Les signes que nous vivons un moment de bascule historique


Par Eric Zuesse − Le 16 février 2022 − Source Oriental Review

Il semble qu’aujourd’hui, ce 15 février 2022, est le jour où l’hégémonie étasunienne — l’empire étasunien global, lancé le 25 juillet 1945 avec le début de la Guerre Froide — a véritablement pris fin, et lorsque l’équilibre mondial des pouvoirs a basculé des mains des États-Unis et de leur alliance militaire européenne de l’OTAN (l’“Occident” collectif), contre la Russie ; pour passer, au lieu de cela, en Asie (“l’Orient” collectif), dans un avenir pas si lointain.

Le préliminaire immédiat à ce point d’inflexion, qui est aujourd’hui en action, a été Nick Parker, du Washington Post de Jeff Bezos, et Jerome Starkley, du Sun de Rupert Murdoch, qui a titré, sur le site internet News.Com australien de M. Murdoch, la Russie va incessamment attaquer l’Ukraine, et annoncé que “Vladimir Poutine va probablement frapper sans prévenir — probablement demain, selon le US Sun.

Le premier signe de ce changement s’est de fait produit aujourd’hui (également le 15 février), avec le titre de RT News, l’organe de presse russe : “‘L’Occident a été détruit sans tirer un seul coup de feu’ — Russie : le ministre russe des affaires étrangères a annoncé le 15 février comme ‘journée où la propagande occidentale a perdu’“, et débuta ainsi :

Avec la Russie qui annonce que ses soldats se retirent suite à la fin des exercices aux abords de la frontière avec l’Ukraine, Moscou a insisté sur le fait que les prédictions selon lesquelles elle allait instamment ordonner une invasion tous azimuts se sont révélées fausses.

Dans une déclaration ardente parue ce mardi, Maria Zakharova, porte-parole du ministère des affaires étrangères, a fait part de son mépris au sujet des semaines de rapports et d’affirmations en provenance des dirigeants étasuniens et européens sur le fait que les forces armées de Moscou pourraient être à quelques heures de lancer une attaque contre son voisin.

“Le 15 février 2022 restera dans l’histoire comme journée où la propagande de guerre occidentale a perdu,” écrit-elle. Selon elle, l’Occident a été “réduit à la honte et à la destruction sans qu’un seul coup de feu ait été tiré.”

Dans le même temps, le ministre de la défense de Moscou a annoncé que divers soldats russes avaient terminé leurs entraînements au Belarus, aux abords de la frontière ukrainienne, et s’apprêtaient à entamer leur retrait…

Le second signe du fait que cette bascule se produit aujourd’hui est plus compliqué à expliquer, et a trait au fait géopolitique suivant : la Turquie reste, dans tous les cas, une puissance mondiale essentielle, en raison du fait géostratégique immuable qu’elle contrôle tous les accès entrant et sortant de la Mer Noire depuis la Méditerranée, et ainsi entrant et sortant de l’Océan Atlantique, car la Turquie contrôle les deux étroits passages maritimes connus sous le nom de Détroits de Turquie (le Bosphore et les Dardanelles), qui sont sur le chemin entre le port en eaux profondes dont dispose la Russie en Crimée, d’un côté, et la Mer Méditerranée et l’Océan Atlantique, de l’autre côté. (L’intention d’Obama de transformer ce port en eaux profondes en nouvelle base navale étasunienne constituait l’une de ses principales motivations pour son coup d’État en Ukraine en 2014, dont la Crimée a fait partie sur la période 1954-2014, après avoir été une région de la Russie depuis 1783.)

D’une autre importance est ici le fait que la Turquie fait partie, depuis 1952, de l’OTAN, l’alliance militaire montée par les États-Unis contre la Russie. Cela a donné à la Turquie un pouvoir essentiel contre la Russie, car cela permet à la Turquie de laisser passer les navires de l’OTAN en Mer Noire, et d’empêcher les navires russes de quitter la Mer Noire et leur port de Sébastopol, en Crimée, qui est le seul port en eaux non-gelées et en eaux profondes de la région où les Russes peuvent amarrer de grands navires de guerre. En d’autres termes, la puissance navale de la Russie en Atlantique ne peut être entravée QU’AVEC le concours de la Turquie.
Qui plus est, le 15 février, Ibrahim Karagül, du journal turc Yeni Safak, qui est le porte-parole le plus clair et le plus fiable s’exprimant au nom de Recep Tayyip Erdoğan, président turc, a publié en titre : La Crise en Ukraine ne va faire que s’envenimer. L’Occident va s’installer en Mer Noire. L’objectif principal de l’Occident est de déclencher une guerre Turquie-Russie. Erdoğan et Poutine doivent y mettre fin ! et ajouté :

Depuis exactement trente années, la guerre a fait rage au Sud de la Turquie. Les invasions, les guerres civiles, et les conflits ethniques et sectaires sont courants entre la Mer Rouge et l’Afghanistan. Des millions de gens ont péri, des villes ont été réduites en ruines, et des pays se sont effondrés.

Toutes ces guerres ont été lancées par les États-Unis et l’Europe. Tous ces massacres ont été commis pour promouvoir les intérêts étasuniens et européens. Des pays se sont effondrés du fait de la cupidité étasunienne et européenne.

Le prix le plus élevé que nous avons payé au XXIème siècle

Nul n’a même daigné suggérer que ces pays avaient leurs propres problèmes à gérer. Ce fut le plus gros mensonge avec lequel ils nous ont bernés. Ces problèmes n’ont jamais été les raisons sous-jacentes aux guerres en question. Mais nous avons cru en la majorité des excuses qu’ils ont fabriquées.

Nous nous sommes soumis mentalement aux sales plans des États-Unis et de l’Europe, à leurs attaques sanglantes, et à leurs énormités. Nous nous sommes auto-convaincus avec leurs justifications.

C’est cela, le prix le plus élevé que nous avons payé au cours du XXIème siècle. Ces guerres, invasions, conflits internes, et organisations terroristes ont été lancées pour souscrire aux projets des États-Unis et de l’Occident…

Ils ont commis des génocides, détruit des nations, sacrifié des pays pour le bien-être de New York et de Paris, et pour le confort de Londres. Ils se sont battus contre l’Islam, contre des millions de Musulmans. L’Occident continue de déclencher des guerres à travers le monde pour ses intérêts propres et sa sécurité.

Ils fomentent désormais une nouvelle guerre au Nord de nos positions, en Mer Noire. Cette fois-ci, la victime est l’Ukraine. Ils promeuvent l’expansionnisme russe. Ils promeuvent la sécurité européenne. Un front massif est en cours de construction du Nord au Sud, de la Pologne à l’Ukraine, de la Roumanie à la Bulgarie et à la Grèce.

Tous ces pays sont menés vers le front, contre la Russie, pour assurer la sécurité de l’Europe. Ils ne prennent pas le risque pour eux-mêmes ; ils utilisent des pays pour faire front et arment des nations.

Provoquer la Russie

L’Occident, la force directrice derrière tout ceci, ne se lève jamais directement contre la Russie. Au lieu de cela, il essaye de provoquer la Russie à attaquer ces pays. Son projet est d’occuper la Russie avec des guerres sans fin, et la faire s’effondrer au prix de la destruction des pays à ses frontières. Il s’agit d’un jeu, et chacun de ces pays est une victime sacrifiée à l’Occident…

Il s’agit de la tactique indéfectiblement suivie par l’Occident. Ils ont tenté de faire cela dans tous les pays. Ils ont essayé de faire la même chose contre la Turquie au cours des cinquante dernières années. C’est une arnaque absolue.

Il ne peut pas y avoir de guerre en Mer Noire !

Une Mer Noire spécifique à l’Ukraine est inacceptable du point de vue de la Turquie. Nous ne pouvons pas l’accepter, que ce soit pour les États-Unis et l’Europe, ou pour la Russie. Ceci va déstabiliser le Nord de la Turquie des décennies durant, et y installer le désordre.

Oui, la Turquie est un pays membre de l’OTAN. Oui, la Turquie est alliée aux États-Unis et à l’Europe. Oui, il s’agit d’un État très important pour l’alliance Atlantique.

Mais n’oubliez pas que ce sont ces mêmes alliés qui sont à la source de la menace terroriste en Irak du Nord, en Syrie du Nord, dans l’Est de la Méditerranée, la Mer Égée, et les attaques intérieures comme le putsch de 2016 [Je fais référence à ceci].

La source de toutes ces menaces, identifiée actuellement par la Turquie, est les États-Unis et l’Europe. Il fait identifier spécifiquement chaque événement. On retrouve les États-Unis et l’Europe derrière chacun d’entre eux. Mais la Turquie doit-elle se laisser berner ?

Le projet occidental de s’installer en Mer Noire

La crise entre la Russie et l’Ukraine doit être évitée. La Russie comme l’Ukraine doivent se tenir tranquilles. Ils ne doivent pas tomber dans le “Grand Jeu” mené par l’Occident. Tout ce que ce dernier veut est de provoquer la Russie, d’encourager l’Ukraine, et de s’installer en Mer Noire.

Tel est le projet final. Le projet des États-Unis et de l’Europe est de s’installer en Mer Noire !

La Turquie est une proche alliée et amie de Kiev. Il s’en est suivi des partenariats extraordinaires en technologie militaire, ainsi que dans de nombreux autres domaines. La Crimée est un sujet national pour la Turquie, et un sujet sensible. Notre partenariat avec l’Ukraine doit être préservé et renforcé.

Ils installent un jeu de guerre entre la Turquie et la Russie

La Turquie et la Russie sont alliées Cette alliance relève de l’intérêt à la fois de la Turquie et de la Russie. Les deux pays en ont besoin. Cette amitié s’est développée malgré toutes les provocations lancées par l’Occident pour déclencher la guerre entre les deux pays…

La Russie, l’Ukraine et la Turquie doivent se lever et rester inflexibles face à la prise de contrôle par les États-Unis et l’Europe sur la Mer Noire, et fermer tous les chemins amenant à un tel résultat.

Si nous n’y parvenons pas, la seconde phase de la crise consister a à faire s’affronter la Turquie et la Russie. Il s’agit de l’objectif final de l’Occident. Après l’Ukraine, ils vont lutter pour monter la Turquie contre la Russie.

La Turquie est consciente de la menace. Le président Erdogan lutte pour l’enrayer.

Si les États-Unis et l’Europe s’installent en Mer Noire, une guerre entre la Turquie et la Russie deviendra inévitable. Si ceci se produit, la Russie et la Turquie se verront toutes deux incapables d’empêcher ce conflit.

L’Occident identifie désormais la Turquie comme une menace, à l’instar de la Russie. Il projette d’épuiser les deux pays en un seul coup, en les faisant s’affronter, pour éliminer les deux.

La Turquie en est consciente. La récente visite menée par le président Recep Tayyip Erdoğan à Kiev indiquait un grand soutien envers l’Ukraine. Il se peut qu’il ait également averti l’Ukraine à certains sujets.

Sa déclaration à son retour de cette visite : “Malheureusement, l’Occident n’a rien eu à apporter pour résoudre ce problème. En pratique, l’Occident crée de nouveaux obstacles,” révèle la vérité abrupte…

Il s’agit de la seule et unique chance pour le monde. Nous devons sauver la Mer Noire. Nous devons prévenir sa prise de contrôle par les États-Unis et l’Europe. Si notre tentative obtient la moindre once de réussite, la Turquie se transformera en un géant diplomatique.

Les États qui accordent leur confiance à l’Occident sont voués à leur perte

La visite de Vladimir Poutine en Chine, le soutien qu’il a reçu, Moscou et Pékin présentant un front commun contre l’Occident, autant d’indicateurs que la portée de la crise dépasse largement l’Ukraine.

Il s’agit d’une guerre entre l’Orient et l’Occident, et nous ne devrions pas la prendre à la légère.

Après le retrait des États-Unis hors d’Afghanistan, après que ce peuple a été abandonné du jour au lendemain et laissé à la famine, cette réalité est désormais globale :

Aucun pays, aucune nation ne peut rester debout en croyant les États-Unis et l’Europe. Plus les pays vont s’éloigner des États-Unis, plus ils vont se renforcer.

L’Occident n’est pas le centre du monde

Un nouvel avenir est en cours de construction en dehors des États-Unis et de l’Occident. L’Occident n’est plus le centre du monde, et ne le sera plus jamais. L’Occident est devenu un bloc parmi les autres sur la carte du pouvoir mondial. La période de régression va commencer, à présent que cette période de stagnation touche à sa fin.

Chaque nation doit prendre cela en compte dans ses plans.

Il s’agit clairement d’une annonce semi officielle de la part de la Turquie : elle est désormais alliée à “l’Orient” contre “l’Occident”. L’OTAN, alliance militaire des États-Unis contre la Russie est clairement désormais en péril, au bord de l’effondrement — la fin de l’adhésion de la Turquie à l’OTAN (qui aura duré 70 années) est déjà dans les cartes. Et le positionnement central de la Turquie dans le conflit qui voit s’affronter pour l’Ukraine les États-Unis et la Russie est indéniable.

Ces faits se trouvant établis comme fondation, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de ne pas voir l’OTAN — l’organisation de vente et de marketing la plus importante pour les fabricants d’armes étasuniens, qui sont devenus la figure de proue du contrôle du gouvernement étasunien sur le monde — éclater. Il ne s’agit plus que d’une affaire de temps : reste à savoir “quand” et non plus “si” cela va se produire.

Eric Zuesse

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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