Par Pepe Escobar – Le 28 juin 2015 – Source Russia Insider
En seulement quinze ans, la Russie a pris deux générations d’avance sur les États-Unis dans le domaine des missiles et pourrait être en mesure de lancer la première une frappe nucléaire. Les États-Unis flippent.
Nous nous souvenons tous de la manière dont le Président Poutine a annoncé début juin que la Russie déploierait plus de 40 nouveaux missiles balistiques intercontinentaux «capables de venir à bout des systèmes de défense antimissiles les plus avancés».
Jésus, Marie, Joseph! Depuis ce jour, le Pentagone et ses mignons européens flippent à mort.
Le premier à ouvrir les hostilités a été le Norvégien Jens Stoltenberg, Secrétaire général et figure de proue de l’Otan, condamnant cette déclaration comme une «tentative d’intimidation nucléaire».
Ensuite, le lieutenant-général Stephen Wilson, chef de la force de frappe aérienne US – et responsable des missiles balistiques intercontinentaux et des bombardiers atomiques US – y est allé de son couplet lors d’une conférence tenue récemment à Londres : «[Ils ont] annexé un pays, changent le tracé des frontières, tiennent un discours comme nous n’en avons plus entendu depuis la Guerre Froide… »
Le décor était planté pour l’inévitable parallèle avec les nazis : «Certains actes commis par la Russie rappellent les années 1930, quand des pays entiers ont été annexés et leurs frontières modifiées par simple décret.»
Obéissant à la Voix de son Maître, l’UE a dûment étendu les sanctions économiques contre la Russie. Jugeant le moment opportun, le chef suprême du Pentagone, Ashton Carter, déclarait depuis Berlin que l’Otan devait se dresser – forcément – contre «l’agression russe» et «ses tentatives de restauration d’une zone d’influence digne de l’ère soviétique».
Que faut-il déduire de toutes ces rodomontades? Les paris sont ouverts. Peut-être sont-elles motivées par le fait que la Russie ose bâtir un pays entier près d’un aussi grand nombre de bases de l’Otan. Peut-être sont-elles motivées par une bande de cinglés désireux de provoquer une guerre sur le sol européen afin, in fine, de libérer tout ce pétrole, tout ce gaz et tous ces minerais précieux de Russie et des stans d’Asie Centrale.
Malheureusement, tout cela est d’une gravité mortelle.
Prenez vos places pour le prochain péplum de l’Otan
Des pans entiers du monde étasunien des groupes de réflexion admettent à regret que le scénario porte sur l’impératif exceptionnaliste d’empêcher «l’émergence d’une hégémonie en Eurasie». Eh bien, ils n’ont pas seulement partiellement, mais complètement tort, le but du jeu pour la Russie – et la Chine – étant l’intégration eurasienne par le commerce.
Cela condamne pour le moment le pivot vers l’Asie à finir dans la poubelle de la rhétorique. Quant à la politique du ne-pas-faire-de-conneries de l’administration Obama – et du Pentagone –, le but du jeu est de consolider un nouveau Rideau de fer allant de la Baltique à la mer Noire afin de couper la Russie de l’Europe.
Il n’est donc pas surprenant que, début juin, l’Office of Net Assessment du Pentagone, un groupe de réflexion en soi, ait fait appel à un autre groupe de réflexion, le Center for European Policy Analysis (CEPA) pour pondre – comme toujours – des scénarios de guerre.
Il se trouve que le CEPA est dirigé par A. Wess Mitchell, qui a été conseiller de l’ancien candidat Républicain à la présidence des USA et grand maître de la futilité Mitt Romney. Mitchell, qui donne l’impression d’avoir été recalé en histoire au brevet, qualifie la Russie de nouvelle Carthage : «Une puissance maussade et punitive, déterminée à appliquer une politique étrangère axée sur la vengeance en vue de renverser le système qu’elle dénonce pour sa grandeur perdue.»
Le renseignement russe est très au fait de toutes ces manœuvres US. Il ne faut donc pas s’étonner que Poutine ne cesse de déplorer l’obsession de l’Otan et la mise en place d’un système de défense antimissiles en Europe, directement dans les pays occidentaux limitrophes de la Russie : «C’est l’Otan qui s’approche de nos frontières. Nous, nous n’allons nulle part.»
L’Otan, quant à elle, se prépare en vue de sa prochaine superproduction, Trident Juncture 2015. Cet exercice, le plus vaste depuis la fin de la Guerre Froide, se déroulera en Italie, en Espagne et au Portugal du 28 septembre au 6 novembre avec la participation des forces terrestres, aériennes, navales et spéciales de 33 pays (28 de l’Otan plus cinq alliés).
L’Otan le décrit comme un exercice à visibilité et crédibilité élevées visant à tester la capacité de réaction de quelque 30 000 soldats. La Russie n’est pas la seule concernée par cette répétition du pré-positionnement d’une quantité d’armes lourdes suffisante pour 5 000 soldats en Lituanie, Lettonie, Estonie, Pologne, Roumanie, Bulgarie et Hongrie.
L’Afrique l’est aussi, avec la symbiose Otan/AFRICOM (la libération de la Libye, vous vous souvenez?). Le commandant suprême de l’Otan, le général Folhaine, pardon, Folamour déclarait devant les micros que «les membres de l’Otan sont appelés à jouer un rôle important en Afrique du Nord, au Sahel et en Afrique subsaharienne».
Tu les sens bien profonds, mes S-500 ?
Pour la Russie, toute cette hystérie guerrière est pitoyable.
Les faits : sous Poutine, la Russie a reconstitué sa flotte de missiles nucléaires stratégiques. Les stars, ce sont le Topol M, un missile balistique intercontinental qui dépasse les 25 000 km/h, et le système de défense antimissiles S-500, quasiment aussi rapide, qui verrouille intégralement l’espace aérien russe.
Dès le début du nouveau millénaire, le renseignement russe a compris que les armes du futur seraient les missiles, et non des avions bombardiers balourds ou des navires que des missiles haut de gamme pulvériseraient en un clin d’oeil (comme le nouveau missile Yakhout SS-NX-26, qui se déplace à Mach 2,9).
Le Pentagone le sait, mais son orgueil démesuré l’incite encore à se prétendre invincible. Non, vous n’êtes pas invincibles. Les sous-marins russes, silencieux, croisant au large des États-Unis, pourraient anéantir les principales villes du pays en quelques minutes, en toute impunité. En seulement quinze ans, la Russie a pris deux générations d’avance sur les États-Unis dans le domaine des missiles et pourrait être en mesure de lancer la première une frappe nucléaire. Pire : les représailles sont impossibles, car le Pentagone ne peut pas franchir la barrière des S-500.
Aux États-Unis, l’opinion publique ne sait rien de tout cela. Il ne lui reste que les rodomontades. Revenons au président de l’état-major, le général Martin Dempsey, qui se paie le culot d’affirmer que les États-Unis envisagent le déploiement de missiles terrestres équipés d’ogives nucléaires en mesure d’atteindre les villes russes dans toute l’Eurasie.
Cette provocation n’est pas seulement puérile – et incroyablement dangereuse. Ces missiles seront parfaitement inutiles. Les États-Unis disposent, certes, de missiles sous-marins, mais ils ne peuvent pas non plus franchir les défenses russes à cause des S-500. Ainsi, si le Pentagone et l’Otan veulent réellement la guerre, attendez un peu l’année prochaine ou 2017 au plus tard, quand le déploiement des S-500 sera achevé et que la Hillarante ou Jeb-je-ne-suis-pas-Bush siégera à la Maison Blanche.
Poutine a parfaitement conscience de la dangerosité de toutes ces gesticulations. C’est pourquoi il a rappelé que le retrait unilatéral du traité sur les missiles antimissiles balistiques (ABM) de 1972 – aux termes duquel ni les États-Unis ni l’URSS ne devaient tenter de neutraliser leurs forces de dissuasion nucléaire respectives par la mise en place d’un bouclier antimissiles – conduisait le monde vers une nouvelle Guerre Froide. «En fait, cela nous conduit vers une nouvelle course aux armements, car [cette initiative] change la donne de la sécurité mondiale.»
Washington s’est retiré unilatéralement du Traité ABM en 2002, à l’époque de Doubleyou et de son axe du mal. Le prétexte invoqué était que les États-Unis devaient se prémunir contre les états voyous, expression qui désignait à l’époque l’Iran et la Corée du Nord. Le fait est que le Pentagone avait dès lors les mains libres pour mettre en place un système antimissile global dirigé contre – ben voyons – les seules vraies menaces pour son hégémonie, à savoir les membres des BRICS que sont la Russie et la Chine.
Au tour de Terminator Ash
Sous la direction du néoconservateur Ash Carter, auprès de qui Donald Rumsfeld fait figure de gentille Cendrillon, le Pentagone veut enfiler son déguisement de Terminator.
Parmi les options envisagées contre la Russie figurent un bouclier offensif déployé à travers l’Europe en vue de détruire les missiles russes (totalement impuissant face au Topol M); une contre-force (en novlangue pentagonaise) impliquant des frappes préemptives non nucléaires contre des sites militaires russes; ainsi que des capacités de frappe de compensation, ce qui signifie, toujours en pentagonais le déploiement préemptif de missiles nucléaires dirigés contre des cibles – et des villes – situées en territoire russe.
Nous en arrivons à l’impensable, à savoir une frappe nucléaire préemptive contre la Russie. Si cela vient à se produire, la seule issue sera une guerre nucléaire totale. Le simple fait de considérer cela comme une option envisagée est révélateur de ce qui se passe à propos de la politique étrangère au cœur de la Nation Indispensable.
En Irak, une frappe préemptive – bien que non nucléaire – a été autorisée pour anéantir des armes de destruction massive en réalité inexistantes. Ainsi, le monde entier sait que l’Empire du chaos est capable d’invoquer n’importe quel prétexte. Dans le cas de la Russie, le Pentagone peut bien jouer les Terminator s’il y tient, mais ce ne sera pas une promenade de santé : dans moins de deux ans, l’espace aérien russe sera totalement verrouillé par les S 500.
Attention au retour de flamme! Pourtant, il n’y a aucune chance pour que le Pentagone prenne Poutine au sérieux (devant les micros, Ash Carter plaide pour un changement de régime). Dernièrement, le président russe s’est montré des plus explicites : «Ce n’est pas un dialogue. C’est un ultimatum. Pas de ça avec nous.»
L’idée de la destruction mutuelle assurée a fait son temps. Elle a maintenu une paix fragile pendant les sept décennies de la Guerre Froide. La Guerre Froide 2.0 s’annonce glaciale. Et avec tous ces Dr Folamour lâchés dans la nature, l’horloge de la folie nucléaire indique qu’il est moins cinq.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).
Traduit par Gilles Chertier, relu par jj pour le Saker Francophone.