L’ébullition de révolution de couleur en Bolivie


Par Andrew Korybko − Le 31 octobre 2019 − Source oneworld.press

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La réélection du président bolivien de longue date Evo Morales, obtenue de justesse début octobre 2019 au premier tour, s’est vue exploitée par ses adversaires intérieurs et extérieurs comme déclencheur pour des soulèvements de type Révolution de Couleur, dans l’État socialiste enclavé dont le sous-sol est riche en lithium.


La Bolivie connaît les ébullitions de soulèvements de type Révolution de Couleur, suite à la réélection du président bolivien de longue date Evo Morales, obtenue de justesse début octobre au premier tour. Le dirigeant socialiste est le seul survivant restant de la « Marée Rose » qui avait déferlé sur l’Amérique du Sud au cours de la première décennie du XXIème siècle : les réactions clandestines menées par les États-Unis ont depuis lors forcé cette marée à refluer, selon ce que l’on décrit familièrement comme « Opération Condor 2.0 ». La Bolivie est géostratégiquement positionnée de manière centrale dans le continent sud-américain, et ses sous-sols sont riches en lithium, devenu depuis peu l’un des composants essentiels pour nombre de gadgets des temps modernes qui constituent la base de la société contemporaine : c’est la raison première pour laquelle elle est la cible de déstabilisations.

Les révolutions de couleur et les guerres hybrides sur lesquelles elles débouchent souvent sont communément menées comme des exploitations, depuis l’extérieur, de différences identitaires pré-existantes dans divers États, et la Bolivie n’y fait pas exception. Le pays reste habité majoritairement par les populations indigènes, mais d’importantes disparités socio-économiques existent dans ce tableau démographique : il existait entre ces populations et la minorité non-indigène un état d’affaires, institutionnalisé depuis des décennies, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Morales. Ce dernier s’est depuis employé à rectifier ces errements historiques et a tâché de promouvoir l’égalité pour l’ensemble de la population. Les habitants non-indigènes, comme on peut l’imaginer, disposent en général d’une situation bien plus confortable que les indigènes, et c’est dans leurs rangs que c’est formé le cœur historique de l’opposition anti-Morales.

Il est également notable que ces minorités habitent souvent les plaines de l’Est, riches en gaz, alors que la population indigène occupe surtout les plateaux où sont localisées les mines de lithium. Les premiers s’opposent avec véhémence aux politiques de redistribution déployées par Morales, estimant injuste de se voir privés des revenus qu’ils estiment mériter du fait de leur exploitation des ressources naturelles. L’activisme qu’ils ont déployé à cet égard est même allé jusque brièvement prendre la forme du mouvement quasi-séparatiste « Media Luna » (demi-lune), qui pourrait même renaître de ses cendres dans les temps présents, si le processus de déstabilisation s’intensifie. Cela étant dit, il existe également des habitants indigènes qui ont tourné le dos à Morales pour leurs propres raisons, qu’il s’agisse de « fatigue à l’égard du pouvoir », ou des feux ravageant la forêt tropicale amazonienne.

Pour en revenir au moment présent, la situation présente rend assez simple pour des forces extérieures la tâche d’attiser des désordres après les dernières élections, au vu de la situation politique du pays : Morales avait fait campagne, et fait tenir un référendum afin de pouvoir se présenter aux élections présidentielles pour un quatrième mandat, et ce référendum lui avait été défavorable ; puis la décision populaire en avait été par la suite retournée par une décision de justice, qui lui avait permis de se représenter quand même. Cette toile de fond a semé des doutes quant à sa légitimité, et ces doutes ont été entretenus par les résultats de l’élection récente : Morales n’a atteint la barre de 10% des voix de plus que son opposant que de justesse, évitant la tenue d’un second tour qui aurait pu voir les forces anti-Morales regrouper leurs forces pour le mettre à bas, et c’est probablement ce qu’ils avaient prévu de faire.

C’est pour ces raisons que les États-Unis d’Amérique, et leurs vassaux régionaux, font tout ce qui est en leur pouvoir pour jeter le discrédit sur le dernier scrutin en date : ils parient sur la tenue d’un second tour où ils espèrent disposer de meilleures probabilités de le battre de manière « démocratique ». Le contexte régional ethno-politique du pays est mûr pour des désordres de type Révolution de couleur, en soutien à l’objectif stratégique qui est ou bien de renverser Morales, ou bien le contraindre, dans l’espoir d’alléger son pays des Guerres hybrides qu’il subit de manière croissante, à coopérer avec les États-Unis jusqu’au point de devenir un autre de leurs relais. C’est bien là qu’est le principal obstacle à ce projet : Morales dispose de nombreux soutiens passionnés, prêts à se battre pour sa présidence.

Il en a fait plus pour son pays que tout autre dirigeant bolivien, dans toute l’histoire de son pays, aux fins de remettre de l’ordre dans les inégalités ethno-régionales, et enfin accorder de la dignité à la population à majorité indigène. Il est parvenu à ce résultat en mettant en œuvre des politiques socialistes, si bien que des millions de personnes jusqu’alors déshéritées ont à présent le sentiment de n’avoir absolument rien à perdre s’il se fait renverser de manière illégale, et si les progrès qu’il a accomplis au cours des cinq dernières années sont effacés pour en revenir aux jours anciens du néo-colonialisme. La Bolivie pourrait donc fort bien, dans le scénario du pire, se trouver sur le chemin de la guerre civile, d’autant plus que le dirigeant de l’opposition Carlos Mesa a d’ores et déjà déclaré qu’il ne reconnaîtra pas les résultats de l’audit mené par l’OEA [Organisation des États américains – OAS, NdT] : cela suggère fortement que de puissantes forces le poussent à provoquer une Révolution de couleur, qui pourrait s’apparenter à la déstabilisation que connaît déjà le Venezuela, et finir par éclipser la crise humanitaire qu’elle a créée, le statut enclavé du pays le rendant particulièrement vulnérable aux problèmes logistiques.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Kira pour le Saker Francophone

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