Le Pakistan : État pivot du monde


andrew-korybko
Par Andrew Korybko – Le 14 février 2019 – Source eurasiafuture.com

Le Pakistan dispose d’un potentiel économique prometteur, de possibilités en matière de connectivité à l’international, et d’un emplacement géostratégique sans parallèle ; ces éléments, combinés avec son armée de classe mondiale, avec son positionnement diplomatique raffiné, font de ce pays, au fil des décennies, l’État pivot du monde du XXIème siècle.

Cela apparaîtra stupéfiant à nombre d’observateurs, mais l’État pivot du monde pour le XXIème siècle n’est pas la Chine, les USA, ou la Russie, mais le Pakistan. De manière regrettable, cet État d’Asie du Sud dispose d’une mauvaise réputation au niveau international, résultat de la guerre de l’information indo-étasunienne qu’il subit depuis quelques décennies. Mais à regarder de manière objective les possibilités géostratégiques et intérieures du pays, on comprend que le pays est en pôle position pour modeler les contours du siècle qui s’ouvre. Il n’est donc pas étonnant que la Chine ait eu la clairvoyance d’établir un partenariat avec ce pays, des décennies avant tout autre pays, mais les autres grandes puissances, à l’instar de la Russie, finissent par s’éveiller à son importance, ce qui fait du Pakistan l’un des pays les plus convoités du monde.

Pakistan_Et_Grandes_Puissances

Le Couloir économique Chine-Pakistan (CPEC) constitue le projet amiral des Nouvelles routes de la soie (BRI) pour Pékin : il permet d’éviter les points chauds de la mer de Chine méridionale et du détroit de Malacca , et de bénéficier d’accès fiables vers le Moyen-Orient et l’Afrique, qui apportent respectivement à la Chine les ressources énergétiques nécessaires à son économie, et les marchés pour écouler ses produits. Les Nouvelles routes de la soie redirigent les routes commerciales de l’Ouest vers l’Est, et littéralement construisent les fondements de l’Ordre mondial multipolaire : si bien que considérant le rôle irremplaçable du Pakistan dans ce processus de par le CPEC, le partenaire d’Asie du Sud pour la Chine peut facilement être considéré comme la pierre angulaire de la vision mondiale de l’avenir pour Pékin. De quoi en soi faire du Pakistan un État pivot ; mais il y a bien d’autres raisons à cela.

Le CPEC, bien plus qu’une « autoroute » reliant le Xinjiang à l’Arabie Saoudite, est constitué d’une suite de méga-projets au travers desquels le Pakistan peut se transformer d’objet passif des relations internationales en un sujet à la pointe de l’ordre mondial en changement rapide, s’il étend de manière créative ce couloir central à travers le reste du supercontinent, devenant ainsi la fermeture éclair de l’Eurasie. Le potentiel économique intérieur pakistanais est extrêmement prometteur si l’on se souvient que cette nation compte 200 millions d’âmes, et se trouve positionné à l’emplacement unique de la croisée des routes commerciales qui relieront à l’avenir la Chine et le reste du « Grand sud ». Avec ces éléments à l’esprit, le premier ministre Khan a récemment annoncé au monde, lors du sommet gouvernemental mondial hébergé par les Émirats arabes unis (ÉAU) qu’il ne fallait pas « rater le train » et voir s’évaporer les chances de capitaliser sur la croissance attendue dans son pays.

Il n’est guère surprenant que les principaux investisseurs, comme l’Arabie saoudite et les ÉAU sautent sur l’occasion pour monter dans le train avant leurs concurrents, en vue de garder la tête dans la course, en établissant une présence en premier au Pakistan, alors que ce pays devient la plus courte route commerciale entre leurs économies et celle de la Chine. Mais ce n’est pas tout : le Pakistan est en capacité d’étendre le CPEC vers le Nord, vers l’Est et vers le Sud, au travers des embranchements du CPEC+ qui vont le relier avec l’Asie centrale et la Russie, le reste de l’Asie occidentale (Iran et Turquie), et l’Afrique : de quoi faire du pays le point de convergence des civilisations et l’antidote à la tentative empoisonnée de Huntington de diviser et régner sur l’hémisphère oriental au travers de sa thèse du « clash des civilisations ».

Sur la base de ces perspectives de connectivité civilisationnelles et géostratégiques, le Pakistan est en mesure d’institutionnaliser son rôle de fermeture éclair d’Eurasie en regroupant deux partenariats stratégiques naissants dont il fait partie – le CENTO multipolaire avec l’Iran et la Turquie, et la trilatérale multipolaire avec la Chine et la Russie – pour former l’Anneau d’or des grandes puissances multipolaires, en plein cœur de l’Eurasie, aidé grandement en cela par le rôle instrumental que jouera naturellement Islamabad dans le schéma directeur multipolaire post-américain en Afghanistan. Le Pakistan est en capacité de parvenir à cette réalisation, de par son expérience avérée de réussites diplomatiques en équilibre entre diverses puissances, comme entre les USA et la Chine, ou entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, et son armée de classe mondiale, disposant du feu nucléaire, constitue pour chacun un partenaire considérable.

Pour le dire simplement, le Pakistan constitue l’État pivot dont la Chine dépend pour ses projets, ce qui le positionne comme faiseur de rois de la Nouvelle guerre froide, et des processus multipolaires qui transforment le monde à l’ouverture du XXIème siècle. Ceci étant dit, le Pakistan constitue également un État pivot en propre, capable de relier les différentes forces d’Eurasie et de devenir le point de convergence des nombreuses civilisations peuplant l’hémisphère Oriental ; cela peut se voir institutionnalisé dans le cadre de l’Anneau d’or, dont le Pakistan est le composant clé. Chose prophétique, le père fondateur du Pakistan, Muhammad Ali Jinnah avait prédit tout ceci, en proclamant en 1948 que « le Pakistan est le pivot du monde, situé sur la frontière qui deviendra l’axe de rotation de la planète ». Chaque jour qui s’écoule lui donne raison.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF