Les parlementaires européens viennent de voter, cette semaine, pour une résolution appelant à de plus grandes «capacités institutionnelles pour contrer la propagande inspirée par le Kremlin». Le vote a été adopté par la commission des Affaires étrangères de l'UE et sera soumis au parlement européen le mois prochain. Si cette résolution est votée, alors la prochaine étape serait de mettre en place des mécanismes institutionnels pour bloquer l'accès aux médias russes. Finian Cunningham
Par Finian Cunningham – Le 13 octobre 2016 – Source Strategic culture
Cela paraît énorme, mais les pays occidentaux semblent se déplacer, inéluctablement, vers l’interdiction des médias d’information russes émis par satellites et par internet. Cette conclusion – aux implications éthiques et politiques énormes – semble être la conclusion logique d’une campagne transatlantique de plus en plus frénétique pour diaboliser la Russie.
Washington, Londres et Paris semblent coordonner une attaque médiatique sans précédent en accusant la Russie de presque tous les méfaits imaginables, de crimes de guerre en Syrie, de menacer la sécurité de l’Europe, d’abattre des avions civils, de subvertir les élections présidentielles américaines. Et ce n’est qu’un échantillon.
Le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, a déclaré cette semaine que la Russie est en danger de devenir un «État paria». Pourtant, cette affirmation a moins à voir avec la conduite réelle de la Russie, qu’avec l’objectif souhaité par la politique occidentale à l’égard de Moscou – isoler et présenter la Russie comme un paria international.
Si la Russie peut être suffisamment diabolisée aux yeux du public occidental par leurs gouvernements, le contexte sociologique sera créé pour que des mesures drastiques soient prises, mesures qui seraient autrement considérées comme des infractions inacceptables au système démocratique. Mesures qui vont bien au-delà des sanctions économiques et franchissent la ligne de la censure médiatique. Comme c’est bizarre ! Le «monde libre» qui déplore «l’autoritarisme russe» se dirige vers la censure des médias et le contrôle de ce qu’il considère comme «pensée criminelle».
Les parlementaires européens viennent de voter, cette semaine, pour une résolution appelant à de plus grandes «capacités institutionnelles pour contrer la propagande inspirée par le Kremlin». Le vote a été adopté par la commission des Affaires étrangères de l’UE et sera soumis au parlement européen le mois prochain. Si cette résolution est votée, alors la prochaine étape serait de mettre en place des mécanismes institutionnels pour bloquer l’accès aux médias russes.
L’hostilité envers la Russie, montrée par le libellé de la résolution de cette semaine, ne peut être décrite que comme enragée, sinon au bord de la paranoïa. Le gouvernement russe a été accusé de mener activement une «campagne de désinformation», de «cibler des politiciens et des journalistes de l’UE», et de «perturber les valeurs démocratiques dans toute l’Europe». En bref, Moscou est accusée de comploter pour la chute du bloc européen.
Il convient de noter particulièrement que le sinistre comité des affaires étrangères de l’UE a accordé une attention particulière à «un large éventail d’outils et d’instruments, tels que les stations de télévision multilingues et organismes de pseudo information faits pour diviser l’Europe».
Donc, non seulement le gouvernement russe est témérairement accusé d’abriter des plans subversifs et destructeurs contre les États européens, mais ses médias d’information professionnels sont considérés comme des armes russes présumées de guerre hybride. L’État russe est diabolisé comme un ennemi étranger, et ses médias font partie de l’arsenal de guerre hybride. En d’autres termes, les services russes légitimes d’information du public sont délégitimés par le Parlement européen.
Évidemment, les canaux médiatiques professionnels comme RT et Sputnik sont nommés «pseudo agences de presse» et «outils de propagande du Kremlin».
La critique souvent faite au sujet de ces chaînes russes, qu’elles «appartiennent à l’État» et sont financées par le gouvernement, n’est pas valide. Car Voice of America, Radio Free Europe, BBC, France 24 et Deutsche Welle, pour ne citer que quelques-uns des diffuseurs occidentaux, appartiennent à l’État. En réalité, le financement alloué aux médias par les gouvernements occidentaux est plusieurs fois supérieur à celui de la Russie.
L’agressivité occidentale pour délégitimer les médias populaires de la Russie a augmenté au cours des derniers mois. Le mois dernier, par exemple, l’alliance militaire de l’OTAN, sous commandement américain, a publié encore un autre rapport avertissant: «L’Occident est en train de perdre la guerre de l’information contre la Russie.»
Est-il légitime de se demander ce qu’une organisation supposée se consacrer à la sécurité militaire vient mettre son grain de sel dans les domaines du journalisme et du service d’information public ?
Un rapport de Voice of America ajoutait : «L’Occident doit intensifier ses efforts pour combattre et contrer la guerre de l’information menée par ses adversaires, selon les responsables de l’OTAN. Ils avertissent que des pays comme la Russie exploitent la liberté de la presse dans les médias occidentaux, pour répandre la désinformation.»
Remarquez comment il est insinué que la Russie est en quelque sorte sournoisement en train d’«exploiter» la liberté de la presse en Occident. Sous-entendu que des sanctions contre les médias russes seraient justifiées par les transgressions alléguées.
Pendant ce temps, le mois dernier, le directeur de la National Intelligence états-unienne, James Clapper Jr, aurait informé les membres du Congrès au sujet de la «guerre de l’information» russe. Il a nommé RT et Sputnik comme des armes médiatiques russes dans la «guerre de l’information». Leur but, selon Clapper, est de subvertir les sociétés occidentales en utilisant des groupes radicaux et de semer la confusion dans le public.
Cela indique une détérioration dramatique dans les relations Occident-Russie, quand les médias de masse russes sont considérés comme des armes ennemies. Une telle pensée trahit aussi comment les dirigeants politiques occidentaux dégénérés ont sombré dans les stéréotypes de la guerre froide; et comment ils sont disposés à aller plus loin pour diaboliser la Russie.
Depuis que la politique tant vantée de «reset» amical envers la Russie, sous le président américain Barack Obama, a été abandonnée, vers 2011, l’hostilité de Washington et de ses alliés européens est montée crescendo jusqu’aux niveaux actuels, digne de l’hystérie.
Probablement le facteur clé de la raison pour laquelle Washington a abandonné sa politique de remise à zéro est qu’elle a réalisé que le président russe Vladimir Poutine n’est pas aussi facile à manipuler que son prédécesseur Boris Eltsine, qui s’est lâchement soumis à l’hégémonie américaine, que ce soit sur des questions d’intérêts géopolitiques, de finance mondiale, ou de guerres pour les ressources à l’étranger. Poutine n’a rien voulu entendre. La Russie ne sera pas un État vassal américain, comme les États de l’Union européenne sont visiblement disposés à l’être.
C’est à cause de l’indépendance et de l’audace de la Russie à dénoncer les incartades américaines à l’égard du droit international, par exemple dans sa conduite de guerres illégales et de changement de régime au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Ukraine, que Washington trouve son attitude si intolérable.
Lorsque les médias allemands lui ont demandé récemment pourquoi l’Occident est si hostile envers lui, Poutine aurait répondu par un seul mot: «La peur».
Par cela, le dirigeant russe ne voulait pas dire que l’Occident avait peur d’être attaqué militairement par la Russie. Cela voulait dire que la crainte était due à la puissance de son expression. Un fort contre-poids à la conduite impérialiste menée par les USA est une négation puissante à la soi-disant suprématie américaine unipolaire sur le monde entier. Cela signifie que le monde n’est pas le paillasson de l’assujettissement américain. Le défi de la Russie à l’hégémonie américaine est un signe avant-coureur d’un monde multipolaire, celui dans lequel l’Amérique et ses filiales européennes doivent commencer à travailler avec d’autres nations, d’égal à égal et dans les limites mutuelles du droit international, et non pas comme des renégats au-dessus de la loi.
La Syrie en est une illustration classique. Washington et ses alliés britanniques et français, ainsi que des États clients régionaux, ont présumé qu’ils pouvaient instiguer une autre opération illégale de changement de régime dans ce pays arabe, comme ils l’avaient fait auparavant en Libye, en Irak et en Afghanistan. L’intervention militaire de la Russie en appui à son allié syrien a été une démonstration forte du fait que les techniques de changement de régime par l’Occident n’étaient plus tolérées. En outre, l’intervention de la Russie a également exposé l’implication criminelle secrète de Washington et de ses partenaires, dans l’utilisation de mandataires terroristes pour procéder à un changement de régime.
La même chose peut être dite sur l’Ukraine, où le soutien politique de la Russie aux séparatistes ethniques russes a empêché que le coup d’État de Washington à Kiev, en février 2014, ne transforme le pays tout entier en un régime aux ordres des Américains.
C’est la raison pour laquelle Washington craint la Russie sous Poutine. Elle devient un obstacle à sa domination mondiale totale, comme prévue par les idéologies impérialistes américaines suite à l’effondrement de l’Union soviétique.
Cependant, la Russie est plus qu’un simple obstacle. Dans la conduite de sa politique étrangère indépendante, la Russie expose les crimes américains de déstabilisation du monde et de sponsor du terrorisme. La Russie a également exposé la servilité pathétique et la complicité des États européens, des médias occidentaux et des Nations unies, à se plier aux ambitions hégémoniques de Washington.
La politique étrangère de la Russie est, bien sûr, tout à fait légitime. Mais du point de vue de Washington, elle représente un défi intolérable à ses désirs tyranniques. À cette fin, la Russie doit être métamorphosée en un État ennemi. Et les dirigeants européens serviles vont de pair avec cet ordre du jour, afin de dissimuler leur complicité odieuse.
Ce qui se passe est que les médias de presse russes ont manifesté leur indépendance journalistique et leurs analyses critiques des grands événements mondiaux, en montrant ce qui se passe réellement en Syrie et en Ukraine. Que les gouvernements occidentaux sont probablement en train de soutenir secrètement des réseaux terroristes utilisés pour un changement de régime, de manière illégale. Si cela semble exagéré et ressemble à des «commentaires injustes», c’est seulement parce que les médias occidentaux ont échoué à exposer les fausses informations et affirmations de la part de leurs propres gouvernements. Mais cela ne délégitime pas la qualité du journalisme russe. Cela en fait même un exemple de journalisme recommandable.
Dire que les États occidentaux sont frustrés par la Russie est un euphémisme. Ils sont livides, comme on peut le voir dans la façon dont leur entreprise criminelle de changement de régime en Syrie a été mise en déroute. D’où les efforts occidentaux visant à accuser la Russie de «crimes de guerre» et d’être comparable à l’Allemagne nazie.
Combinez cette diabolisation avec les revendications sensationnelles affirmant que la Russie cherche à subvertir les démocraties occidentales, et cela donne ce climat politique toxique, qui devient propice à des mesures de plus grande portée.
C’est d’une logique réductionniste incroyable : la Russie est assimilée à un État ennemi, et les médias russes sont de simples machines à propagande ennemie.
Comme le suggère le vote des législateurs européens de cette semaine sur la lutte contre les médias russes, la prochaine étape logique est l’interdiction pure et simple des chaînes d’information russes, celles télévisées comme celles sur internet.
Mais comme Margarita Simonyan, la rédactrice en chef de RT, l’a déclaré à Deutsche Welle, le mouvement draconien visant à interdire les médias russes ne fait que démontrer que les revendications occidentales sur la «liberté d’expression» ne sont que rhétoriques vides.
«C’est une interprétation plutôt intéressante des valeurs occidentales tant vantées, en particulier celle sur la liberté d’expression – qui dans les faits veut apparemment dire attaquer une des rares voix de dissidence parmi des milliers de médias européens», a ajouté Simonyan.
Les standards des gouvernements occidentaux ressemblent à ceux d’un despote.
Incapables de parvenir à leurs objectifs, même en violant le droit international et en déclarant la guerre à qui, quand et où ils veulent, ils se jettent alors sur des pays résistants comme la Russie, au point où la Russie est étiquetée comme État ennemi susceptible d’une attaque militaire.
Et quand des médias exposent ces doubles standards et cette hypocrisie occidentale criminelle, alors ces médias sont également fustigés comme propagande de l’ennemi et doivent être fermés et interdits.
La décadence occidentale est vraiment en train de rejoindre le caniveau de la corruption et de l’absurdité. Mais cela n’est dû qu’à elle-même, en raison de son propre effondrement interne, sous le bellicisme et le mauvais management de son oligarchie. Et le public occidental le réalise de plus en plus, avec ou sans l’aide russe.
Tirer sur le messager n’annule pas le sens du message.
Finian Cunningham
Article original publié sur Strategic Culture
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
Voici un article de Sputnik en français, du 14 octobre, qui reporte une autre attaque, menée par une députée polonaise du parlement européen, contre les médias russes : «Dans une proposition de résolution hallucinante, la présidente polonaise de la sous-commission défense et sécurité du Parlement européen réclame le soutien des centre de communication de l’Otan pour mettre fin aux activités subversives des agences publiques de presse russes… et des terroristes de État islamique.» Et encore un autre article de Sputnik en francais, du 17 octobre, qui montre que l'europe a depassé le stade des menaces pour passer à l'attaque contre le journalisme russe. Les comptes bancaires de Russia Today, basés à Londres, ont été fermés d'office par la banque NatWest, sans aucune explication.