Le Maïdan un an après

Le Saker Original

Le Saker Original

Par Le Saker original – Le 22 février 2015 – source: vineyardsaker 

Aujourd’hui, c’est le premier anniversaire de l’accord passé entre Ianoukovitch et l’opposition, et garanti par les ministres des affaires étrangères de la Pologne, Radosław Sikorski, de la France, Laurent Fabius, et de l’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier. Comme nous le savons tous, l’affaire a abouti à un retrait des forces de sécurité du centre de la ville de Kiev, immédiatement suivi par une insurrection armée qui a renversé le gouvernement. De façon prévisible, la Pologne, la France et l’Allemagne ne s’y sont pas opposées. Je ne vais pas raconter tous les événements qui ont eu lieu depuis ce jour infâme, mais je pense qu’il est important de regarder ce qui a changé en un an. Je pense qu’il est également judicieux de comparer ce que j’avais prédit qui allait se produire avec ce qui s’est réellement passé. Cela simplement pour voir si une personne qui n’a aucun accès aux données confidentielles et qui n’utilise que des sources libres d’accès pour son analyse aurait pu prédire ce qui s’est passé ou si ce n’était qu’une énorme surprise, totalement imprévisible.

Voici donc mes prédictions dans un ordre chronologique.

Le 30 novembre 2013:  Les portes de l’enfer s’ouvrent pour l’Ukraine, en anglais.

Les prétendus Ukrainiens «pro-russes» de l’Est

Ils n'ont aucune vision, aucune idéologie, aucun objectif futur identifiable. Tout ce qu'ils peuvent offrir est un message qui dit, en substance: «Nous n'avons pas d'autre choix que de nous vendre aux riches Russes plutôt qu'aux pauvres Européens» ou «Tout ce que nous pouvons obtenir de l'UE, ce sont des mots, les Russes offrent de l'argent». Vrai. Mais toujours extrêmement peu inspirant, c'est le moins qu'on puisse dire.

L’avenir de Ianoukovitch

Je commence à craindre que tout cela n'explose en une crise réelle et très dangereuse pour la Russie. Tout d'abord, je suppose que les eurocrates et les nationalistes ukrainiens pourraient l'emporter, et que Ianoukovitch va soit achever entièrement son apparent détour, revenir sur sa décision et reprendre le pouvoir, soit le perdre complètement. D'une façon ou d'une autre, les eurocrates et les nationalistes ukrainiens vont, je pense, l'emporter. Il y aura plus de manifestations joyeuses, de feux d'artifice et de fêtes à Kiev, ainsi que beaucoup d'auto-satisfaction, de tapes dans le dos et de congratulations à Bruxelles, puis les portes de l'enfer s'ouvriront pour l'Ukraine.

Les risques réels pour la Russie

Dans l'inévitable chaos et la violence qui embraseront toute  l'Ukraine (y compris la péninsule de Crimée), cela arrêtera ou au moins ralentira la gestion des flux de réfugiés en quête de sécurité pour leurs vies et de sécurité économique en Russie, et protégera la Russie de l'effondrement de l'économie ukrainienne. La Russie aura à gérer tout cela, sans toucher au développement de cette crise interne à l'Ukraine, car il est absolument certain que les eurocrates et les nationalistes ukrainiens feront tout pour imputer tout cela à la Russie. La meilleure chose que la Russie pourrait faire dans une telle situation serait de laisser les Ukrainiens se battre entre eux et d'attendre qu'un côté ou l'autre l'emporte, avant d'essayer d'envoyer très prudemment quelques discrètes antennes politiques pour voir si quelqu'un, de l'autre côté de la frontière, a retrouvé ses sens et se sent capable et prêt à commencer sérieusement à reconstruire l'Ukraine et son inévitable partenariat avec la Russie et le reste de l'Union eurasienne. Tant que cela ne se produira pas, la Russie doit rester, autant que possible, hors de ce jeu.

Sarajevo-sur-Dniepr

Juste maintenant, tous les signes indiquent que l'Ukraine est en train de prendre la route bosniaque et que les choses vont vraiment devenir très laides.
C'est dur à dire, mais mon sentiment est que lorsque les autorités locales dans le sud-est de l'Ukraine menacent de ne pas accepter un changement de régime à Kiev, elles le pensent probablement vraiment. Cela me rappelle beaucoup les mises en garde répétées des Serbes bosniaques qui disaient qu'ils n'accepteraient pas de vivre dans un état islamique dirigé par un enragé fanatique comme Izetbegovitch. À l'époque, tout comme aujourd'hui, personne n'a pris ces avertissements au sérieux et nous savons tous comment cela a fini. La grande différence entre la Bosnie et l'Ukraine est d'abord et avant tout celle des dimensions: la Bosnie a une superficie de 19 741 miles carrés [51.000 kilomètres carrés] et une population de 3 791 622 habitants, tandis que l'Ukraine a une superficie de 233 090 miles carrés [603 000 kilomètres carrés] et une population de 44 854 065 d'habitants. C'est une énorme différence, qui complique beaucoup une intervention étrangère directe.

Et la Russie dans tout ça?

Je ne peux que répéter que la Russie devrait rester en dehors de tout ce qui se passe en Ukraine. Le gouvernement russe doit se préparer à un afflux de réfugiés et l'armée russe doit être placée en état d'alerte afin d'éviter toute provocation ou violence transfrontalière. Un objectif spécial pour la Russie devrait être d'utiliser tous les moyens possibles pour éviter toute violence dans la péninsule de Crimée, en raison de la présence de la flotte de la mer Noire à Sébastopol, qui peut se trouver dans la position de la 14e Armée en Transnistrie, où il n'y a simplement pas d'autre choix que de s'impliquer, en raison du nombre élevé d'officiers dont les parents vivent dans la république. Si, que Dieu nous en garde, les nationalistes essaient de prendre militairement la péninsule de Crimée et Sébastopol, je ne vois pas comment la flotte de la mer Noire pourrait rester désengagée – c'est tout simplement impossible et c'est pourquoi cette situation doit être évitée à tout prix.

Le 26 janvier, 2014: Le dernier mouvement de Ianoukovitch pourrait rendre une partition de l’Ukraine inévitable

La partition de l’Ukraine est inévitable

Cela n'a évidemment pas été rapporté dans les médias prostitués occidentaux, mais maintenant l'est de l'Ukraine bouillonne aussi d'actions politiques. Pour faire bref, je dirai que les gens dans le sud-est de l'Ukraine n'ont pas la moindre envie de laisser des gens comme Iatseniuk, Klitschko ou Tyahnybok régner sur eux. En fait, plusieurs assemblées locales – y compris le Parlement de Crimée – ont adopté une résolution appelant le président à rétablir la loi et l'ordre et l'avertissant qu'ils n'accepteraient jamais un changement de régime à Kiev.

Le 1er mars 2014: Obama vient de rendre les choses bien pire pour l’Ukraine – la Russie est prête pour la guerre

La Russie est prête pour la guerre

Quelque chose d'absolument énorme vient d'arriver en Russie: le Conseil de la Fédération de Russie, l'équivalent du Sénat états-unien, vient de voter à l'UNANIMITÉ une résolution autorisant Poutine à utiliser les forces armées russes en Ukraine, quelque chose que la Douma avait demandé plus tôt. Avant le vote, des sénateurs russes ont déclaré qu'Obama avait menacé la Russie, insulté le peuple russe et qu'ils exigeaient que Poutine rappelle l'ambassadeur russe aux États-Unis. Je n'ai jamais vu un tel niveau d'indignation et même de rage en Russie que maintenant. J'espère et je prie pour qu'Obama et ses conseillers s'arrêtent et réfléchissent soigneusement à la prochaine étape car, ne vous méprenez pas, la RUSSIE EST PRÊTE POUR LA GUERRE.

Le 23 avril, 2014: Le plan AMÉRICAIN pour l’Ukraine – une hypothèse
Les Etats-Unis vont essayer de forcer la Russie à intervenir dans le Donbass

L'est de l'Ukraine est perdu, peu importe ce qu'on en dit. Donc la junte à Kiev doit choisir parmi les options suivantes:
a) Laisser l'Ukraine orientale partir, par voie de référendum, et ne rien faire à ce sujet.
 b) Laisser l'Ukraine orientale partir, mais seulement après quelques actes de violence.
 c) Laisser l'Ukraine orientale partir à la suite d'une intervention militaire russe.
Clairement, l'option a) est de loin la pire. L'option b) est couci-couça, mais l'option c) est très plaisante. Pensez donc: cette option fera ressembler le tout à une invasion russe de l'est de l'Ukraine dans laquelle le peuple n'avait pas son mot à dire. Elle permettra également de faire en sorte que le reste de l'Ukraine se rallie autour du drapeau. Le désastre économique sera imputé à la Russie et l'élection présidentielle du 25 mai pourra être annulée en raison de la menace russe. Non seulement cela, mais la guerre – peu importe qu'elle soit stupide – est le parfait prétexte pour introduire la loi martiale, qui peut être utilisée pour réprimer le Secteur Droit ou toute personne exprimant des points de vue que la junte n'aime pas. C'est un vieux truc – on déclenche une guerre et les gens se rallient au régime au pouvoir. On crée une panique, et les gens vont oublier les vrais problèmes.
C'est comme pour les Etats-Unis: ils savent aussi que l'Ukraine de l'Est est perdue. Une fois la Crimée et l'Ukraine orientales parties, l'Ukraine a exactement *zéro* valeur pour l'Empire; pourquoi ne pas l'utiliser simplement comme un moyen de créer une nouvelle guerre froide? Quelque chose qui serait beaucoup plus sexy que la Guerre mondiale contre le terrorisme ou la déjà vieille Guerre contre la drogue. Après tout, si la Russie est contrainte d'intervenir militairement, l'OTAN devra envoyer des renforts pour protéger des pays comme la Pologne ou la Lettonie, juste au cas où Poutine déciderait d'envahir toute l'UE.
Résultat: les cinglés au pouvoir à Kiev et les États-Unis *savent* que l'Ukraine orientale est perdue pour eux, et le but de l'attaque imminente n'est pas de gagner contre les rebelles russophones, et encore moins de gagner contre l'armée russe. Le but est de déclencher assez de violence pour forcer la Russie à intervenir. En d'autres termes, puisque l'Est est perdu de toute façon, il vaut beaucoup mieux le perdre à cause d'une invasion des hordes russes que de le perdre à cause de la population civile locale.

Donc, le but de la prochaine attaque ne sera pas de gagner, mais de perdre. Ce que les militaires ukrainiens peuvent encore faire.

Deux choses peuvent permettre de déjouer ce plan:

1) Les militaires ukrainiens pourraient refuser d'obéir à des ordres aussi clairement criminels (et la perspective de devenir une cible de l'armée russe peut aussi aider certains officiers à faire un choix purement moral).

2) La résistance locale pourrait être assez forte pour tirer profit d'une telle opération et parvenir à la bloquer.

Idéalement, une combinaison des deux.

Résumons

  1. Ianoukovitch va être renversé. Vérifié
  2. La Donbass va se révolter. Vérifié
  3. L’Ukraine sera partitionnée. Vérifié
  4. Une guerre civile va éclater. Vérifié
  5. Les États-Unis vont essayer d’entraîner la Russie. Vérifié
  6. La Russie va protéger la Crimée. Vérifié
  7. La Russie va rester hors du Donbass. Vérifié
  8. La Russie aura à traiter avec les réfugiés.Vérifié
  9. Les US/OTAN n’interviendront pas comme en Bosnie. Vérifié
  10. L’économie ukrainienne va s’effondrer. Vérifié

Je me suis trompé sur un point: les gens de Novorussie. Je les ai vus comme très passifs, intéressés seulement par leur feuille de paie  (en hryvnias ou en roubles – peu importe) et s’identifiant très peu à l’idéal national russe. Là, j’avais tort, mais pour ma défense, je dirai que l’identité russe des gens du Donbass a été réveillée par le puissant assaut des militaires ukrainiens et par la rhétorique et la politique clairement russophobes et néo-nazies de la junte. Mais si on met de côté les motivations des Novorusses, j’avais prédit que le Donbass se lèverait, et il l’a fait. En fait, il me semble que mes prédictions aboutissent à un score de 10 sur 10.

Mon but n’est pas de me féliciter (j’ai sincèrement souhaité que mes prédictions soient trop pessimistes et fausses), mais de démontrer que quelqu’un doté des connaissances de base sur la Russie et l’Ukraine, d’un accès à des sources ouvertes d’information et d’un peu de bon sens aurait pu faire toutes ces prédictions lui-même.

Toutefois, il y a aussi des événements que je n’avais pas du tout prévus: l’étrange incapacité de l’armée ukrainienne de faire quoi que ce soit. Le 1er juillet 2014, dans un post intitulé Novorussie – espérer le meilleur, se préparer au pire, et se contenter de n’importe quoi entre les deux,  j’avais écrit:

Le pire qui peut arriver, c'est que beaucoup de défenseurs novorusses soient tués, que les villes de Slaviansk, Kramatorsk, Krasnyi Liman et d'autres soient complètement démolies et la plupart de leurs habitants tués, que la route entre Donetsk et de Lugansk soit coupée par les Ukies et que les forces ukies pénètrent profondément à l'intérieur de ces deux villes.
Je dois être honnête, il y a de très fortes chances que tout ceci se passe au cours des prochaines 24 heures.
Si cela arrive, je tiens à vous rappeler à tous qu'entrer dans une ville est une chose, en prendre le contrôle en est une autre. Pensez à Beyrouth, pensez à Grozny, pensez à Bagdad, pensez à Fallujah, pensez à Gaza, pensez à Bint Jbeil. Même si Porochenko annonce que Donetsk et Lugansk sont tombées, ce sera seulement une déclaration creuse, comme celle de Dobeliou (Bush II) avec sa mission accomplie en Irak. Ce qui va arriver *réellement*, c'est que la forme de la guerre va changer. Non seulement elle changera, mais la nouvelle forme de guerre (urbaine) inversera complètement l'énorme avantage de l'aviation, de l'artillerie et des blindés du côté ukie. Donc, si ces villes tombent – s'il vous plaît, ne désespérez pas.

J'espère que les Novorusses seront en mesure de résister aux Forces armées ukrainiennes, mais je sais aussi que, de toute évidence, le genre de puissance de feu que la junte utilise maintenant est vraiment énorme. Nous affrontons une attaque impitoyable et massive avec tout ce dont la junte peut disposer et nous devons accepter que les forces d'auto-défense novorusses soient contraintes de faire retraite plus profondément dans les villes ou même d'entrer dans la clandestinité. Tout cela de manière héroïque bien sûr, mais ce n'est pas malin de rester à découvert lorsque votre ennemi vous attaque à coups de Smerch et d'Uragan. Pendant la première guerre tchétchène, les Tchétchènes se sont repliés profondément à l'intérieur de Grozny et n'ont même pas pris la peine de défendre la périphérie, en partie parce que dans le centre ville, les bâtiments étaient beaucoup plus solides que les fragiles maisons dans les banlieues. Je n'ai jamais étudié le plan des villes de Lougansk et de Donetsk, mais s'ils sont typiques de la manière dont les Soviétiques aimaient à construire, il est logique de se réfugier dans le centre-ville et d'abandonner la banlieue.

La première option défensive est de laisser les Ukies entrer dans la banlieue, et ensuite de les diviser, les encercler puis de les attaquer. Si ça marche, tant mieux! Mais si les Ukies avancent en bombardant de façon massive  et soutenue et se taillent leur route, il deviendra nécessaire de passer au plan B et de se retirer plus profondément dans les villes. Si les Ukies avancent en de multiples endroits et trop vite, ou si les défenses du centre-ville ne sont pas adéquatement préparées (pour quelque raison que ce soit), le plan C est d'entrer plus ou moins dans la clandestinité et de passer à une phase de défense mobile, centrée sur de courtes mais intenses embuscades suivies de retraites immédiates.

Ce qui s’est vraiment passé m’a pris totalement au dépourvu: au départ, les forces ukrainiennes ont pris l’ascendant, mais bientôt, elles se sont enlisées puis se sont progressivement laissé encercler par les Novorusses. En fait, tant lors de l’offensive d’été de la junte que pendant celle de l’hiver, les Novorusses ont réussi à écraser les forces ukies même en terrain découvert: steppes, collines, champs et forêts. L’autre chose étonnante qui s’est passée, c’est que pour la première fois depuis 200 ans, il y a eu plus de combattants tués du côté ukrainien que de civils. Les services secrets allemands citent des sources évaluant à quelque 50 000 le nombre de victimes de cette guerre. Ce chiffre a du sens pour moi. Un tel résultat et de tels chiffres ne peuvent s’expliquer que par une différence énorme, vraiment immense, entre les capacités de combat de la junte et celles des forces novorusses. Sceptique comme j’étais devant le comportement des Novorusses en février-mars, je n’ai pas pu imaginer que ce peuple plutôt passif et pacifique se transformerait en combattants redoutables qui vaincraient si totalement des forces nettement supérieures (au moins sur le papier), et cela non pas une fois, mais deux fois. Même à une date aussi tardive que le 24 octobre, dans un billet intitulé Quelle pourrait être la prochaine offensive de la junte contre la Novorussie?, j’ai de nouveau échoué à prédire la défaite quasi certaine  de la junte pendant l’offensive d’hiver. J’ai écrit:

 Ce que les Ukies préparent est assez évident. Ils prendront plusieurs axes d'attaque clés, le long desquels ils déclencheront des offensives d'artillerie massives. Ce feu servira à préparer une poussée des unités blindées (cette fois, on peut s'attendre à ce que l'infanterie ukrainienne défende convenablement leurs tanks, et non l'inverse). Les Ukrainiens ne pénétreront pas très profondément dans Donetsk ou de Lugansk, mais essaieront plutôt, encore une fois, de diviser et d'encercler Donetsk par une attaque en tenaille puis de négocier une sorte de quasi-reddition des Novorusses. Ils tenteront tout au plus de pénétrer dans quelques banlieues importantes. Je ne m'attends pas à beaucoup d'action autour de Lugansk; Donetsk est beaucoup plus exposée. Maintenant, si j'ai raison et si cela se passe comme prévu, alors s'il vous plaît, essayez de comprendre et rappelez-vous ceci: la bonne réponse novorusse à ce plan est de commencer par une retraite. Cela n'a aucun sens pour les Novorusses de s'installer et de combattre à partir de leurs positions, qui sont densément couvertes par des frappes d'artillerie ukrainiennes. Au cours de la première attaque ukrainienne, j'ai été consterné de voir combien de personnes n'ont pas compris l'importance des retraites dans la guerre... Les va-t-en-guerre, en particulier, ont insisté pour voir dans la première retraite le signe incontestable que, comme toujours, Poutine a trahi la Novorussie (lorsque les séparatistes ont lancé une brillante contre-offensive, ces mêmes patriotes se sont tus jusqu'à ce que Moscou empêche les séparatistes de s'emparer de Marioupol, et alors ils ont recommencé à chanter leur mantra). Le fait est que la retraite devant une force supérieure est la chose logique à faire, surtout si vous avez eu le temps de vous préparer pour un, deux, voire trois niveaux de défense. Bien que je n'en sois pas absolument certain, je suppose que c'est ce que les Novorusses ont fait pendant toute la durée du cessez-le-feu: préparer une défense bien organisée et à plusieurs niveaux. Mon espoir est que si une fois de plus les forces de la junte attaquent, les FAN [Forces Armées Novorusses] se retireront de nouveau prudemment, pour les attirer , puis démolir progressivement les attaquants. J'espère, en particulier, que les Russes ont enfin envoyé des missiles antichar à guidage à travers le voentorg [ravitaillement clandestin].

Je me suis complètement trompé. Non seulement les Novorusses ont stoppé l’offensive de la junte le long de la ligne de contact, mais ils sont passés à la contre-offensive et se sont emparés de l’aéroport fortifié de Donetsk, puis de la totalité du chaudron de Debaltsevo. Dire que je suis extrêmement impressionné est un euphémisme.

Les analystes militaires ont toujours tendance à être très prudents et à prévoir le pire, et il faut que ce soit comme ça quand des vies sont en jeu. Mais je ne peux expliquer mon échec complet à prédire les succès novorusses. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai très mal évalué la mentalité novorusse en supposant que sa passivité initiale était un indicateur de sa capacité à se battre. Un postulat totalement biaisé et erroné.

Quand même, j’ai eu raison pour une bonne partie de ce qui s’est passé, et donc tous les conseillers, analystes, spécialistes de la zone, etc. travaillant pour les gouvernements impliqués dans cette crise auraient pu le faire, et je vous parie qu’ils l’ont fait. Mais les politiciens ne veulent pas écouter, ou ils voulaient précisément arriver à ce résultat.

Ce qui est totalement dégoûtant et honteux est que tout ce qui s’est passé était tout à fait prévisible. En fait, Poutine, Lavrov et encore plus de fonctionnaires russes *ont essayé* de dire à tout le monde que le peuple ukrainien courait allègrement et tout droit au précipice, mais personne n’était prêt à les écouter. Au lieu de cela, les politiciens occidentaux ont critiqué les Russes pour tout ce qui se passait, ce qui est la chose la plus malhonnête intellectuellement et la plus  hypocrite qu’ils pouvaient faire.

En un an, tout un pays a été détruit, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et des millions d’autres n’ont plus rien, même pas l’espoir: l’Ukraine est un État en déliquescence, après être passé par les cinq stades de l’effondrement de Dmitri OrlovKiev est aux mains d’un régime de cinglés nazis incompétents et l’alternative, si ceux-ci s’en vont, paraît encore pire.

Ne vous méprenez pas: si aujourd’hui le Donbass est sans doute à l’abri de toute nouvelle attaque de la junte, les risques pour le reste de l’Ukraine sont encore énormes et un bain de sang encore plus grave pourrait se produire bientôt.

Le prochain président ukrainien

Ce qui est évident, c’est que Porochenko est condamné: ce triste bouffon a promis la paix au peuple ukrainien, et au lieu de cela, il lui a infligé une longue année de bain de sang aboutissant à une défaite stratégique qui a coûté aux Ukrainiens la moitié de leurs forces plus ou moins aptes au combat. La seule chose qui maintient Porochenko au pouvoir aujourd’hui est le soutien politique des États-Unis et la reconnaissance politique par l’UE et la Russie. Mais les autres monstres en puissance se fichent de l’UE ou de la Russie et je prédis qu’ils vont essayer de l’éjecter à la première occasion. Quand je regarde la liste des monstres susceptibles de succéder à Porochenko, j’ai un nœud à l’estomac: si Porochenko était une prostituée politique et un mol imbécile incompétent, il n’était au moins pas cliniquement fou. La plupart de ses probables successeurs le sont. Pour Iatseniuk ou Turchinov, personnellement, je pense qu’ils sont possédés par le démon, ce qui est sans doute encore pire que d’être cliniquement fou.

En conclusion, je dirai simplement que si je crois que toutes les horreurs de la dernière année auraient été entièrement évitables, je crois aussi que les horreurs de l’année à venir ne le sont pas: l’Ukraine a sauté du haut de la falaise et se dirige actuellement vers le même avenir que la Libye (une autre success story de l’Occident). J’espère que je me trompe et que j’oublie quelque chose d’essentiel, mais personnellement, je ne vois aucun moyen d’arrêter l’implosion de l’Ukraine croupion, et je conseille à tous ceux qui vivent encore là-bas de partir pendant qu’ils le peuvent encore.

A Moscou, il y avait un anti-Maïdan, une manifestation où 10 000 personnes étaient attendues, qui en a finalement rassemblé entre 35 000 et 50 000, venues  dire «Nous n’oublierons pas, nous ne pardonnerons pas» et «Pas de Maïdan en Russie». Ce mouvement anti-Maïdan, créé tout récemment, a un très brillant avenir politique. Car après avoir vu les horreurs partout aux frontières et avoir accueilli près d’un million de réfugiés en provenance de l’Ukraine, la grande majorité des Russes ne veulent rien avoir à faire avec des événements dans le genre Maïdan en Russie. Combinez cela avec les presque plus de 80% de popularité de Poutine, malgré les sanctions occidentales, et vous verrez que la Russie est à l’abri du genre d’événements qui ont eu lieu à Kiev il y a un an.

Le virus qui a tué l’Ukraine agira comme un vaccin pour la Russie.

The Saker

Traduit par Toma et Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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