L’Orient « soi-disant » compliqué…


…Comprendre les politiques de défense et la diplomatie au Proche et Moyen-Orient


Par le Général Dominique Delawarde − Le 24 juin 2019

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Ce sujet est à la fois très complexe à maîtriser pour l’homme de la rue, mais plus facile à comprendre et à exposer pour celui qui connaît quelques dessous des cartes.


Pour faire simple et aller droit au but, il existe deux grands types de politiques de défense et de diplomatie qui s’opposent clairement au Moyen Orient. Le premier est celui de la coalition occidentale conduite par le trio USA, Royaume-Uni et France qui comprend aussi l’état hébreu et l’Arabie saoudite comme partenaires majeurs. Le second est celui de l’ensemble des pays qui s’opposent à cette «coalition occidentale». Au Moyen-Orient, cet ensemble est conduit aujourd’hui par la Russie, l’Iran et, à un certain degré la Turquie, sous l’œil compréhensif de la Chine. Il comprend aussi, sur le terrain, la Syrie, le Hezbollah, l’Irak et le Yemen (Ansar Allah).

Ces politiques et ces diplomaties sont élaborées par des hommes, chefs d’état bien-sûr, mais aussi et peut-être surtout par leurs entourages, leurs ministres, leurs conseillers, ceux qui contrôlent vraiment les ministères des affaires étrangères et de la défense des pays concernés. Bien comprendre ces politiques, c’est d’abord et avant tout bien connaître les individus qui les ont élaboré. Comment ils ont été élus et/ou qui les a aidé à parvenir aux postes où ils sont. En clair, il faut savoir qui tire vraiment les ficelles et quels sont les objectifs que ces individus recherchent.

Pour les trois États qui dirigent la coalition occidentale – USA, Grande Bretagne et France  –  les choses sont aujourd’hui parfaitement claires. Les lobbies pro-Israël jouent un rôle déterminant dans les élections des politiques – Président et membres des parlements. Ils utilisent les moyens financiers, les médias qu’ils contrôlent, les sayanims [agent dormants], les «people» influents, voire des organisations de manipulation de l’opinion, de type «Cambridge Analytica», pour promouvoir ou détruire les candidats aux élections en fonction notamment de leur soutien ou de leur opposition à l’état d’Israël. En échange de leur aide, ces lobbies obtiennent des postes d’influence dans les ministères clefs après la victoire aux élections. Ce type de fonctionnement est parfaitement transparent aux USA, mais beaucoup plus opaque en Europe – UK et FR. Les politiques ou technocrates promus par les lobbies sont donc en bonne position pour élaborer et conduire des politiques étrangères résolument pro-Israël dans chaque état qu’ils contrôlent.

Aux USA, ce sont les relais de l’AIPAC (American Israël Public Affairs Committee) qui mènent la danse. Ce sont ces mêmes individus, souvent qualifiés aujourd’hui de «néocons», qui déterminent la politique étrangère du pays. On en connaît les noms, et les preuves de ce fonctionnement sont nombreuses et très accessibles.

Au Moyen-Orient, cette politique étrangère US vise principalement à s’opposer à l’extension de l’influence iranienne, perçue comme une menace par l’état hébreu. Créer un chaos qualifié de «constructif», diviser l’Islam pour l’affaiblir en attisant les conflits entre Sunnites et Chiites, en soutenant les uns pour combattre les autres, abattre et changer les régimes favorables à l’Iran, redessiner les frontières des États de la région dans un sens favorable à Israël, joindre l’utile à l’agréable en prenant le contrôle des ressources pétrolières : tels sont en quelques mots les grands objectifs de la politique étrangère US au Moyen-Orient.

La mise en œuvre de cette politique coûte cher. Les USA, fortement inspirés par l’état hébreu, ont de moins en moins de moyens pour la conduire sur le terrain. C’est la raison pour laquelle ils instrumentalisent des intermédiaires pour intervenir à leur place dans les conflits : cette manière de faire est moins coûteuse et surtout épargne la vie de leurs soldats. L’extension du takfirisme, de Daesh et de ses violences réside dans cette instrumentalisation et ce soutien occidental. Si l’outil échappe au contrôle de ses créateurs, il deviendra un vrai problème pour le retour à la paix, autant dans la région moyen-orientale que dans le reste du monde …

Cette politique étrangère US est parfaitement soutenue et relayée au Royaume-Uni et en France par le même type de lobbies, que l’on peut qualifier de lobbies frères.

Au Royaume-Uni, l’action puissante et efficace des «Conservative Friends of Israël» (CFI) et des «Labour Friends of Israël» (LFI) [ils sont dans les deux camps, NDLR] directement animés par l’ambassade d’Israël, est déterminante pour les élections législatives et donc pour la gouvernance du pays. Ces lobbies britanniques sont en liaison avec l’AIPAC puisqu’ils travaillent sur une même longueur d’onde, avec des objectifs pro-Israël communs. Les objectifs de politique étrangère au Proche et Moyen-Orient sont donc, à très peu près, les mêmes. A noter que Madame May, monsieur Williamson, monsieur Boris Johnson prononcent régulièrement de vibrants discours d’éloge d’Israël, qualifié de «phare de l’humanité», devant des assemblées de «Conservative Friends of Israël», pour mériter les soutiens politiques, médiatiques et financiers qui suivent normalement ce genre de prises de position. C’est bien grâce à tout cela qu’ils font de brillantes carrières. A noter que Monsieur Jeremy Corbyn, chef de l’opposition travailliste, qui ose se montrer solidaire de la cause palestinienne est, quant à lui, l’objet des attaques constantes des médias et de ses adversaires politiques corrompus et/ou «tenus» par les lobbies pro-Israël.

S’agissant de la France, c’est exactement la même configuration et le même fonctionnement. Le président français a été élu avec un fort soutien du lobby pro-Israël – soutien politique, financier, médiatique. En 2017, l’institution judiciaire et les médias ont même été perçus, par une large part de l’opinion, comme instrumentalisés pour détruire ses adversaires. Des méthodes de type «Cambridge Analytica» semblent bien avoir été utilisées dans cette élection comme elles l’ont été par cette «société» dans 200 autres élections sur la planète entre septembre 2013 et mars 2018.

Notons l’étrange coïncidence suivante: les deux personnages clefs de l’affaire «Cambridge Analytica», «cette usine à manipuler les masses populaires et les élections sur la presque totalité du globe», étaient des « membres de la diaspora (d’ascendance ashkénaze) US» : Robert Mercer, financier et fondateur en 2013 de Cambridge Analytica et bien sûr Marc Zuckerberg qui, à l’insu de son plein gré, a accordé à «son petit camarade» Mercer le siphonnage de 87 millions de comptes Facebook pour alimenter la «machine à manipuler»

L’analyse détaillée de l’entourage et des soutiens du président français ne laissent aucun doute sur le rôle joué par le lobby pro-Israël dans son très modeste succès à l’élection présidentielle – 39 millions d’électeurs sur 47,6 millions d’inscrits avaient tout de même oublié de voter pour lui en avril 2017. La politique étrangère pro-israélienne française résulte directement de cet épisode peu glorieux de notre démocratie, voir pour ceux qui doutent :

Une telle image vaut mieux qu’un long discours …

Si l’on veut trouver une explication à la frappe conjointe et illégale d’avril 2018 contre la Syrie réalisée par ce «gang des trois», elle est donnée de manière très claire dans les propos qui précèdent.

On me rétorquera qu’il y a tout de même quelques divergences dans les politiques des USA du Royaume-Uni et de la France, concernant notamment l’accord sur le nucléaire iranien. Je réponds qu’il n’en est rien et qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

S’agissant de l’accord nucléaire iranien, si la France et le Royaume-Uni continuent de le soutenir, en discours et en paroles, force est de constater aujourd’hui que ces deux états n’ont strictement rien fait de concret pour le maintenir vraiment par des actes. Il y a bien le mécanisme INSTEX, mais aucune grande entreprise ne l’utilise. L’essentiel des échanges commerciaux est désormais interrompu, ce qui porte préjudice à l’Iran. Si l’on s’en tient aux faits, la France et le Royaume-Uni se sont donc, de manière subtile, retirés de l’accord tout en faisant semblant de le soutenir. Il ne s’agit pas vraiment d’un soutien de l’accord, mais d’une «apparence» de soutien.

L’annonce du retrait des forces US de Syrie, a été fortement médiatisée mais peu suivie d’effets sur le terrain. Ma conviction sur ce sujet est la suivante : les forces US ne sont pas prêtes à se retirer de Syrie ou d’Irak dans les mois qui viennent, en dépit de quelques mouvements de troupe. Le président Trump, sous l’influence et les fortes pressions des bellicistes néocons pro-Israël, aura du mal à s’extraire du bourbier moyen-oriental.

Venons en maintenant à la politique et à la diplomatie du camp qui s’oppose à la coalition occidentale sous la houlette de la Russie, de l’Iran et de la Turquie. C’est une politique et une diplomatie qui viennent «en réaction» aux mesures agressives prises par les occidentaux.

Subtil mélange de fermeté, de constance, de détermination et de modération, cette politique et cette diplomatie sont incontestablement gagnantes si l’on s’en tient à l’observation des faits : retour très progressif de la paix sur une large part du territoire syrien, réouverture progressive des ambassades à Damas, reconquête, jour après jour, des territoires encore sous contrôle des terroristes. Le temps joue aujourd’hui en faveur du groupe Russie-Iran-Turquie.

La fidélité sans faille de la Russie à l’allié syrien contraste avec les revirements permanents de la diplomatie US et donne une grande crédibilité au président Poutine à l’échelle mondiale. Il suffit de regarder une carte pour réaliser que la fidélité russe sera la même avec l’allié iranien, pour peu que ce dernier ne commette pas de faute majeure, dans la partie de poker-menteur qui l’oppose à Washington.

Ma conclusion est pessimiste pour le clan occidental.

Dans le bras de fer opposant aujourd’hui le monde occidental et l’OTAN, qui souhaitent maintenir leur suprématie, à l’Organisation de Coopération de Shangaï et aux nombreux états qui la soutiennent, et qui souhaitent, eux, l’avènement d’un monde multipolaire, il est clair que le temps joue en faveur des seconds.

En effet, ce n’est probablement ni la guerre, ni la force militaire qui désigneront le vainqueur. C’est l’économie et la démographie qui emporteront la décision.

Sur ces deux plans, la coalition occidentale est en état d’extrême fragilité. L’énormité des dettes accumulées par les USA et leurs principaux alliés, le fait que ces dettes continuent d’exploser hors de tout contrôle, la dédollarisation progressive de l’économie mondiale, les déficits budgétaires et commerciaux US énormes et sans amélioration significative, les bulles spéculatives boursières, elles aussi hors de tout contrôle, tout cela mènera inéluctablement à une crise économique, financière et/ou boursière telle que le monde n’en a jamais connu.

Cette crise sera aggravée par des mouvements migratoires d’une amplitude qui n’a jamais existé dans l’histoire. Il sera trop tard pour que les occidentaux puissent espérer réagir et les contrôler.

Cette crise qui peut survenir à tout moment, de manière brutale, dans les cinq ans à venir va rebattre les cartes de la hiérarchie mondiale des grandes puissances. Les USA seront les plus affectés et y perdront leur suprématie. L’Union européenne suivra probablement de près. Le monde entier sera évidemment concerné mais à des degrés divers.

Il n’y aura guère de vainqueurs mais il y aura de grands vaincus. Quelle sera la capacité résiduelle de nuisance de la coalition occidentale au Proche et au Moyen Orient ? Probablement beaucoup plus faible qu’aujourd’hui pour ne pas dire nulle.

Des mouvements de populations sans précédent dans l’histoire agiteront la planète et déstabiliseront des régions entières. Là encore, l’Union européenne affaiblie par la crise et par ses divisions sera en première ligne. Il n’y a certes pas lieu de se réjouir de telles perspectives, mais elles changeront totalement la donne de la géopolitique mondiale. Il faut s’y préparer.

Dominique Delaware

L’auteur est ancien chef «Situation-Renseignement-Guerre électronique» à l’État major interarmées de planification opérationnelle

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