Par Tyler Durden − Le 16 novembre 2022 − Source Zero Hedge
L’Europe a maintenu jusqu’ici une façade globalement optimiste face à l’arrivée des froids de l’hiver, et a indiqué disposer de plus de gaz que nécessaire pour pallier le manque de livraison de la part de la Russie, y compris dans un scénario du « plus froid », mais en arrière plan, la plus grande économie d’Europe se prépare en silence à un scénario du pire intégrant des foules en colère et des faillites bancaires, si les coupures d’énergie empêchent la population d’accéder à l’argent liquide.
Comme l’indique Reuters en citant quatre sources, les autorités allemandes ont commencé à se préparer à distribuer de l’argent liquide en cas de coupure (ou de coupures multiples) pour maintenir l’économie à flot, sur fond d’anticipation de coupures énergétiques en raison de la guerre en Ukraine. Parmi les projets, on voit la Bundesbank accumuler des milliards pour répondre à une augmentation brutale de la demande, ainsi que de « possibles limitations sur les retraits », a indiqué l’un des interlocuteurs. Et si vous pensez que les investisseurs en cryptomonnaie sont en colère lorsqu’ils perdent accès à leurs actifs digitaux lors de la faillite d’une plateforme d’échange, attendez de voir un Allemand à qui l’on vient de couper l’accès à son argent liquide.
Les dirigeants et les banques ne s’intéressent pas uniquement à la création (c’est-à-dire, à l’impression de billets), mais également à la distribution, et discutent par exemple de la priorité de l’accès au carburant pour les transporteurs d’argent liquide, selon les autres sources qui commentent les préparations qui se sont accélérées au cours des dernières semaines, après que la Russie a coupé les livraisons de gaz.
Les discussions sur les projets impliquent la banque centrale, BaFin, son régulateur des marchés financiers, et de multiples associations de l’industrie financière, selon les sources évoquées par Reuters, qui se sont exprimées sous couvert d’anonymat sur les projets qui sont confidentiels et en cours.
Bien que les autorités allemandes aient, face au public, nié la potentialité d’une coupure et de paniques bancaires — pour des raisons évidentes — les discussions montrent le sérieux avec lequel elles considèrent cette menace, et la manière dont elles luttent pour se préparer à des coupures d’énergie potentiellement dévastatrices provoquées par la montée en flèche des prix de l’énergie, ou même le sabotage. Elles soulignent également les implications de plus en plus vastes de la guerre en Ukraine pour l’Allemagne, qui s’est des décennies durant appuyée sur une énergie abordable en provenance de Russie, et se trouve désormais confrontée à une inflation à deux chiffres et à une menace de coupure de carburant et à des coupures d’électricité.
Quiconque connaît l’histoire récente de la République de Weimar sait que l’accès à l’argent liquide constitue une préoccupation toute particulière pour les Allemands, qui accordent de l’importance à la sécurité et à l’anonymat, et qui ont tendance à utiliser le liquide davantage que les autres Européens, avec certains Allemands qui continuent de détenir des anciens Deutschemarks, pourtant remplacés par des euros il y a plus de vingt ans.
Selon une étude récente de la Bundesbank, ce sont à peu près 60% des achats quotidiens allemands qui sont payés de nos jours en liquide, et les Allemands, en moyenne, retirent plus de 6600 euros par an auprès des distributeurs bancaires.
Et voici la chute : il y a 10 ans, un rapport parlementaire évoquait le « mécontentement » et des « altercations agressives » si les citoyens n’étaient plus en mesure d’accéder à l’argent liquide durant une coupure. Traduction : en cas d’arrêt des retraits d’argent liquide, la société allemande pourrait fort bien s’auto-déchirer.
De fait, le début de la pandémie, au mois de mars 2020, fut le théâtre d’une course à l’argent liquide, et les Allemands ont retiré à cette occasion 20 milliards d’euros en plus que ce qu’ils ont déposé. Cela a constitué un record, et les choses s’étaient alors déroulées sans accroc. Mais une panne d’électricité potentielle lève de nouvelles questions au sujet des scénarios possibles, et les dirigeants reconsidèrent la question avec intensité maintenant que la crise énergétique s’étend au sein de la première économie européenne et que l’hiver approche.
En cas de coupure électrique, une option pour les décideurs serait de limiter la quantité d’argent liquide disponible par personne, a affirmé l’un des interlocuteurs. Il va sans dire que cela constituerait une très mauvaise option pour l’Allemagne, et pour la monnaie dans son ensemble (après tout, si la faillite de FTX a provoqué des dégâts dans les cryptomonnaies, que dire au sujet de la monnaie si l’une des économies les plus avancées au monde se retrouve à limiter les accès à l’argent liquide). C’est la Bundesbank qui s’occupe des flux d’argent liquide dans les magasins et l’économie d’Allemagne, en retirant les faux billets et en s’assurant que les flux circulent en bon ordre. Ses stocks importants la préparent à tout pic dans la demande, ajoute l’interlocuteur.
Une faiblesse exposée par ces préparations implique les sociétés de sécurité qui transportent l’argent depuis la banque centrale vers les distributeurs d’argent liquide et les banques. L’industrie, qui comprend la Brinks et Loomis, n’est pas bien protégée par la loi en matière d’accès aux carburants et aux télécommunications durant une panne électrique, selon l’organisation industrielle BDGW.
« Il existe de gros trous dans la raquette », a affirmé Andreas Paulick, directeur du BDGW. Les véhicules blindés devraient faire la queue aux stations essence comme tout un chacun, déclare-t-il. L’organisation a organisé une réunion la semaine dernière avec les dirigeants de la banque centrale et les législateurs pour faire connaître ses problèmes.
« Nous devons préventivement nous attaquer au scénario réaliste d’une panne d’électricité », affirme Paulick. « Il serait totalement naïf de ne pas l’évoquer en ce moment. »
À quel point les choses pourraient-elles empirer ? Ma foi, plus de 40% des Allemands craignent une panne électrique dans les six mois à venir, selon un sondage paru la semaine dernière dans Funke Mediengruppe. Et comme en pratique au moins une coupure électrique est assurée dans les mois à venir, une panique vers le distributeur de billets le plus proche va s’ensuivre, une chose que les infrastructures financières locales ne pourront sans doute pas gérer.
Par conséquent, le bureau allemand de gestion des catastrophes a affirmé recommander que les gens se mettent à conserver de l’argent liquide chez eux pour ce type d’urgence (cela va très certainement inspirer de la confiance).
Dans le même temps, une autre source de Reuters indique que les régulateurs financiers allemands s’inquiètent que les banques ne soient pas complètement préparées pour des coupures d’énergie, et considèrent ce type d’événement comme un risque nouveau, jusqu’alors imprévu. Les banques considèrent comme « improbable » une coupure d’électricité à grande échelle, selon la Deutsche Kreditwirtschaft, l’organisation parapluie du secteur financier. Mais les banques restent néanmoins « en contact avec les ministères et autorités compétentes » pour préparer un tel scénario, d’autant plus que tout chose qualifiée par les banques d’« improbable » tend à se produire de manière assez régulière. Il est évoqué que la finance devrait être considérée comme une infrastructure critique si l’énergie devait être rationnée.
De temps à autre, la politique peut s’opposer à la planification de coupures. À Francfort, la capitale bancaire de l’Allemagne, un membre du conseil municipal a proposé de rendre obligatoire la présentation d’un plan de coupure électrique pour le 17 novembre. L’homme politique, Markus Fuchs, membre du parti de droite AfD, a affirmé face au conseil municipal qu’il serait irresponsable de ne pas s’y préparer. Mais les autres partis ont rejeté la proposition, accusant Fuchs et son parti d’inciter à la panique.
Fuchs a ensuite ajouté au cours d’une interview par téléphone : « Si nous trouvions une solution pour la paix dans le monde, celle-ci se verrait rejetée. » Le sujet souligne également la dépendance du commerce envers les technologies, avec des transactions qui sont de plus en plus électroniques, et où la plupart des distributeurs de billets n’ont pas de source électrique de réserve.
L’argent liquide serait la seule méthode de paiement officielle qui continuerait de fonctionner, affirme Thomas Leitert, dirigeant de KomRe, une société qui conseille les villes sur les préparations aux coupures électriques ainsi qu’à d’autres catastrophes.
« Quelle autre méthode pour acheter les boîtes de raviolis ? » demande Leitert. Eh bien, il y a ces bidules de cryptomonnaies, mais le second donateur Démocrate vient de prendre un sacré coup…
Tyler Durden
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone