Par Kevinqueral – Le 4 août 2016 – De Orbis Terrae Concordia
Les 8 et 9 juillet derniers, se tenait à Varsovie en Pologne la réunion des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. La lecture de ce document édifiant et trop peu commenté appelle de nombreuses réflexions, mais aussi d’innombrables corrections. J’ai ici laissé, sans prétention aucune, celles qui me sont venues en lisant et les ai mises en italique afin d’en faciliter la lecture.
Le texte intégral de la déclaration est par ailleurs consultable ici.
Nous, chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Alliance alantique, sommes réunis à Varsovie à un moment déterminant pour la sécurité de nos pays et de nos populations. Nous nous réjouissons d’avoir été rejoints par le Monténégro, que nous avons invité à devenir le 29e pays membre de notre Alliance.
- La mission essentielle de l’OTAN demeure inchangée : veiller à ce que l’Alliance demeure une communauté sans pareille de liberté, de paix, de sécurité et de valeurs partagées, dont la liberté individuelle, les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit.
À propos de ces quelques principes si souvent claironnés et désormais aussi rebattus que mensongers, l’excellente mise au point de Sophie Wahnich offre un recadrage conceptuel absolument primordial.
Nous sommes unis dans notre attachement au traité de Washington et aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, ainsi qu’au lien transatlantique, d’une importance vitale.
Vital certes. Mais pour qui au juste ?
Voyons ! Quel État se risquerait aujourd’hui à lancer une guerre d’agression contre l’Italie, la France ou le Royaume-Uni ? Dans quel but et pour quels motifs ? Et plus encore, quel État pourrait bien constituer une menace militaire sérieuse à l’encontre de ces nations ? Nations dont l’affaiblissement relatif du potentiel de défense ne nous est pourtant pas inconnu.
Nous avons beau égrener dès lors le chapelet des scénarii les plus farfelus, de la Chine à l’Iran en passant par la Fédération de Russie ou la Corée du Nord, rien ne semble indiquer à moyens termes l’émergence d’un possible conflit ; en dehors de ceux, bien réels pour le coup, que devrait faire craindre toute appartenance à l’Alliance et toute inféodation à ses options stratégiques.
Concernant l’Allemagne, c’est tout autre chose et j’ai déjà dit quelles étaient mes vues : sa voix se ferait certainement plus fluette et moins dédaigneuse à l’encontre de ses partenaires européens sans l’appui militaire transatlantique dont elle est le pivot et la seule véritable bénéficiaire continentale.
Hormis pour complaire aux préoccupations, pour ne pas dire aux fantasmes baltes et polonais, pour qui la Russie est pire que Daesch, l’OTAN n’est, à notre avis, nullement vitale pour les pays d’Europe de l’ouest.
En revanche, voici une certitude : l’Alliance est parfaitement essentielle aux États-Unis d’Amérique, non pour sa propre sécurité, mais bien pour continuer à prétendre à l’imperium mundi, et persister à refuser, dans un mouvement de déni halluciné, l’officialisation définitive d’un monde multipolaire déjà advenu.
Pour protéger et défendre notre sécurité, indivisible, et nos valeurs communes, l’Alliance doit continuer et continuera de s’acquitter efficacement des trois tâches fondamentales énoncées dans le concept stratégique : défense collective, gestion de crise et sécurité coopérative. Ces tâches restent pleinement pertinentes, sont complémentaires et contribuent à la sauvegarde de la liberté et de la sécurité de tous les Alliés.
- Nous exprimons notre profonde gratitude à tous les hommes et les femmes des pays de l’Alliance et des pays partenaires qui ont participé ou qui participent, avec bravoure, aux missions et aux opérations dirigées par l’OTAN ainsi qu’aux missions et aux opérations qui, menées par des Alliés, contribuent à la sécurité de l’Alliance. Nous rendons hommage à tous ceux et celles qui ont été blessés ou qui ont accompli le sacrifice ultime alors qu’ils servaient les objectifs et valeurs que nous partageons.
- Depuis notre dernier sommet, tenu au pays de Galles en 2014, nous avons pris une série de mesures pour renforcer notre défense collective, développer nos capacités, et accroître notre résilience. Nous nous sommes engagés à doter nos forces armées des ressources suffisantes, dans la durée. Aujourd’hui, face à un environnement de sécurité de plus en plus varié, imprévisible et exigeant, nous avons pris des mesures supplémentaires pour défendre notre territoire et protéger nos populations, projeter la stabilité au-delà de nos frontières…
Projeter la stabilité : cet oxymore revient plusieurs fois dans la déclaration de l’Alliance. Au-delà de sa nullité logique, c’est davantage son caractère scandaleux qui est parfaitement choquant : voudriez-vous bien nous indiquer quel est le point du globe où l’Alliance projette une si vertueuse stabilité ? En ex-Yougoslavie (300 000 morts) ? En Libye (100 000 morts), en Syrie (400 000 morts), en Irak (1,3 millions de morts), au Yémen (10 000 morts) en Afghanistan (20 000 morts) ? À moins que ce ne soit en Géorgie, en Turquie ou encore en Corée ? L’ Ukraine n’a jamais été d’ailleurs aussi stable depuis qu’elle s’est rapprochée de l’OTAN, n’est-ce pas ?
Oser parler de stabilité est parfaitement scandaleux quand on sait de quelle projection il s’agit véritablement : de celle du chaos, politique et économique, du chantage et de la rapine, du tapis de bombes assassines et du State building le plus insensé.
Doit-on enfin redire ici, que l’OTAN n’est ni l’Assemblée générale des Nations Unies, ni son Conseil de sécurité, et qu’elle n’a en conséquence aucune légitimité à se penser comme garante de la stabilité de l’ordre mondial?
… et poursuivre l’adaptation politique, militaire et institutionnelle de notre Alliance.
- Un arc d’insécurité et d’instabilité s’observe à la périphérie de l’OTAN et au-delà. L’ Alliance est confrontée à toute une gamme de défis et de menaces pour la sécurité, qui émanent de l’est comme du sud, d’acteurs étatiques comme non étatiques, et de forces militaires comme d’attaques terroristes, cyber ou hybrides. Les actions agressives de la Russie, y compris ses activités militaires provocatrices à la périphérie du territoire de l’OTAN…
Cette dénonciation répétée de la malignité russe revient comme une litanie dans le communiqué.
En somme, ni les exercices militaires Anaconda aux portes de la Russie, d’une ampleur sans précédent, ni les manœuvres navales de Baltops, ni l’augmentation remarquable du budget alloué aux forces de l’Alliance à l’Est (de 709 millions à 3,4 milliards de dollars), ni l’envoi de nouvelles troupes à la frontière russe ne sauraient être regardés comme des provocations.
Faire parader des chars allemands à quelques kilomètres de Saint-Pétersbourg n’a évidemment aucune portée symbolique. Acheminer des blindés américains vers l’Est à des milliers de kilomètres de côtes atlantiques, envoyer des militaires et des instructeurs en Géorgie ou en Ukraine, tout ceci n’est évidemment ni une provocation, ni une menace.
Par contre, organiser des exercices militaires sur son propre sol et le long de ses propres côtes, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, est donc jugé pendable par l’Alliance !
Remarquez tout est possible en terme de dénégation, dès lors que l’OTAN argue ne pas encercler la Russie dans un improbable « vrai du faux » publié sur le site de l’Alliance On peut entre autre y lire que l’OTAN n’a pas entamé un processus de containment à l’encontre de la Russie car « cette allégation fait abstraction de la réalité géographique. les frontières terrestres de la Russie représentent un peu plus de 20 000 kilomètres. Sur ces 20 000 kilomètres, 1215 seulement, soit moins d’un seizième de la longueur totale des frontières, bordent des pays actuellement membres de l’OTAN. La Russie a des frontières communes avec 14 pays (Norvège, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Bélarus, Ukraine, Géorgie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Mongolie, Chine et Corée du Nord). Seuls cinq d’entre eux sont membres de l’OTAN. » Certes. Mais combien de ces pays étaient membres de l’Alliance il y a deux décennies ? Aucun.
De plus, comme le rappellent les articles 24, 111, 112 et 113 de ce même document, l’Otan précise protéger la Géorgie et l’Azerbaïdjan aux frontières directes de la Russie donc, mais aussi la Moldavie et l’Arménie. On omet soigneusement encore de mentionner les efforts déployés afin de renforcer la coopération entre le NORDEFCO, traditionnellement neutre, et l’OTAN.
De là à parler de processus d’encerclement… Je vous laisse seuls juges.
Enfin, prenons un peu de hauteur. Oui, la Fédération de Russie peut être arrogante, transgresser parfois le droit international, user de ses positions de force pour faire valoir ses intérêts, utiliser son armée pour sa défense et ses intérêts cosmopolitiques. C’est ce que fait tout État souverain face à d’autres États souverains.
La Russie est coupable de cela, l’Alliance l’est aussi, et d’autres encore. Mais voyez-vous, quand on prétend décerner tous ces vices communs à un seul, il en va alors comme de la fable des animaux malades de la peste. C’est en somme un mensonge concerté, protégeant toutes les autres puissances, un mensonge rendant plus hideux encore et plus criminel celui qui en est victime ; et peu de temps ne saurait passer avant que chacun ne crie haro sur le baudet !
En d’autres termes, il s’agit là ni plus ni moins que de propagande de guerre.
Comment dès lors feindre l’incompréhension quant à la réaction toute naturelle de celui qui en est la cible ? Toute victime de propagande de guerre serait bien inconsciente de ne pas se tenir prête au pire. En vérité, tout le monde le sait bien, et l’escalade est voulue. Jusqu’à un certain point.
… et sa volonté avérée d’atteindre des objectifs politiques par la menace ou l’emploi de la force, constituent une source d’instabilité régionale, représentent un défi fondamental pour l’Alliance, ont nui à la sécurité euro-atlantique, et menacent l’objectif, que nous poursuivons de longue date, d’une Europe libre, entière et en paix.
Libre de qui ? De quoi ? Et puis entière ? Aurait-on égaré un bout du continent ?
À moins que l’Alliance ne parle ici de l’Union européenne, ce qui ferait davantage sens. Il est tout du moins intéressant de lire ici un aveu si éclatant sur les projets de longues dates de l’OTAN et de son principal État membre…
Par ailleurs, les conditions de sécurité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui se sont dégradées de manière significative dans l’ensemble de la région, ont de profondes répercussions sur notre sécurité. Le terrorisme, en particulier les attaques perpétrées par le prétendu État islamique en Iraq et au Levant (EIIL/Daech), a atteint un niveau d’intensité sans précédent, il s’étend à l’ensemble du territoire des Alliés, et il constitue désormais une menace immédiate et directe pour nos pays et pour la communauté internationale. L’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord alimente également la crise des réfugiés et des migrants.
Ah ! Cette fichue instabilité ! C’est sûr, dans ces régions les hommes n’ont pas l’OTAN pour s’inoculer la stabilité et la panacée des vertus régulatrices du marché ! Pourrions-nous cependant suggérer aux cerveaux de l’Alliance, puisque bien entendu, il est parfaitement exclu que ces hommes se moquent de nous, de faire peut-être, et avec un brin de vaillance, le lien entre cette susdite instabilité et leur récentes projections de stabilité en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie ou au Mali ? Voire même, mais nous friserions la témérité, de reconsidérer les supposés bénéfices des trop fameux changements de régimes colorés ou printaniers ?
- Le nouvel environnement de sécurité, en constante évolution, exige la capacité de faire face aux défis et aux menaces de toutes sortes, d’où qu’ils viennent. Fondée sur la solidarité, la cohésion de l’Alliance et l’indivisibilité de notre sécurité, l’OTAN reste le cadre transatlantique pour une défense collective solide et le forum essentiel pour les consultations et la prise de décisions entre Alliés en matière de sécurité. La responsabilité première de l’Alliance est de protéger et de défendre le territoire et la population de ses pays membres contre une attaque, conformément à l’article 5 du traité de Washington. Ainsi, une attention renouvelée est désormais accordée à la dissuasion et à la défense collective. Parallèlement, l’OTAN doit conserver sa capacité de répondre aux crises au-delà de ses frontières, et continuer de s’employer activement à projeter la stabilité et à renforcer la sécurité internationale en travaillant avec ses partenaires et avec d’autres organisations internationales.
- Les Alliés sont face à un large éventail de défis liés au terrorisme, qui représentent une menace directe pour la sécurité de nos populations et, plus largement, pour la stabilité et la prospérité internationales. Au cours des derniers mois, nous avons été confrontés à de terribles attaques terroristes sur notre sol et dans nos villes. En particulier, l’EIIL/Daech représente une grave menace pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord au sens large ainsi que pour nos pays. Pour y répondre, tous les pays membres de l’Alliance ainsi que de nombreux partenaires de l’OTAN contribuent à la coalition mondiale contre l’EIIL. Grâce à cette action déterminée, la campagne de la coalition mondiale a permis des progrès considérables, s’appuyant sur l’expérience que nous avons acquise en travaillant ensemble, ainsi qu’avec les partenaires, dans le cadre des opérations, des entraînements et des exercices dirigés par l’OTAN. L’EIIL/Daech est en train de perdre du territoire, de perdre le contrôle d’itinéraires d’approvisionnement et de ressources stratégiques, et de perdre également ses chefs, ses combattants et ses partisans. Afin de garantir que l’EIIL/Daech soit vaincu pour longtemps, nos pays restent déterminés à maintenir cette dynamique et l’action de la coalition mondiale. Dans ce contexte, il importe que les autorités iraquiennes continuent de promouvoir des politiques qui garantissent l’inclusivité à tous les niveaux du pouvoir, y compris au sein des forces de défense et de sécurité. Nous sommes conscients, par ailleurs, qu’une lutte efficace et durable contre l’EIIL/Daech en Syrie ne sera possible que si un gouvernement légitime est en place, et nous soulignons la nécessité d’une transition politique immédiate et véritable dans ce pays.
On se demande plus sérieusement selon quels critères du droit international M. Al-Assad serait illégitime, et ceci quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir de l’homme. Mais prêtons-nous au jeu un instant afin d’en démontrer la futilité : organisons immédiatement des élections législatives en Syrie ! Selon quelle constitution ? Certainement pas la constitution syrienne actuelle, puisqu’elle reconnaît pour sa part comme tout à fait légitime l’actuel président.
Imaginons alors des élections de type occidental, et voyons pour rire un peu quels en seraient les possibles candidats : Abou Bakr al-Baghdadi ? Abou Mohammed al-Joulani ? Selim Idriss ? Abou Yahia al-Hamawi ? Un « démocrate » occidentaliste bon teint venu de Londres ou Washington, de préférence appointé par le département d’État comme le fut Hamid Karzai en Afghanistan ? Peut-être le président sortant, à supposer que la démocratie souffre qu’il ait encore le droit de recueillir des suffrages ?
Tout ceci n’a aucun sens, sinon de chercher à légitimer (rendre légaux) des mercenaires hors-la-loi et de prétendus démocrates ayant pris les armes contre leur propre peuple et contre leur État.
Plus grave encore, si l’Alliance cessait de poser cette condition, plus rien n’empêcherait alors d’entrevoir la fin de la guerre et la liquidation de Daech et d’al-Qaïda en Syrie et en Irak, sauf à prétendre que les actions conjuguées de la Russie, de l’Iran, de l’OTAN et de ses alliés seraient insuffisantes pour en venir à bout en un temps raisonnable. Cette condition est illégitime, rappelons-le et, en dernière analyse, n’a pour conséquence que de prolonger encore le conflit.
Et puis, avouons-le, le départ des « tyrans » Hussein et Kadhafi avait si bien réglé les problèmes de l’Irak et de la Libye qu’il serait dommage pour l’Alliance de céder sur ce point !
Nous condamnons les attaques barbares incessantes perpétrées par l’EIIL/Daech contre les populations civiles, sans distinction, en particulier le fait que des communautés religieuses et ethniques entières soient prises pour cibles de manière systématique et délibérée. Nous condamnons aussi avec la plus grande fermeté les actes violents et lâches commis par l’EIIL/Daech sur le territoire d’Alliés. Si la sécurité d’un Allié est menacée, nous n’hésiterons pas à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer notre défense collective. Au vu des conséquences humanitaires dramatiques de la crise et des répercussions de celle-ci sur la stabilité et la sécurité de la région, les Alliés apportent dans toute la région une assistance humanitaire et une assistance en matière de sécurité.
- Depuis plus de vingt ans, l’OTAN s’emploie à bâtir un partenariat avec la Russie, notamment au travers du mécanisme du Conseil OTAN-Russie. Les activités et les politiques récentes de la Russie ont diminué la stabilité et la sécurité, accru l’imprévisibilité, et modifié l’environnement de sécurité. Alors que l’OTAN respecte ses engagements internationaux, la Russie a violé les valeurs, les principes et les engagements sur lesquels repose la relation OTAN-Russie, énoncés dans le Document de base du Conseil de partenariat euro-atlantique, de 1997, dans l’Acte fondateur OTAN-Russie, de 1997, et dans la Déclaration de Rome, de 2002, elle a rompu la confiance au cœur de notre coopération, et elle a remis en cause les principes fondamentaux de l’architecture de sécurité tant mondiale qu’euro-atlantique. Les décisions que nous avons prises, y compris ici à notre sommet, sont pleinement compatibles avec nos engagements internationaux, et elles ne sauraient en conséquence être considérées par quiconque comme étant en contradiction avec l’Acte fondateur OTAN-Russie.
La faute est unilatérale donc. S’il est certain qu’il faut constater une glaciation des rapports, le sommet de Varsovie rejette l’intégralité des torts sur la Fédération de Russie. À la lecture des ces trois documents, il apparaît effectivement que la Russie ne respecte pas l’intégralité des 36 points de ces accords, particulièrement quant à « la transparence mutuelle dans la formulation et la mise en œuvre de la politique de défense et des doctrines militaires » et « les possibilités de coopération en matière de défense contre les missiles de théâtre ». Je n’ai pas le goût de vous éreinter en détaillant ces nombreux points, mais l’on n’aurait qu’à se pencher pour cueillir les moments où l’Alliance s’est elle aussi mise en défaut.
Derrière cette rhétorique faussement légaliste se cache l’essentiel : la désignation de l’ennemi. Dans l’intégralité du rapport, nous ne lirons jamais le début d’un doute ou d’une remise en cause quant aux faits et dits de l’Alliance. Les pages suivantes ne seront qu’une accumulation de récriminations et de condamnations de la Russie, citée plus de cinquante fois et toujours de manière dépréciative.
Parmi les actions et politiques de la Russie qui nuisent à la stabilité figurent :
– l’annexion illégale et illégitime de la Crimée, que nous ne reconnaissons et ne reconnaîtrons pas et sur laquelle nous appelons la Russie à revenir ;
S’il ne s’agissait de diabolisation, on pourrait s’étonner de voir désigner le référendum de Crimée, certes tout à fait discutable, d’annexion illégale. Il suffit en l’espèce de lire les spécialistes du droit international (voir lien 4) pour découvrir que la question est bien plus complexe. Résumons :
– Le fait que ce référendum ne respecte pas la constitution ukrainienne n’a rien d’illégal.
– La sécession n’est ni autorisée, ni interdite par le droit international. La sécession est un fait.
– Un peuple, au regard du droit international positif, n’a aucun droit à l’autonomie, en dehors d’un processus de décolonisation ou d’occupation militaire.
– Mais, si la sécession n’est pas autorisée en dehors de ces cas, elle n’est pas non plus prohibée par le droit international.
Voila pour la légalité.
Quand, à la légitimité tout est question d’appréciation. Disons tout de même que nier le fait que la Crimée, à défaut d’être parfaitement indépendante, est davantage russe qu’ukrainienne relève de la gageure. Il suffit d’ailleurs de lire les rapports des instituts américains, peu suspects de russomanie, rendant compte de la satisfaction présente de la population criméenne pour s’en convaincre.
Enfin, et c’est certainement l’affirmation la plus marquante : l’OTAN ne reconnaîtra pas le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie. Voyez la place laissée au jeu diplomatique…
– la violation, par la force, des frontières d’États souverains ;
États est ici au pluriel. Réfléchissons : il faut certainement compter l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie au nombre de ces prétendues violations. Trois situations faisant pour le moins polémique, là où les agressions illégales de l’Afghanistan ou de L’Irak par l’Alliance ne laissent place à aucun doute. Nous ne nous risquerons à aucune comparaison entre ces situations tant le poids des morts engendrés par les guerres atlantistes au Moyen-Orient rendrait ce procédé odieux…
N’oublions pas aussi que la Syrie refuse catégoriquement la présence des avions de l’Otan dans son ciel aussi bien que l’aide apportée par des pays membres de l’Alliance à certains rebelles. Le droit international objectif ne peut en l’espèce que reconnaître la violation des frontières d’un État souverain.
Pour ce qui est de la Crimée parler de violation par la force est pour le moins étrange : tout est fait pour faire oublier l’existence de la concession de Sébastopol, la présence militaire russe séculaire et le statut particulier de la péninsule.
– l’action délibérée de déstabilisation de l’est de l’Ukraine ;
Je cherche encore des preuves pour soutenir ces allégations. Entre photos de blindés datant de 2008, images satellite illisibles, soldats vaguement barbus et six passeports brandis par Porochenko, on ne peut pas dire que les faits parlent d’eux-mêmes. On aimerait aussi rappeler que de l’aveu même de l’État major de l’armée ukrainienne, il n’y a jamais eu d’intervention de l’armée régulière russe dans le Donbass, ou peut-être 56 Russes.
Rappelons, à toutes fins utiles, que la Russie n’a absolument aucun intérêt géostratégique à voir ses voisins immédiats en proie au chaos, contrairement à l’Alliance ; c’est ici l’évidence même au regard des risques engendrés par la situation et des pertes économiques qui en découlent, et ce, tout particulièrement dans le cas de l’Ukraine.
– la tenue d’exercices impromptus de grande envergure, contraires à l’esprit du Document de Vienne, et les activités militaires provocatrices à proximité des frontières de l’OTAN, notamment dans les régions de la mer Baltique et de la mer Noire et en Méditerranée orientale.
C’est ici une accusation que je crois parfaitement exacte. En effet, si des officiers russes ont bel et bien assisté aux manœuvres de l’OTAN, que ce soit dans les pays baltes ou en Pologne, il semblerait que la Fédération de Russie n’ait ni prévenu, ni invité les cadres de l’OTAN à venir observer ses exercices en mer Baltique ou dans la région de Kaliningrad. C’est ici une entorse au document de Vienne. Ajoutons cependant que lorsque ces exercices militaires ont pour but de tester la réaction des troupes et des infrastructures, en somme lorsqu’il s’agit de manœuvres « surprises », l’obligation d’inviter des observateurs devient caduque.
– son concept militaire [sic ?], la posture correspondante et ses discours dans le domaine nucléaire…
Je ne vois absolument pas de quoi il s’agit : je n’ai jamais lu de déclaration russe évoquant l’hypothèse d’une première frappe. Par contre, ce scénario a souvent été entendu émanant d’outre-Atlantique ou de la Grande-Bretagne, sans oublier le ridicule « ce scénario porte un nom. Il s’appelle la guerre » de François Hollande.
S’il est ici question des déclarations visant à mettre en garde certains États, comme la Suède, hors bouclier antimissile otanien et qui souhaiteraient le rejoindre, il ne s’agit pas d’une menace : Il s’agit d’un fait indéniable. En cas de conflit, la Russie serait contrainte de frapper ces pays alors qu’elle ne l’était aucunement auparavant.
À moins enfin qu’il ne s’agisse ici uniquement du refus du Kremlin de participer au sommet de Washington ce 30 mars.
… irresponsables et agressifs ;
Quel doigté diplomatique ! Quelles élégances dans les formules ! Ici, l’acrimonie apparaît sans pudeur et tout respect a disparu pour laisser place au mépris et à l’insulte.
– et ses violations répétées de l’espace aérien de pays de l’Alliance.
– En outre, en Syrie, l’intervention militaire de la Russie, sa présence militaire importante, son soutien au régime, et l’utilisation qu’elle fait de sa présence militaire en mer Noire à des fins de projection de puissance en Méditerranée orientale sont source de risques et défis supplémentaires pour la sécurité des Alliés et d’autres pays.
Nous peinons à comprendre : l’intervention russe en Syrie mettrait en danger l’OTAN ? De quelle manière ? Nous aimerions entendre les développements de cette assertion.
À ce rythme, il serait plus facile d’admettre que c’est l’existence même de la Fédération de Russie et de sa liberté d’action qui pose problème, ce serait plus rapide, et certainement plus honnête. Si l’on veut ne pas faire fi des prétentions impériales des États-Unis d’Amérique, cela ferait sens : tout Empire étant par essence un universalisme, il ne peut souffrir la présence au monde de voix contraires, et encore moins de puissances libres de ne pas répondre favorablement à ses vœux.
Enfin, si le Kremlin avait de l’humour, il ferait remarquer qu’il ne s’agit en aucun cas d’une projection de puissance, mais bien une projection de stabilité !
- L’OTAN a répondu à ce nouvel environnement de sécurité en renforçant sa posture de dissuasion et de défense, y compris par une présence avancée dans la partie orientale de l’Alliance…
Il ne s’agit pas visiblement là de projection de puissance, ni d’irresponsabilité, ni d’agressivité…
… et en suspendant toute coopération civile et militaire pratique entre l’OTAN et la Russie, tout en demeurant ouverte au dialogue avec ce pays. Nous réaffirmons ces décisions.
- Ainsi que nous l’avons décidé, parler à la Russie nous permet de communiquer clairement nos positions, la crise en Ukraine et alentour étant pour nous, dans les circonstances actuelles, le premier point à l’ordre du jour. Nous restons ouverts à un dialogue périodique, ciblé et substantiel avec une Russie qui soit disposée à mener des échanges au sein du Conseil OTAN-Russie sur la base de la réciprocité, en vue d’éviter les malentendus, les erreurs d’appréciation ou les escalades involontaires, et à accroître la transparence et la prévisibilité. Nous disposons également de lignes de communication militaires. Nous sommes convenus de continuer de nous servir de tous ces canaux pour aborder les questions d’importance critique auxquelles nous sommes confrontés, et nous appelons la Russie à faire bon usage de toutes les lignes de communication.
Voilà bien le fond du problème : la réalité est que la communication existe entre ces deux parties, mais que les réponses russes ne conviennent tout simplement pas. Sans partager pleinement la portée du « niet » russe, le récent article d’Orlov rend à mon sens assez bien compte du dialogue de sourds qui s’est installé entre Moscou et Washington .
- Réciproques, la transparence et la réduction des risques dans le domaine militaire pourraient améliorer la stabilité et la sécurité dans la zone euro-atlantique. Dans ce contexte, nous appelons la Russie à prendre part de façon constructive aux discussions en cours à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) afin de moderniser le Document de Vienne, de manière à aider à combler les failles qui réduisent la transparence militaire.
- L’ Alliance ne cherche pas la confrontation et ne représente aucune menace pour la Russie.
On se demande alors bien en quoi, en suivant la même logique, la Russie représente une menace pour la sécurité des pays de l’Otan. Et puis, tout de même, il est étrange comme l’air du temps aime à faire fi du poids de l’Histoire, y compris de l’Histoire la plus récente ! Doit-on dire ici que de la même manière qu’il est possible de comprendre les craintes − légitimes ou non, là n’est pas la question − des pays baltes et de la Pologne face à leur voisin russe, il est étourdissant de ne pas observer que c’est tout à fait légitimement que la Russie nourrit une certaine méfiance au regard de l’OTAN ?
Mais nous ne pouvons transiger et ne transigerons pas sur les principes sur lesquels reposent notre Alliance et la sécurité de l’Europe et de l’Amérique du Nord. L’OTAN continuera d’être transparente, prévisible et résolue.
Cette remarque incidente ne doit pas passer inaperçue : elle dit en substance et parfaitement clairement que l’Otan, qui se targue de ne pas être une menace, prendra pourtant toutes les dispositions nécessaires à l’encontre de la Russie, et ce, à l’aune de ses principes !
Ou comment dire un deux phrases une chose et son parfait contraire ! Mais, non, ceci n’est pas une menace.
- Ainsi que nous l’avons décidé à notre sommet du pays de Galles, nous poursuivrons notre débat stratégique concernant la sécurité euro-atlantique et notre approche à l’égard de la Russie. Ainsi que nous l’avons également décidé au pays de Galles, nous continuons de croire qu’un partenariat entre l’OTAN et la Russie, fondé sur le respect du droit international et des engagements internationaux, y compris ceux qui sont énoncés dans l’Acte fondateur OTAN-Russie et la Déclaration de Rome, aurait une valeur stratégique. Nous regrettons que, malgré les appels répétés que les Alliés et la communauté internationale lancent à la Russie depuis 2014 pour qu’elle change de cap, les conditions d’une telle relation ne soient actuellement pas réunies. La nature des relations de l’Alliance avec la Russie et les aspirations au partenariat seront subordonnées à un changement clair et constructif dans les actions de ce pays, démontrant le respect du droit international et de ses obligations et responsabilités internationales. En l’absence d’un tel changement, il ne pourra y avoir de retour à la normale.
- Une Ukraine indépendante, souveraine et stable, fermement attachée à la démocratie et à l’État de droit, est essentielle à la sécurité euro-atlantique
On voit ici ressortir sans déguisement ni pudeur ce qu’il est désormais convenu s’appeler la doctrine Brzezinski (« Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire en Eurasie. L’Ukraine constitue un enjeu essentiel. Si l’Occident devait choisir entre une Ukraine démocratique et une Ukraine indépendante opposée à la Russie, ce sont des intérêts stratégiques et non des considérations démocratiques qui devraient déterminer notre position. » Z. Brzezinski, 1998). Franchement, le Portugal serait-il en danger s’il devait y avoir partition de l’Ukraine, comme il y a eu dans l’histoire récente partition de la Yougoslavie ou de la Tchécoslovaquie ? La réalité nue est simplement que l’Europe occidentale n’a rien à craindre d’une éventuelle sécession du Donbass, mais que cela va définitivement à l’encontre des ambitions géostratégiques américaines. Ajoutons enfin que contrairement à ce que claironnent nos médias occidentaux, les vrais perdants sont bien les intérêts russes : d’une Ukraine entière et amie, ils héritent désormais d’un territoire en voie de désintégration et de faillite où est né une menace véritable incarnée par le nationalisme ukrainien, bandériste, nazi et animé par la haine de la Russie.
Nous restons déterminés dans notre soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, ainsi qu’à son droit de décider librement, sans ingérence extérieure…
Il ne faut véritablement aucune vergogne pour oser écrire ceci ! Que la Russie soutienne les républiques du Donbass de différentes manières ne fait que peu de doute, mais ne pas craindre d’omettre ses propres ingérences est au-delà du raisonnable ! Passons sur les milliards de dollars investis par les États-Unis depuis des années pour favoriser un changement de régime, passons sur le rôle avéré d’agents occidentaux lors du Maïdan, passons sur les propos de Mme Nuland où elle compose le futur gouvernement ukrainien… Reste encore cependant, l’envoi de blindés, de soldats, d’armes, d’équipement et d’instructeurs militaires américains, britanniques ou allemands en totale violation de la lettre et de l’esprit des accords de Minsk 2 ! En terme d’ingérence, l’Alliance n’est pas en reste, mais les inversions accusatoires semblent y être devenues des routines de communication.
… de son avenir et de l’orientation de sa politique étrangère, principes inscrits dans l’Acte final d’Helsinki . Nous condamnons fermement la Russie pour ses actions agressives contre l’Ukraine ainsi que pour le non-respect persistant du droit international et de ses obligations internationales, lesquels ont de graves incidences sur la stabilité et la sécurité de la zone euro-atlantique tout entière.
- La Russie porte l’entière responsabilité de l’importante dégradation de la situation des droits de l’homme dans la péninsule de Crimée, en particulier de la discrimination dont sont victimes les Tatars de Crimée et d’autres membres de communautés locales. Nous demandons instamment que les autorités de fait russes prennent les mesures nécessaires pour garantir la sécurité, les droits et les libertés de tous les habitants de la péninsule. Il est impératif de permettre aux structures d’observation internationales d’accomplir leur travail, essentiel, en faveur de la protection des droits de l’homme.
Notre propos ne sera en aucun cas de tergiverser sur la condition des Tatars de Crimée. Nous nous limiterons à souligner deux faits d’importance :
– Le premier consiste à souligner l’intention juridique cachée derrière cette préoccupation si noble d’apparence pour les droits des minorités. Le droit international prévoit en effet clairement que si un pays s’est proclamé par référendum pour son indépendance et que certaines minorités y sont dès lors persécutées, l’indépendance actée dans un premier temps est alors nulle et non avenue. Notons aussi que le traitement réservé aux communistes en Ukraine suffirait à rendre illégale la révolution du Maïdan selon les mêmes critères.
– Le second point pourra surprendre, mais il est si évident et si peu entendu qu’il en est devenu presque insolite : nous avons ici à faire avec un cas flagrant d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain. Imaginez-vous la Fédération de Russie formuler des exigences sur le sort des Afro-américains des ghettos de Los Angeles ou de Baltimore ? Sur le statut des sans-papiers français ? Bien sûr que non, et si elle le faisait, elle se verrait évidemment répondre de se mêler de ses affaires ! Ici, des années d’habituation aux discours interventionnistes et faussement humanitaires nous ont fait oublier jusqu’à leur illégalité la plus fondamentale.
Nous condamnons le renforcement généralisé du dispositif militaire russe en cours en Crimée, et nous sommes préoccupés par la volonté qu’affiche la Russie de renforcer encore son dispositif militaire dans la région de la mer Noire ainsi que par les efforts qu’elle déploie en ce sens.
Une nouvelle fois, l’Alliance oublie que la Russie est ici dans son plein droit : elle aurait tout à fait pu se renforcer en Crimée, même avant l’EuroMaïdan, et ce via la base de Sébastopol. Enfin, nous comprenons que l’Alliance n’apprécie pas que la Russie renforce son arsenal militaire en mer Noire, mais tout de même, il s’agit là de ses propres côtes et frontières !
- Nous sommes attachés à la recherche d’une solution pacifique au conflit dans l’est de l’Ukraine, qui a entraîné la mort de 10 000 personnes, ainsi qu’à la réintégration des zones contrôlées par les rebelles que soutient la Russie dans les régions de Donetsk et de Lougansk.
Mais dans quel monde vivent-ils pour écrire ceci ? Pensez-vous possible, en l’état, la réintégration de ces Oblasts au sein d’un État qui les bombarde quotidiennement et dont le président s’est réjoui de laisser crever leur enfants dans des caves ! Ont-ils seulement mesuré, le poids du sang déjà versé ?
Cela passera par la pleine application des accords de Minsk, sur la base d’un cessez-le-feu général et d’un retrait des armes vérifié à l’échelon international. Nous exhortons tous les signataires à se conformer pleinement aux engagements auxquels ils ont souscrit.
On croit rêver ! La mauvaise foi et le mensonge atteignent ici leur comble ! Sur les 13 points des accords de Minsk 2, deux seulement sont transgressés conjointement par les Républiques de Donestk et de Loughansk et par Kiev : le cessez-le-feu et le retrait des armes lourdes. Les onze autres mesures ne le sont que par Kiev, voilà d’ailleurs pourquoi, je pense, elles ne sont pas mentionnées ici ! Vous pouvez lire ici le détail des ces treize points et voir pourquoi leur violation par Kiev est si grave et empêche durablement la fin du conflit.
Kevinqueral
Texte original publié dans De Orbis Terrae Concordia
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