Le désordre mondial


Par Ghassan Kadi – Le 3 octobre 2015 – Source thesaker.is

Le récent discours du président Poutine à l’Assemblée générale des Nations unies a révélé au reste du monde l’ampleur des mensonges et de l’inefficacité de l’Occident. De plus, l’initiative militaire russe en Syrie qui a suivi presque immédiatement ce discours a laissé tous les ennemis de la Syrie dans une impasse, confus et pantois.

Simultanément, le secrétaire d’État Kerry dit qu’il veut coopérer avec la Russie tandis que les autres responsables états-uniens se disent préoccupés par le rôle de cette dernière et demandent l’arrêt de son intervention militaire. Israël est très préoccupé par le couvre-feu imposé par les Russes à son aviation dans le ciel syrien. Pour ajouter aux malheurs d’Israël, quelques fuites indiquent que le Hezbollah a reçu de l’Iran des missiles anti-aériens sol-air SA-22 de dernière génération. La Turquie est furieuse parce que la Russie aurait attaqué l’Armée syrienne libre (FSA dans son sigle anglais). Les Saoudiens demandent que la Russie cesse son assaut, et tous les soi-disant islamistes protégés souhaitent que les Russes soient ramenés en Russie dans des linceuls pour rejouer ce qui s’est passé en Afghanistan.

La Russie démontre clairement qu’il n’y a aucune différence entre l’une ou l’autre des forces armées illégitimes qui opèrent en Syrie et qu’elle est là pour soutenir l’armée syrienne et le gouvernement élu, indépendamment de ce que l’Occident et ses partisans disent, veulent ou pensent.

Lavrov ne pouvait pas l’exprimer plus crûment lorsqu’il a dit que «s’il ressemble à un terroriste, s’il marche comme un terroriste, s’il combat comme un terroriste, c’est un terroriste, non ?»

En fait, on peut être presque certain que les premières attaques russes ont délibérément frappé autant de groupes différents que possible dans le but, pour la Russie, d’envoyer le message clair qu’elle ne fait aucune distinction entre les divers groupes terroristes et qu’elle a l’intention de tous les détruire.

Le président Poutine a fait une remarque très subtile lorsqu’il a dit que les combattants étrangers en Syrie ne devraient pas être autorisés à rentrer chez eux. Logiquement, cela implique qu’il pensait qu’ils seraient tous tués ou capturés.

L’intervention militaire russe est indéniablement un acte sans précédent, qui marque le véritable début d’une nouvelle ère géopolitique. C’est un pas beaucoup plus important que les diverses étapes qui ont précédemment signalé la fin de l’ère du Nouvel ordre mondial. [US NWO, NdT]

La fin de l’hégémonie du Nouvel ordre mondial était déjà apparue clairement en Ukraine, puis en septembre 2013, en Méditerranée occidentale [pour empêcher le bombardement de la Syrie, NdT], indiquant que l’Amérique n’est plus le leader mondial incontesté.

L’ancienne nation syrienne était destinée à être le lieu où cette nouvelle phase historique de la géopolitique a émergé et où un changement fondamental a été imposé.

Lorsque nous utilisons le terme imposé, nous devons définir la nature de cette imposition, parce que les présidents Poutine et Assad imposent le droit international et les accords bilatéraux ; contrairement à la multitude de coalitions menées par les États-Unis, qui ont envahi des pays pour renverser leurs gouvernements légitimes, piller leurs ressources et leurs infrastructures et détruire leurs économies.

Donc les États-Unis sont maintenant pris entre le marteau et l’enclume. Pour la première fois depuis très longtemps, ils sont contraints d’admettre qu’ils ne sont plus l’unique superpuissance mondiale. En outre, ils se retrouvent à devoir accepter qu’un développement international majeur s’est produit en Syrie contre leur volonté et qu’ils sont incapables de l’arrêter.

Mais l’acceptation par l’Amérique du nouveau statu quo et l’abolition du Nouvel ordre mondial post-URSS n’est pas le principal dilemme auquel elle doit faire face. Aux yeux des politiciens américains bellicistes, la question principale est d’affronter les conséquences. Si l’Amérique devait rester assise et regarder la Russie mettre en œuvre ses propres résolutions en Syrie, alors cette position reviendrait à accepter la défaite.

Accepter sa défaite est quelque chose d’énorme que l’Amérique n’a pas l’habitude de faire. Pour elle, accepter la défaite est une affaire sérieuse qui pourrait amener des politiciens bellicistes à se lancer dans de gros paris et de dangereuses manœuvres .

Il n’y a pas très longtemps, je me suis demandé ce que pourrait faire une Amérique désespérée, et j’ai écrit un article intitulé How Far Will A Desperate America Go ? [Jusqu’où ira une Amérique désespérée ?]. J’y examinais hypothétiquement quelques scénarios potentiels et j’y envisageais quelques réactions, mais l’initiative russe en Syrie a redistribué toutes les cartes, plongeant l’Amérique dans une situation où elle pourrait devoir lutter non seulement pour sa survie, non seulement pour sa taille, mais aussi pour son impunité et sa capacité à prendre des décisions indépendantes.

En effet, de nombreux observateurs considèrent que les actions de l’Amérique en Ukraine visaient à punir la Russie pour le rôle qu’elle a joué en Syrie jusqu’en 2013. Nous devons garder à l’esprit que si c’est vrai, ç’aurait été en représailles des deux missiles américains visant la Syrie et abattus par les Russes au-dessus de la Méditerranée orientale. Comparé à ce que fait la Russie aujourd’hui, la destruction de deux missiles est une peccadille, dérisoire et insignifiante.

Là est la question : l’Amérique a-t-elle déclenché le chaos ukrainien dans le but de punir la Russie simplement pour avoir abattu deux missiles américains destinés à frapper la Syrie ? Alors, jusqu’où est-elle prête à aller pour punir la Russie parce que celle-ci bombarde les cellules terroristes en Syrie, révélant ainsi l’impuissance  de l’Amérique ?

Un tel scénario est effrayant, c’est peu de le dire, et c’est peut-être le seul souci relatif à la manière dont l’intervention russe en Syrie peut devenir scabreuse.

Hormis une confrontation ouverte avec la Russie en Syrie, l’Amérique ne peut pas, de façon réaliste, faire grand chose pour entraver la Russie. Les acolytes régionaux de l’Amérique au Moyen-Orient, y compris Israël, ne sont pas en position de se dresser contre la Russie. Ergodan a été rendu totalement impuissant et les Saoudiens sont profondément empêtrés. De plus, même avant le début de l’assaut russe, le cocktail anti-syrien avait déjà volé en éclats et chacun de ses fragments a continué en solo à récupérer des morceaux dans la poursuite de ses propres intérêts et de sa survie.

Washington doit être en effervescence, dans l’agitation et la confusion. Les décideurs et les conseillers politiques, les stratèges et les experts recherchent sans doute toutes les solutions alternatives, mais ils doivent trouver tous les choix très difficiles, parce qu’ils n’ont pas trop d’options. Si l’Amérique opte pour laisser la Russie faire sa part en Syrie, elle pourrait laisser faire avec l’idée qu’elle peut facilement allumer un autre foyer ailleurs et/ou raviver l’incendie en Ukraine et causer ainsi des problèmes à la Russie. Mais cela ne règle que la moitié de la question parce que, à moins que l’Amérique ne réussisse à stopper l’initiative russe en Syrie, elle sera considérée comme ayant accepté sa défaite.

La Russie tente de restaurer un ordre mondial universellement accepté basé sur l’ONU, mais l’Amérique a encore le pouvoir de créer un nouveau désordre mondial. Le fait que les auteurs de la politique américaine soient assez fous pour aller dans cette direction sera déterminé par de nombreux facteurs, y compris savoir qui tiendra la barre après Obama. Nous pouvons bien critiquer Obama, nous le faisons et le devons, mais il est très possible que le nouveau président américain fasse ressembler George W. Bush à Mère Teresa. C’est peut-être une bonne raison pour que la Russie agisse rapidement en Syrie avant que quelque fou furieux conservateur ne remporte la prochaine élection présidentielle aux États-Unis.

Maintenant, la Russie dirige la manœuvre. La conspiration menée par les États-Unis en Ukraine s’est déjà retournée contre elle en Crimée, augmentant le butin des russes.

Le président Poutine comprend bien la mentalité américaine. Il sait que les Américains sont des fiers-à-bras et il sait comment s’y prendre avec eux.

Les fiers-à-bras n’acceptent pas qu’on les voie vaincus. Par conséquent, les Américains doivent pouvoir accepter de voir leur fierté rabaissée, avec un minimum de dommages, si la diplomatie russe parvient à leur trouver une porte de sortie qui leur permette de sauver la face.

Après tout, la reddition des armes chimiques en 2013 était un édulcorant négocié par les Russes que l’Amérique a avalé sans hésitation. La différence entre les événements de 2013 et ceux d’aujourd’hui est que l’événement des deux missiles américains abattus par la Russie en 2013 était resté en coulisse et n’était connu que de quelques-uns. L’Amérique n’était pas partie la queue entre les jambes parce que l’événement est resté ignoré aux yeux du monde. Mais actuellement on voit tout et quelle que soit l’ordonnance prescrivant la potion magique qui sauvera la face des États-Unis, elle sera clairement écrite en cyrillique pour le reste du monde.

Ghassan Kadi

 

Traduit par Diane, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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