Les événements en Grèce pourraient suivre le scénario chypriote ou argentin


 

Valentin Katasonov

Valentin Katasonov

Par Valentin Katasonov – Le 26 mars 2015 – Source strategic-culture

On peut décrire la position de l’actuel gouvernement grec par rapport à l’avenir du pays par ni guerre ni paix, si par guerre on entend la sortie de la Grèce de la zone euro et par paix le maintien du pays dans celle-ci. Toutefois, indépendamment de la position de la Grèce dans l’Union européenne, il lui est possible de s’écarter des sévères recommandations des créanciers étrangers.

 

D’ailleurs, l’introduction de la loi sur la crise humanitaire  par le nouveau gouvernement grec, et qui prévoit un certain nombre de mesures sociales pour un total de 200 millions d’euros, suggère que le deuxième terme de l’alternative est une option. La loi offre des coupons alimentaires et l’électricité gratuite aux pauvres et, ce qui est remarquable, elle a été adoptée sans le consentement des créanciers étrangers. La loi a suscité une réaction violente à Bruxelles (la Commission européenne), Francfort (la Banque centrale européenne) et Washington (le Fonds monétaire international), tandis que le quotidien allemand Bild qualifiait la loi de déclaration de guerre aux créanciers européens.

On peut s’attendre à ce que l’une des deux choses suivantes se produise ces tout prochains jours (pas plus d’une semaine): soit Athènes devra retirer la loi sur la crise humanitaire, soit la grande troïka (La Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI) prendront des mesures punitives contre la Grèce. Le coût de la loi (200 millions d’euros par an) n’est pas très élevé, mais c’est un précédent qui pourrait inciter la Grèce et d’autres débiteurs de la grande troïka en Europe à se livrer à de nouveaux actes de désobéissance.

Ce sera difficile pour Athènes de résister à la grande troïka, mais nullement désespéré, et il y a au moins deux raisons à cela.

Premièrement, Bruxelles, Francfort et Washington ne sont pas les seuls galets sur la plage. Athènes peut et devrait chercher des solutions au-delà des frontières de l’eurozone et de l’Union européenne. Le Venezuela, par exemple, a subi d’énormes pressions financières et économiques de la part des États-Unis, mais on a appris récemment que la Chine accordait au pays un prêt à long terme de 20 milliards de dollars pour développer son industrie pétrolière. La coopération avec la Russie pourrait donner un bon coup d’envoi au développement de la Grèce. Même le refus de cette dernière de participer aux sanctions économiques contre la Russie a déjà insufflé un peu de vie dans l’économie du pays, notamment son agriculture. Il a été rapporté que le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, doit se rendre à Moscou au début d’avril.

Deuxièmement, la position de la grande troïka devient de plus en plus précaire. Il est vrai que le niveau de la dette souveraine grecque est élevé, puisqu’elle atteint 170% du PIB (2014), mais dans de nombreux pays de l’UE, l’image n’est pas bien meilleure. En 2013, en Italie, par exemple, ce chiffre était égal à 132.6% du PIB, et au Portugal il se montait à 129% du PIB.

Lorsqu’on évalue la situation, il est important de ne pas seulement considérer le niveau de la dette souveraine (de l’État), mais la totalité de la dette extérieure. Bien qu’on ne puisse pas nier que la dette extérieure de la Grèce est élevée (elle était de 234% du PIB à la fin de 2012), sur ce plan les Grecs rendent la palme à de nombreux autres pays de l’UE. Les indicateurs relatifs de la dette extérieure pour certains pays de la Vieille Europe (en pourcents du PIB) sont les suivants: Suisse – 417; Grande Bretagne – 396; Pays-Bas – 360; Belgique – 338; France – 236; Portugal – 232. Qui plus est, la dette extérieure du moteur de l’UE, l’Allemagne, à 159%, n’est pas anodine non plus.

Avec la dette et la situation financière telle qu’elle est, Bruxelles (UE), Francfort (BCE) et Washington (FMI) ne peuvent guère prendre de risques en décidant des mesures draconiennes par rapport à la dette grecque. Après tout, la réponse pourrait être une déclaration de défaut sur les obligations du gouvernement grec, qui au total se montent à environ 320 milliards d’euros. Ce serait plus que suffisant pour provoquer des réactions en chaîne impliquant des faillites de banques et d’entreprises européennes qui, à leur tour, pourraient amener à des défauts de paiement du gouvernement et à l’effondrement du château de cartes connu comme l’Union européenne.

Toutes les deux, Athènes et Bruxelles recherchent frénétiquement des voies non conventionnelles pour sortir de la situation actuelle. La Commission européenne, de façon inattendue, a invoqué le précédent de Chypre, ou plutôt comment les banques avaient été sauvées il y a deux ans. Pourquoi ne pas tenir compte de l’expérience de Chypre en 2013 pour résoudre les problèmes actuels de la Grèce? Permettez-moi de vous rappeler que, suite à la restructuration de la dette grecque en 2012, les banques, les entreprises et les fonds qui détenaient de grandes parts du Trésor grec ont beaucoup souffert. La décision avait été alors prise de réduire de moitié à peu près les demandes des titulaires de titres grecs. Cela a touché durement les banques chypriotes. Ni la Banque centrale de Chypre, ni la BCE, ni la Commission européenne n’ont aidé à sauver les banques de cette nation insulaire. La grande troïka a décidé de sauver les banques par le biais d’investisseurs (titulaires de dépôts et d’autres comptes). En réalité, c’était la confiscation de l’argent des déposants (vous pouvez en apprendre plus dans mon article The confiscation of bank deposits as a global perspective).

A l’heure actuelle, les banques grecques sont exactement dans le même piteux état que les banques chypriotes l’étaient à la fin de 2012 et au début de 2013. Leurs actifs comprennent de grands blocs de titres sur la dette grecque, qui se déprécient rapidement. Le gouvernement grec est incapable de sauver les banques. Le président de la BCE, Mario Draghi, a déclaré qu’il ne refinancera pas les banques grecques en échange des titres sur la dette du gouvernement grec. Le processus de faillite des banques grecques ne doit pas être laissé au hasard, cependant, puisqu’il pourrait avoir un effet ricochet sur les systèmes bancaires des pays voisins. En mars, en plus, la Commission européenne a subitement suggéré d’imposer, en Grèce, un contrôle des flux de capitaux transfrontaliers. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la liberté des flux de capitaux transfrontaliers était considérée comme la pierre angulaire et le dogme central du libéralisme financier. Les pays qui ont osé violer ce principe ont été traités avec sévérité par le FMI et les États-Unis.

Mais maintenant, tout commence à ressembler au scénario chypriote. De sévères restrictions des flux de capitaux avaient aussi été introduites au printemps 2013. C’était fait de telle manière que les clients des banques chypriotes ne pourraient faire autrement que de s’acquitter de leur devoir sacré, sauver les banques. Je pense que le même mobile était présent dans l’initiative de mars de la Commission concernant la Grèce. L’exode des dépôts du secteur bancaire grec à l’étranger augmente, atteignant 350 à 450 millions d’euros en quelques jours, et la déclaration de la Commission concernant de possibles restrictions de change n’a fait qu’accélérer la fuite de l’argent. Selon les règles de l’UE, cependant, les restrictions de change ne peuvent être introduites qu’à la discrétion des gouvernements de ses pays membres. Athènes n’a pas encore parlé de cette possibilité. Dans l’intervalle, la fuite de l’argent des investisseurs hors de Grèce continue, et le risque de faillites à large échelle croît pour les banques grecques. Le scénario chypriote en Grèce est encore possible jusqu’à la fin du printemps, mais dans quelques mois, ce sera trop tard – les dépôts auront été réduits à néant.

La troïka a cependant une autre idée, qui est de mettre la Grèce à genoux une fois pour toutes. Le fond de l’idée est simple – soumettre la restructuration de la dette grecque à un audit. Permettez-moi de vous rappeler qu’en 2011, la troïka avait promis à la Grèce un programme d’aide de 130 milliards d’euros en tout. Une condition de cette aide était la restructuration de la dette souveraine grecque. La restructuration ne s’appliquait qu’à la partie de la dette existant sous forme d’obligations du Trésor et les détenteurs de celles-ci étaient des entités privées. Les fonds et les banques occidentales les plus importantes ont accepté de déduire 53,5% du principal sur les titres, ce qui correspond à 107 milliards de dollars. Cela a été la plus grande restructuration d’une dette gouvernementale dans l’histoire. Le nœud coulant de la dette s’est encore resserré autour du cou de la Grèce. En 2012, le niveau de la dette souveraine était de 157% du PIB, mais en 2013 il avait bondi à 175%.

La restructuration grecque a eu lieu dans un contexte d’événements dramatiques dans une autre partie du monde – l’Argentine. Ce pays a aussi restructuré sa dette souveraine ces dix dernières années, mais il est devenu clair avec le temps qu’un petit nombre de détenteurs de la dette argentine, qui n’avaient pas accepté les termes de la restructuration, commençaient à renier les accords qui avaient été conclus. L’affaire s’est terminée au tribunal et, en 2012, le modèle de restructuration de la dette de l’Argentine, qui avait été mis en œuvre avec succès pendant plusieurs années, a commencé à s’effondrer sous les coups des vautours de la finance – des investisseurs qui achètent des titres de dettes sur le marché pour une bouchée de pain et ensuite, à travers les tribunaux des États-Unis et de la Grande-Bretagne, demandent leur paiement à la valeur nominale, autrement dit à 100%. Ce phénomène est connu sous le nom d’impérialisme légal. A l’heure actuelle, les vautours de la finance ont acculé l’Argentine et la bataille est dans une phase critique.

Il est impossible d’exclure l’usage de méthodes similaires pour faire pression sur la Grèce. En 2012, la troïka a ignoré l’opinion de ce petit groupe d’investisseurs privés qui n’ont pas accepté les termes de la restructuration (selon nos estimations, ils ne représentaient pas plus de 3% de la dette grecque), mais la situation pourrait changer de façon spectaculaire en 2015. On peut s’attendre à ce que les investisseurs lésés trouvent tout à coup une occasion d’exprimer leur indignation dans les médias et devant les tribunaux européens, et des cabinets d’avocats leur ouvriront leurs portes pour leur être utiles. Si le tribunal se prononce en faveur des investisseurs lésés, alors tout pourra reprendre son cours et les 107 milliards d’euros biffés auparavant viendront s’ajouter à la dette actuelle de la Grèce, qui se monte à 320 milliards d’euros. Si cela arrive, la dette souveraine grecque se rapprochera des 230% du PIB.

Je ne dis pas que c’est exactement comme ça que les choses vont se passer, mais il est fort possible que le scénario argentin se répète en Grèce. On peut seulement espérer que le gouvernement grec étudiera soigneusement l’expérience de l’Argentine, forcée de résister aux prédateurs de la finance internationale qui ont contraint le pays à retomber dans le piège de l’endettement dont il commençait tout juste à sortir.

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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