daily Telegraph: «Il est difficile de voir comment une union monétaire, maintenue ensemble de cette manière par le pouvoir juridique, la coercition et la peur, peut avoir un avenir quelconque dans tous les anciens États-nations d’Europe.»
D’autre part, l’ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis fait l’objet d’une enquête pour haute-trahison après avoir admis dans une interview qu’il avait établi un plan d’urgence pour la mise en place d’un système bancaire parallèle – prétendument dans le dos de Tsipras. Ayant démissionné seulement quelques jours après le référendum, un grand succès pour Syriza sur le moment, Varoufakis a retiré son propre masque et révélé ce qui s’était réellement passé en coulisses : un groupe de travail s’était réuni pour préparer un Plan B, un système parallèle de liquidités et de règlements bancaires en euros, qui pourrait – et cela a été l’accusation principale – permettre un passage à la drachme.
Au tour de l’Espagne
Maintenant, dans ce qui ressemble à l’acte final d’une tragédie grecque, tous les yeux se tournent vers Podemos en Espagne et vers son dirigeant Pablo Iglesias. Le parallèle entre Syriza et Podemos est trop évident pour que personne ne l’ignore et la question est de savoir si un pays comme l’Espagne – quatre fois la population de la Grèce mais presque six fois son PIB – pourrait faire beaucoup plus que Syriza. Après 18 mois d’existence, le parti de Pablo Iglesias a pu seulement maintenir une position ambiguë sur les limites d’un programme progressiste au sein de l’Union européenne et l’euro, jusqu’ici…
Dans une interview récente suivant l’accord entre la Troïka et la Grèce, le dirigeant de Podemos a dit qu’il ne ferait pas beaucoup plus que ses partenaires grecs à Athènes: «La seule chose que nous pouvons faire est de développer plus de puissance administrative» de manière à ce que l’Europe accueille avec bienveillance des gouvernements qui défendent «les droits sociaux, la redistribution de la richesse et du bien-être», une déclaration qui livre plus de questions que de réponses. Qu’est-ce que c’est que la puissance administrative, exactement? Comment cela fonctionnerait-il au sein des institutions de l’UE? Des traités européens?
Plus importante peut-être, la déclaration qui a suivi : «Sinon, peut-être que la personne qui pourrait quelque chose sur ce plan est une dame qui vient du fascisme et de l’extrême-droite, Marine Le Pen.» Il a dit ensuite que si Le Pen arrivait au pouvoir en France, «un pays doté de l’arme nucléaire», elle pourrait conclure une alliance avec une autre superpuissance nucléaire, la Russie, «mais plus avec l’UE ni avec l’Otan». Il ajoute : «nous pourrions très bien être à la veille de la Troisième Guerre mondiale».
Donc, du point de vue de Pablo Iglesias, sortir de la zone euro, et de l’UE pour cette raison, équivaut à défendre des positions fascistes et à être un fauteur de guerre ou, au mieux, un imbécile. Cette déclaration mérite une attention particulière, spécialement lorsqu’on entend comment Podemos et beaucoup d’autres la considèrent comme la réalisation du Mouvement des Indignés du 15 mai 2011.
En effet, si Podemos et le mouvement 15M partagent un grand nombre de vues et des politiques communes à l’égard de l’État providence, la santé, l’instruction, les droits économiques et sociaux, etc., les divergences sur les positions concernant l’UE, l’euro et l’Otan, qui ont pu sembler des détails mineurs et négociables sur le moment, apparaissent maintenant comme des points fondamentaux. L’organisation citoyenne Democracia Real Ya (DRY) — bien qu’elle ne soit pas la seule au sein du mouvement 15M – illustre le mieux cette différence.
En janvier de cette année, DRY demandait déjà à Podemos de «clarifier s’il voulait que l’Espagne sorte de l’eurozone». Sa réponse est venue rapidement dans une interview à la télévision de P. Iglesias (La Sexta, 24 janvier) : «Si nous accédons au pouvoir, l’Espagne, dans tous les cas, ne sortira pas de l’euro.» Pour être honnête, il ne faisait que répéter l’engagement à propos de l’euro qu’il avait pris quelque semaines auparavant lors d’un voyage aux États-Unis, où il avait fait la même déclaration à propos de l’euro et de l’UE sur MSNBC News.
Quant à DRY elle-même, il restait peu d’ambiguïtés. Dans plusieurs publications, assemblées publiques et programmes, DRY a répété à de nombreuses reprises qu’elle tenait l’euro et les traités européens pour responsables de la situation de l’Espagne (même avant la crise de 2008) et qu’elle était favorable à un référendum sur cette question. La différence de position entre DRY et Podemos pourrait difficilement être plus affirmée.
L’énigme de Podemos
Maintenant que Iglesias a pris une position claire et sans ambiguïté à l’égard de l’UE et de l’Otan, et même évalue qu’«il ne ferait probablement pas beaucoup plus que Tsipras en Grèce», que nous reste-t-il?
Si Iglesias exclut de sortir de l’euro, de l’UE et de l’Otan, comment entend-il modifier les traités européens, ce qui requiert l’unanimité des membres pour tout type de réforme? Comment Pablo Iglesias et Podemos vont-ils inverser le phénomène de désertification industrielle avec un euro situé 30% à 50% au-dessus de la compétitivité de l’Espagne? Comment Podemos s’opposera-t-il à la politique étrangère de l’Otan alors qu’elle reçoit des ordres directement de Washington? Sa réponse à toutes ces questions pourrait se résumer comme ceci : l’Espagne sera souveraine, progressiste et démocratique quand tout le monde le sera.
Podemos doit réfléchir à sa stratégie s’il veut éviter l’impasse dans laquelle il se retrouvera rapidement. Vouloir un débat en Espagne sur l’UE et l’Otan est probablement le prérequis à tout programme progressiste susceptible de se matérialiser dans quelque chose et, peut-être plus important, il doit comprendre que discréditer une sortie de l’euro équivaut à se discréditer lui-même.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker francophone