Par le Saker original – Le 6 juin 2015 – Source : thesaker.is
L’internet est en effervescence avec des articles affirmant que les États-Unis préparent une attaque nucléaire contre la Russie. Apparemment, tout a commencé avec un article dans le Web Socialiste Web Site intitulé US officials consider nuclear strikes against Russia [Les responsables états-uniens envisagent des frappes nucléaires contre la Russie]. Cet article a ensuite été repris par Global Research, qui a amélioré le titre en Military Madness : US Officials Consider Nuclear Strikes against Russia [Folie militaire : les responsables états-uniens envisagent des frappes nucléaires contre la Russie]. Ensuite, tous les autres ont repris le bobard provoquant la panique et ont couru derrière lui.
Tous cela n’a aucun sens.
Voici ce qu’il se passe en réalité.
Tout a vraiment commencé avec Associated Press qui a publié un article sur la façon dont les États-Unis pourraient déployer des missiles en Europe pour contrer la Russie [US might deploy missiles in Europe to counter Russia]. Notez bien que cette histoire originale parle de contrer, pas d’attaquer. Si vous lisez l’article, vous verrez que tout cela est très simple : certains cercles aux États-Unis accusent la Russie de déployer des missiles de portée intermédiaire en Europe en violation du Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (INF). Lorsqu’on a demandé aux huiles du Pentagone ce que les États-Unis pourraient faire à ce propos, leur réponse était prévisible à 100% : nous déploierons nos propres missiles. C’est tout.
La première question est de savoir si la Russie a fait quelque chose pour violer le traité INF. Un excellent article dans le National Interest titré Is Russia violating the INF treaty [La Russie viole-t-elle le traité INF] explique tout : cette affaire n’est fondée sur rien. Enfin bon, presque rien. Voici ce qui a provoqué toute cette panique :
1. La Russie a tiré quelques ICBM (missiles intercontinentaux à longue portée) une ou deux fois à une distance plus courte, ce qui a placé leur trajectoire en dessous de la limite maximale prévue par l’INF. Mais puisque personne ne conteste que ces missiles sont des ICBM, cela ne signifie vraiment absolument rien.
2. Il y a des soupçons que la Russie pourrait développer des missiles de croisière à portée intermédiaire au sol dérivés du missile Iskander ou du Granat. Mais puisqu’il n’y a aucune preuve que cela est arrivé, ces soupçons ne signifient rien non plus.
Ce qui se passe vraiment est très simple : depuis que les États-Unis vont de l’avant dans leur plan délirant de développer un bouclier anti-missile en Europe, la Russie a répondu en menaçant de déployer (selon certaines sources c’est fait) ses missiles Iskanders à Kaliningrad et le long de ses frontières occidentales. Les Iskanders sont des missiles très performants qui flanquent la trouille à l’Otan, parce qu’ils seraient parfaits pour frapper les centres de commandement des forces de l’Otan déployés à l’avant. La solution évidente pour l’Otan serait de ne pas déployer les centres de commandement de ses forces si loin à l’Est. Mieux encore, laisser tomber le bouclier stupide de défense anti-missile résoudrait complètement le problème. Mais puisque l’Otan doit terrifier les Européens avec une menace russe inexistante, elle ne peut pas le faire : même si aucune menace de la sorte n’existe, les gars de l’Otan doivent montrer leur immense courage et leur détermination en faisant toutes sortes de choses stupides et inutiles. Comme se déployer vers l’avant.
Comme résultat de sa brillante stratégie, l’Otan a maintenant une cible peinte sur ses installations anti-missiles de fantaisie et ses atouts déployés à l’avant. Et l’Otan n’apprécie pas du tout. Donc ils sont venus avec une autre déclaration stupide, idiote mais macho : «Nous déploierons nos propres missiles de portée intermédiaire pour menacer les missiles russes de portée intermédiaire.» Petit détail : les centres de commandement de l’Otan et les forces déployées à l’avant sont soit fixes soit vraiment faciles à détecter. Les Iskanders russes sont mobiles sur route et fondamentalement indétectables. Mais peu importe, tant que le public en général a conscience de sa peur et du courage viril de l’Otan – tout va bien, non ?
Donc récapitulons : l’Otan envisage le déploiement de missiles qui devraient répondre à une possible (future) violation par la Russie du Traité INF. Folie militaire ? Certainement pas ! Juste une variante potagère de démagogie politique, c’est tout. Si l’article du World Socialist Web Site était trompeur, alors le titre amélioré de Global Research est carrément irresponsable. Personne aux États-Unis n’envisage le recours à des armes nucléaires contre des missiles sur le territoire russe, parce que chacun sait que cela garantirait une réponse dévastatrice sur le territoire continental des États-Unis. Bien sûr, si en employant le verbe envisager, nous voulons dire développer la capacité de, alors chaque camp a envisagé d’utiliser des armes nucléaire contre l’autre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais ces articles sonnent comme si les États-Unis avaient subitement décidé de se préparer à une attaque nucléaire contre la Russie, ce qui est une absurdité totale.
Donc veuillez noter que tout ce débat sur l’INF n’a rien à voir avec l’Ukraine. C’est juste un remake de la crise des Pershing/GLCM vs SS-20 des années 1980. Nous sommes déjà passés par là. Rien de nouveau.
Les États-Unis n’ont aucun désir de s’engager dans une guerre nucléaire avec la Russie. La véritable stratégie US est très différente, mais pas moins dangereuse : ce que les États-Unis sont en train de faire est de provoquer une crise à partir de rien en créant des tensions à tous les niveaux, du secteur financier au sport, et à la question totalement artificielle de l’INF [sans oublier le révisionnisme historique comme arme de déstabilisation, NdT]. Du point de vue des États-Unis, les tentatives actuelles de subvertir la FIFA et de subvertir le Traité INF sont au même niveau conceptuel : faire vivre l’enfer aux Russkis à tous les niveaux. Et, évidemment, c’est ce qui est dangereux, à la limite de l’irresponsable, vraiment. C’est aussi voué à l’échec (vous pouvez parier qu’avec la dernière victoire états-unienne contre Blatter, immédiatement après sa réélection, la haine à l’égard des États-Unis dans le monde a bondi de X points supplémentaires). Oui, l’Empire est en mode panique, agissant stupidement et essayant de faire baisser les yeux aux Russes, malgré le fait que dans la culture russe, les menaces et la démagogie sont toujours interprétées comme un signe de faiblesse.
Une dernière chose : les Russes considèrent les zones de déploiement des Iskanders comme un secret d’État. En d’autres termes, ils ne révéleront pas où ces missiles sont déployés ni ce qu’ils visent (rappelez-vous, les Russes ne croient pas aux menaces). Tout au plus, il s’assureront que l’Otan est au courant, en termes généraux, si nécessaire. Mais n’attendez pas de menaces en provenance de Moscou.
En fin de compte, la question vraiment intéressante est de savoir si les Russes déploieront une nouvelle génération de missiles de portée intermédiaire. Si oui, ils l’annonceront et se retireront officiellement de l’INF. Mon sentiment est que c’est ce qu’ils pourraient faire. Les Russes commencent à en avoir vraiment, vraiment marre de l’absence totale de coopération des US/Otan/UE, de leur mauvaise volonté générale et de leurs constantes petites provocations. Il y a un dégoût particulier pour les États prostitués d’Europe centrale (Pologne, Roumanie). Le Kremlin pourrait comprendre une réalité simplement militaire : puisque la Russie n’a pas de plans offensifs pour attaquer l’Europe, les missiles états-uniens de portée intermédiaire ne serviront à rien en Europe, alors que la population locale pourrait commencer à paniquer à voir les missiles nucléaires US arriver en grand nombre. En revanche, puisque la Russie est en position purement défensive, avoir des missiles de portée intermédiaire pourrait être très utile pour se protéger contre une éventuelle attaque de l’Otan. Enfin, il y a le facteur géographique : si les missiles russes de portée intermédiaire frappaient l’Europe, ce ne serait pas une attaque sur le continent américain. Mais si les missiles de portée intermédiaire états-uniens attaquaient la Russie, ce serait une attaque sur le continent russe. Donc lequel, à votre avis, aura les plus fortes réserves avant de presser sur le bouton ?
Évidemment, j’espère que les missiles de portée intermédiaire ne seront pas déployés. La dernière chose dont le monde a besoin, juste maintenant, est une nouvelle source de tensions et de peur. Et, comme je l’ai écrit plusieurs fois ici, tandis que les États-Unis veulent des tensions aussi fortes que possible (vraiment sans guerre), la Russie a désespérément besoin des tensions les plus basses possibles. Donc je pense que les Russes travailleront secrètement pour être prêts à déployer des missiles de portée intermédiaire à très court terme, mais qu’ils essaieront de toutes leurs forces d’éviter une situation où ceux-ci pourraient être nécessaires.
Quoi qu’il en soit, la prochaine fois que vous tomberez sur un titre qui provoque la panique, genre les États-Unis sur le point de lancer une attaque nucléaire sur la Russie, respirez profondément, ne tirez pas de conclusions hâtives et prenez le temps de savoir si une telle hyperbole est justifiée ou non.
Salut,
The Saker
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone