Par Halyna Mokrushyna – Le 27 avril 2015 – Source Counterpunch
Mon voyage en Ukraine de l’est
Du 13 au 17 avril 2015, j’ai participé à un voyage de presse au Donbass, la région de l’Ukraine de l’Est déchirée par le conflit armé entre les Forces armées ukrainiennes et l’insurrection locale. Les gens du Donbass (la région inclut les oblasts de Donetsk et Lugansk) se sont rebellés l’an dernier contre l’intégration dans l’Union européenne imposée par Kiev et sa nouvelle histoire et son idéologie basées sur un nationalisme ukrainien extrême et exclusif.
Le Donbass a toujours été une région majoritairement russophone, intégrée culturellement et économiquement à la Russie. Lorsqu’en février 2014, la révolution de l’Euromaidan a renversé le président élu Victor Ianoukovitch, le Donbass a rejeté cette destitution tout comme la violence avec laquelle elle avait été pratiquée. Le Donbass ne s’est pas reconnu dans ce coup d’État, soutenu par les médias occidentaux et ukrainiens comme une révolte populaire contre un dictateur corrompu. Le Donbass a répliqué avec ses propres manifestations et a revendiqué la tenue d’un référendum sur l’avenir de la région. Kiev a répondu à ces demandes légitimes en lançant une opération antiterroriste contre son propre peuple en avril 2014.
J’ai vu de mes propres yeux ces terroristes à Donetsk – des gens qui, avant cette guerre fratricide, étaient patrons de petites entreprises, mineurs, professeurs d’université, ingénieurs, officiers dans les services de sécurité, et ainsi de suite. Après que Kiev a lancé une guerre contre eux, ils ont décidé qu’ils voulaient construire quelque chose de différent du régime oligarchique de Kiev – un nouvel État, libéré de la corruption et du nationalisme. A Donetsk et à Lugansk, ils ont créé de nouvelles entités politiques avec des structures de gouvernement émergentes – la République populaire de Donetsk (RPD) et la République populaire de Lugansk (RPL).
C’est une tâche immense et difficile. L’Ukraine a coupé tous les approvisionnements aux régions rebelles. La Russie n’a pas reconnu les Républiques populaires politiquement, mais elle leur fournit de l’aide humanitaire. J’ai parlé à ces gens courageux à Donetsk qui, en dépit de toutes les difficultés, travaillent tous les jours pour réaliser leur rêve. Ils ont créé leur propre système bancaire, les premières pensions de retraite ont été versées le 1er avril, les étudiants fréquentent les universités locales, les enfants vont à l’école publique et les infrastructures détruites sont lentement réparées et reconstruites. Les ressources sont rares, mais les gens de la RPD font du mieux qu’ils peuvent dans les circonstances présentes.
J’ai parlé à des femmes et des hommes âgés qui vivent dans des appartements et des maisons proches de la ligne du cessez-le-feu signé à Minsk, en Biélorussie, le 12 février 2015. Leurs maisons ont été endommagées par les bombes et les obus tirés par l’armée ukrainienne. Ce sont des gens sans moyens économiques ni relations familiales qui leur permettraient d’aller ailleurs, dans un endroit plus sûr. Ceux qui ont les moyens ont quitté Donetsk, soit pour d’autres régions en Ukraine soit pour la Russie. La population de la ville, environ un million d’habitants, est aujourd’hui à peu près la moitié de ce qu’elle était avant la guerre. Certains reviennent, avec l’espoir que la guerre va finir.
Le Donbass essaie de revenir à la vie normale. Il y a cependant des rappels dans toute la ville que la guerre pourrait reprendre à tout moment. Des gardes de l’armée sont stationnés devant tous les bâtiments administratifs importants. Un couvre-feu est maintenu de 23 heures à 6 heures. Notre voyage de presse a été accompagné partout par trois députés du parlement de Novorussie et deux membres des forces d’autodéfense locales.
Ils nous ont emmenés dans plusieurs banlieues de l’ouest de Donetsk, près de la ligne de démarcation détruite par les bombardements de l’armée ukrainienne. Je regardais les fenêtres vides d’une école, explosées par un bombardement, probablement l’été dernier lorsque les combats étaient à leur apogée. Dans la cour de l’école, mes collègues de voyage ramassaient des éclats d’obus. J’ai ressenti une grande tristesse. Je me suis dit: je suis devant le cimetière de l’Ukraine telle que je l’ai connue.
Il n’y a pas de retour en arrière. Le Donbass ne veut pas faire partie d’une Ukraine qui célèbre les nationalistes ukrainiens qui ont collaboré avec l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale et contre qui l’armée soviétique a combattu. Le Donbass est opposé au capitalisme néolibéral qui détruit l’industrie et l’agriculture ukrainiennes. Le Donbass réintégrerait une Ukraine fédérale, mais seulement si le gouvernement de Kiev subissait ce que les gens du Donbass appellent une dénazification. Malheureusement, c’est très peu probable. Un divorce civilisé est la meilleure solution à ce conflit armé.
Le Canada apporte un soutien militaire à Kiev. Le Canada devrait plutôt se souvenir de son expérience de pacificateur et de négociateur et faire pression sur le gouvernement Kiev pour qu’il remplisse les obligations auxquelles il a souscrit lorsqu’il a signé l’accord sur le cessez-le-feu à Minsk, le 12 février 2015, en même temps que les représentants de Lugansk et Donetsk.
Halyna Mokrushyna a souvent écrit sur la guerre en Ukraine de l’est l’année dernière. Veillez à la parution de ses prochains articles sur son voyage à Donetsk, en Ukraine orientale, en avril 2015. Vous trouvez tous ses articles sur le site NewColdWar.org. Pour lui écrire: halouwins@gmail.com.
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone