Les relations de Trump avec la Russie et la Chine : un renouveau de la doctrine d’Henry Wallace pour le monde d’après-guerre ?


Par Matthew Ehret − Le 6 juillet 2019 − Source Strategic Culture

Ehert

Au cours du G20, d’importants accords et alliances ont été conclus entre la Russie, la Chine et les États-Unis, ce qui indique que le Président Trump n’est pas « un néo-démocrate de plus » comme certains de ses détracteurs cyniques l’avaient affirmé. Au contraire, il travaille actuellement à replacer les États-Unis au sein d’une alliance stratégique avec les superpuissances eurasiennes.

C’est ce qu’on a vu avec son annonce de la levée de l’interdiction de Huawei auprès des entreprises américaines, sa promesse d’annuler les 300 milliards de dollars supplémentaires de droits de douane avec la Chine, l’annulation des sanctions contre la Turquie pour l’achat du système de défense russe S-400 (qui rend obsolète une bonne partie du bouclier antimissile de l’OTAN contre la Russie), sans oublier la visite historique du président dans la DMZ nord-coréenne pour rencontrer Kim Jong-Un.

Bien qu’il n’en ait pas été question explicitement lors de l’événement, tout le monde avait à l’esprit la crise du système bancaire transatlantique, qui craque de tous côtés et déborde maintenant de plus de 700 000 milliards de dollars de produits dérivés, ainsi que la bulle de dette des entreprises dont la Banque des règlements internationaux prévient qu’elle sera un équivalent de l’effondrement des obligations à risques [de 2008, NdT.] La question de savoir si les États-Unis seraient disposés à se mettre en phase avec le nouveau système piloté par l’initiative de la Nouvelle Route de la Soie est une question à laquelle seul un décérébré pourrait refuser de réfléchir.

Alors que certains commentateurs tentent de présenter cette réorientation émergente des affaires internationales comme un simple « truc pour se faire réélire », la réalité va beaucoup plus loin que beaucoup le réalisent. En effet, Trump puise simplement dans une stratégie américaine fermement établie lors de son 3ème mandat par le Président américain Franklin Delano Roosevelt en 1941-1944 et son fidèle collaborateur Henry A. Wallace. Les deux avaient planifié un grand projet en vue d’un nouvel ordre mondial entre les États-Unis, la Russie et la Chine, fondé sur des principes inscrits dans la Charte de l’Atlantique et énoncés dans son discours de 1942 intitulé « Century of the Common Man » (Le siècle de l’homme du quotidien).

Le combat de Wallace pour un ordre mondial plus juste

Pendant qu’il était Vice-président de FDR, Wallace écrivit dans son livre de 1944 intitulé Our Job in the Pacific (Notre boulot dans le Pacifique) :

Il est vital pour les États-Unis, il est vital pour la Chine et il est vital pour la Russie qu’il y ait des relations pacifiques et amicales entre la Chine et la Russie, la Chine et l’Amérique et la Russie et l’Amérique. La Chine et la Russie s’additionnent et se complètent sur le continent asiatique, les deux complètent la position des États-Unis dans le Pacifique.

Dans un autre article du Survey Graphic Magazine intitulé « Two Peoples-One Friendship » (Deux peuples, une amitié), Wallace décrit en 1944 le destin commun des États-Unis et de la Russie par un développement arctique mutuel et des liaisons de transport à travers le détroit de Béring :

De toutes les nations, la Russie possède la combinaison la plus puissante avec une population en croissance rapide, de grandes ressources naturelles et une expansion immédiate de ces compétences technologiques. La Sibérie et la Chine constitueront la plus grande frontière de demain. [… ] Lorsque Molotov [le ministre des Affaires étrangères de la Russie] était à Washington au printemps 1942, je lui parlai de l’autoroute et de la voie aérienne combinées qui, je l’espère, relieront un jour Chicago à Moscou via le Canada, l’Alaska et la Sibérie. Molotov, après avoir observé qu’aucune nation ne pourrait faire ce travail par elle-même, déclara que lui et moi vivrions pour voir le jour de sa réalisation. Cela signifierait beaucoup pour la paix future s’il pouvait y avoir un lien concret de ce genre entre l’esprit pionnier de notre propre Occident et l’esprit pionnier de l’Orient russe.

Exprimant un mode de pensée à long terme et une sensibilité à l’égard de la psyché asiatique rarement vue chez les Occidentaux, Wallace écrivait que :

L’Asie est en mouvement. L’Asie se méfie de l’Europe en raison de son « complexe de supériorité ». Nous devons donner à l’Asie une raison de nous faire confiance. Nous devons montrer à la Russie et à la Chine, en particulier que nous avons foi en l’avenir de l’homme moyen dans ces deux pays. Nous pouvons être utiles à la fois à la Chine et à la Russie, et nous pouvons être utiles à nous-mêmes et à nos enfants. En planifiant aujourd’hui nos relations avec la Russie et la Chine, nous devons penser à la situation mondiale telle qu’elle sera dans quarante ans.

Mais alors, que s’est-il passé ?

Avec la mort prématurée de Franklin Roosevelt en avril 1945, les laquais de Wall Street (beaucoup d’entre eux étant des Fabiens et des boursiers de la fondation Rhodes), nichés au sein de la bureaucratie américaine, ont rapidement pris leur revanche sous la présidence de Harry Truman. Wallace fut rapidement rétrogradé au poste de Secrétaire au commerce, et les institutions de Bretton Woods comme le FMI et la Banque mondiale furent épurées de tous les économistes du New Deal, fidèles à la vision de FDR et Wallace pour le monde d’après-guerre. Cela se fit par la création d’un état policier fasciste sous le contrôle du FBI de Hoover et du Comité de la Chambre de McCarthy. Les enquêtes sur les activités anti-américaines permirent de mener une chasse aux sorcières qui détruisit la vie d’innombrables patriotes en les qualifiant d’« agents soviétiques ». La Loi sur la sécurité de 1947 invoquait le décret exécutif 9835 pour établir des « motifs raisonnables de croire qu’une personne est déloyale » et la congédier de n’importe quel poste du gouvernement.

Une des premières victimes de la chasse aux sorcières fut le premier directeur du FMI, Harry Dexter White, accusé d’être un espion soviétique [A juste titre semble-t-il, voir La Pravda Américaine, NdSF] et mort en 1948 après une audience auprès de McCarthy. Des agents de Wall Street comme John J. McCloy, Averell Harriman et George Keenan prirent rapidement le contrôle des banques et, modifiant le rôle d’émetteurs du crédit productif à long terme qu’elles étaient censées avoir, les réorganisèrent en instruments pour l’esclavage néo-colonial à l’échelle mondiale.

Le bellicisme immédiat de Truman envers la Russie entraîna l’annulation de sa souscription de 1,2 milliards de dollars à la Banque mondiale, à laquelle la Russie avait donné son accord en 1944, et le discours du rideau de fer de Churchill couronna la dynamique bipolaire de Destruction Mutuelle Assurée comme fondement des relations d’après-guerre. Au moment où Truman activait sa doctrine d’interventions américaines à l’étranger dans le nouveau cadre d’une Guerre froide contre l’expansion russe [à commencer par l’immixtion des États-Unis dans le conflit Grèce-Turquie orchestré par Londres au printemps de 1947. Il n’y a pas de guerre gréco-turque ouverte en 1947 à notre connaissance, mais sans doute Matthew Ehret a-t-il en tête les conditions diplomatiques à l’adhésion de la Turquie au Plan Marshall au moment où la Grèce était elle-même en état de guerre civile. NdT], Churchill déclara à Fulton, dans le Missouri :

Il ne sera pas possible d’empêcher la guerre avec assurance et d’assurer le succès continu de l’organisation mondiale si les peuples de langue anglaise ne forment pas ce que j’appellerai une organisation fraternelle. Cela implique l’établissement de relations spéciales entre l’Empire britannique et les États-Unis.

La doctrine Truman et la « relation spéciale » constituaient le renversement total de la politique de « communauté des principes » pour éviter les « intrications étrangères », préconisée par George Washington, John Quincy Adams et adoptés par FDR et Wallace.

La riposte de Wallace

Avant d’être congédié de son poste de Secrétaire au commerce en 1946 pour avoir prononcé un discours appelant à l’amitié américano-russe, Wallace mit en garde contre l’émergence d’un nouveau « fascisme américain » qui est devenu, ces dernières années, ce qu’on appelle l’État profond.

Le fascisme d’après-guerre propulsera inévitablement l’impérialisme anglo-saxon et, en fin de compte la guerre contre la Russie, Déjà, les fascistes américains parlent et écrivent sur ce conflit et l’utilisent comme une excuse à leurs haines internes et leur intolérance envers certaines races, croyances et classes.

Dans son livre Soviet Asia Mission (Mission en Asie soviétique, 1946), Wallace écrivait:

Le sang de nos garçons a à peine eu le temps de sécher sur le champ de bataille que ces ennemis de la paix tentent de jeter les bases d’une Troisième guerre mondiale. Ces gens ne doivent pas réussir leur mauvaise entreprise. Nous devons lutter contre leur poison en suivant les politiques de Roosevelt et en cultivant l’amitié avec la Russie dans la paix comme dans la guerre.

Henry Wallace ne disparut pas comme ses ennemis l’auraient voulu, et devint même un candidat de 3ème voie à la Présidence en 1948. Il acquit le soutien de grands patriotes et artistes, le moindre d’entre eux n’étant pas le célèbre activiste et chanteur afro-américain Paul Robeson qui déclencha un processus florissant à l’époque du Mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Les discours présidentiels de Wallace sont un appel à l’action qui peut éduquer et inspirer la génération d’aujourd’hui. C’est un rappel tragique que les Américains, qui avaient tant donné avec héroïsme pour arrêter le fascisme pendant la Seconde Guerre mondiale, ne surent pas arrêter l’émergence d’un nouveau fascisme au sein de l’Amérique elle-même et ne votèrent pas pour Wallace quand ils en eurent l’occasion.

Une dernière chance ?

Bien que John F. Kennedy ait tenté de ranimer l’esprit de FDR pendant ses trois années au pouvoir, son assassinat précoce, suivi de ceux de son frère, de Martin Luther King et Malcolm X, a saboté le réveil de la véritable Amérique constitutionnelle.

Bien des décennies après les assassinats des années 1960, beaucoup ne peuvent être blâmés pour avoir cru que tout espoir pour l’Amérique avait été perdu. Pourtant, malgré cette incrédulité, nous avons trouvé un Président américain luttant contre les mêmes structures de l’État Profond qui avaient pris le contrôle de l’Amérique en enjambant le cadavre de FDR. Non seulement ce Président rencontre les dirigeants de la Russie, de la Chine et de l’Inde, mais il appelle à de bonnes relations et à la fin de l’ère de la guerre.

Aujourd’hui, les grands programmes d’infrastructures fondés sur des emprunts qui ont incarné le New Deal sous Wallace et FDR continuent à vivre dans la surprenante initiative des Nouvelles routes de la Soie. L’ironie du sort veut que la Russie et la Chine sont devenues plus américaines que l’Amérique, qui a elle-même provoqué négligemment un demi-siècle de désordres dans le monde. Si le rêve de Wallace sera enfin relancé par une alliance États-Unis – Russie – Chine en vue d’un nouvel ordre économique plus juste, c’est ce que nous ne savons pas encore.

Matthew Ehret

Note du Saker Francophone

Comme quoi on peut avoir une lecture très différente de l'Histoire en se basant sur les mêmes acteurs. Humanistes pour les uns, traîtres pour les autres, ...

Traduit par Stünzi, relu par San pour le Saker francophone

   Envoyer l'article en PDF   

1 réflexion sur « Les relations de Trump avec la Russie et la Chine : un renouveau de la doctrine d’Henry Wallace pour le monde d’après-guerre ? »

  1. Ping : Les origines de l’État profond en Amérique du nord – 2/6 – Le Saker Francophone – DE LA GRANDE VADROUILLE A LA LONGUE MARGE

Les commentaires sont fermés.