Le bombardement d’Hiroshima : un miroir lointain ?


Par Ugo Bardi – Le 6 août 2016 – Source Cassandra Legacy

Le 71e anniversaire du bombardement nucléaire d’Hiroshima est l’occasion d’une réflexion sur ce qui se passe dans le monde aujourd’hui.

Il doit y avoir une raison pour laquelle Hiroshima et Nagasaki ont été détruites par des bombes nucléaires en 1945, tout comme il doit y avoir une raison pour laquelle, aujourd’hui, nous voyons à nouveau le monde au bord de la guerre. Quelle est cette raison ?

Qu’est-ce qui avait conduit les nations du monde, il y a quelque 80 ans, à se sauter les unes sur les autres dans une frénésie collective de destruction ? Et qu’est-ce qui mène le monde, aujourd’hui, à se déplacer dans la même direction ?

Un événement gigantesque comme une guerre planétaire peut échapper à tout discours rationnel, cependant, même une telle chose ne peut être au-delà de toutes conjectures. Et un bon début comme conjecture est de penser que toutes les guerres sont des guerres de ressources. Un bon point de départ, oui, mais aussi assez subtil : les guerres coûtent cher et, d’un point de vue rationnel, cela n’a aucun sens d’aller à la guerre pour, disons, « obtenir du pétrole ». Les guerres modernes ne sont jamais rentables pour les pays qui les mènent, peu importe qui gagne et qui perd.

Dans le même temps, se préparer à la guerre est toujours une bonne affaire. On pourrait même soutenir que les dépenses du gouvernement pour l’armée sont une bonne chose, car cela stimule l’économie, crée du capital, des industries, des emplois et des progrès technologiques. Voilà ce qui est arrivé durant la décennie qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, lorsque plusieurs pays ont commencé de grands programmes de réarmement, comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Les données sur le réarmement sont dispersées dans différents textes, mais je pense que nous pouvons voir les résultats de cet effort militaire dans le monde entier dans ce graphique (données avec la permission du Shift-projet) :

Notez comment la production d’énergie est restée essentiellement statique, en particulier pour le charbon, à partir de la fin de la Première Guerre mondiale, tout au long des années 1920 et vers le début des années 1930. Notez le trou correspondant à la crise financière de 1929. Les années jusqu’à cette date étaient connues comme les années folles pour une bonne raison : le PIB mondial n’a cessé de croître sans être soutenu par une augmentation correspondante de la production d’énergie. Finalement, le monde virtuel devait se réconcilier avec le vrai et il l’a fait avec la crise. Il se pourrait bien que la course aux armements ait commencé après une tentative par les gouvernements pour mobiliser des capitaux que l’effondrement financier avait rendu indisponibles. Nous ne pouvons pas dire si le réarmement dans les années 1930 a été consciemment choisi comme une politique visant à stimuler l’économie, mais cela a fonctionné de cette façon. Ce fut le cas, par exemple, de l’Allemagne, qui est redevenue une grande puissance. Dans la pratique, les préparatifs de guerre ont été en mesure de mobiliser la production de ressources qu’une économie de marché n’avait pas été en mesure de produire. C’est le lien principal entre la guerre et les ressources.

Maintenant, à notre époque, nous sommes encore sous le choc de la grande crise financière de 2008, alors que l’effondrement des prix des produits de base de 2014 est la continuation d’une situation déjà critique. C’est un problème majeur puisque nous devons vraiment éliminer les combustibles fossiles du mix énergétique, et le faire vite, sinon nous en subirons les conséquences désastreuses avec l’emballement du changement climatique et, en même temps, l’épuisement des ressources. Mais le marché, par lui-même, ne fournit pas le capital nécessaire. Les faibles prix actuels de l’énergie empêchent les investissements dans tous les secteurs et l’ensemble du système est bloqué où il est : il a besoin de changer, mais il ne peut pas le faire. Dans cette situation, on pourrait en venir à la conclusion qu’un programme de réarmement majeur fournirait le capital nécessaire pour éviter la baisse de l’approvisionnement en énergie et des autres produits minéraux. Jusqu’à présent, cela ne semble pas être le cas : les dépenses de budget de la défense aux États-Unis sont en croissance, mais ne montrent pas une forte tendance à la hausse. Les choses pourraient  cependant changer à l’avenir.

Une grande différence entre notre temps et les années 1930 est que, aujourd’hui, les ressources minérales sont devenues rares et coûteuses à extraire. Ainsi, un programme de réarmement majeur pourrait ne pas reconstruire l’économie d’un pays, mais accélérer son effondrement, comme c’est arrivé à l’Union soviétique dans les années 1980. Mais le problème majeur de la course aux armements est qu’elle a tendance à rendre des guerres non seulement possibles mais même inévitables. Cela serait très mauvais pour une planète avec plusieurs pays dotés d’ogives nucléaires. Alors, à quoi faisons-nous face ? Comme d’habitude, l’avenir est sombre. En 1935, personne ne pouvait imaginer que les programmes de réarmement en cours auraient conduit à voir des villes entières vaporisées. De la même manière, aujourd’hui nous ne pouvons pas imaginer où un éventuel programme de réarmement pourrait nous conduire dans une dizaine d’années à partir de maintenant. Mais il ne faut pas oublier que l’histoire ne se répète pas vraiment, même si elle bégaie. Une nouvelle course aux armements est une possibilité, pas une nécessité. Jusqu’à présent, au moins.

Ugo Bardi

Note du Saker Francophone

Comme à l'habitude, Ugo Bardi développe une analyse intéressante avant de faire la promotion de sa vision d'une catastrophe climatique à laquelle on devrait tout. J'aurais presque cru que son analyse aboutirait à une vision centralisatrice et mondialiste avec un gouvernement mondial pour un plan énergétique mondial.

Le parallèle avec les années 1930 reste intéressant au niveau de la dynamique possible même si, et il l'explique très bien, les conditions ont changé. Mais de cela les classes politiques actuelles ne sont pas forcément au courant.
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