Par Alexander Mercouris – Le 27 avril 2015 – Source Russia Insider
Comme les perspectives d’un Grexit augmentent, la Grèce pourrait être obligée de défier les Européens et de se tourner vers Moscou pour l’aide économique vitale dont elle aura besoin.
Les négociations sur le sauvetage de la Grèce sont bloquées. Les négociations parallèles de la Grèce avec Gazprom aussi.
Pourquoi cela et quelles en sont les implications?
Les nouvelles importantes de la semaine dernière sont (1) que la Grèce a échoué à atteindre un accord intermédiaire avec l’Eurogroupe des ministres des Finances au sommet de Riga qui s’est tenu le 24 avril 2015, où le ministre grec des Finances Varoufakis s’est fait passer un savon et où la réunion s’est interrompue après un bref instant; et (2) que la Grèce n’a pas signé la semaine dernière l’accord avec Gazprom, qui avait traîné depuis la visite de Tsipras à Moscou.
Il y a quelques jours, j’ai écrit un article pour Russia Insider, dans lequel je disais que la raison pour laquelle la Commission européenne s’était précipitée pour annoncer sa plainte anti-trust contre Gazprom était qu’elle était préoccupée par l’éventuel accord grec avec Gazprom.
Depuis lors, j’ai eu une longue discussion avec une source à Athènes. Celle-ci m’a confirmé que le gouvernement grec avait finalement calé devant l’offre de Gazprom (qui était prêt pour être signé le 23 avril 2015) à la suite d’avertissements de la Commission européenne que ses termes étaient contraires à la loi européenne – c’est-à-dire le Troisième paquet énergie.
Ma source m’a dit que le gouvernement grec ne pourrait pas, finalement, se résoudre à défier lui-même la Commission européenne sur cette question, par crainte que cela puisse compromettre ses négociations lors de la séance avec l’Eurogroupe des ministres des Finances européens le lendemain.
En fait, les négociations de l’Eurogroupe n’ont abouti précisément à rien. Loin que le refus de la Grèce de signer un accord avec Gazprom lui ait acheté la bonne volonté de l’Eurogroupe, l’échec à le faire a laissé le ministre grec des Finances Varoufakis sans aucun atout dans la main lors de la réunion. Sans les $5 milliards qu’il aurait pu avoir de Gazprom, il s’est retrouvé à mendier de l’argent qu’il n’a pu obtenir, comme c’était prévisible.
La stratégie de négociations de la Grèce a peu de sens actuellement et révèle un gouvernement divisé et inexpérimenté. Il ne servait à rien de faire des ouvertures à Moscou si la Grèce n’était pas préparée à les suivre. Il était totalement prévisible que les autorités de l’UE s’opposeraient à tout accord avec la Russie ou avec Gazprom. Si la Grèce n’était pas prête à défier les autorités européennes sur cette question, elle n’aurait pas dû procéder du tout. De même que les Russes doivent être ennuyés d’avoir été éconduits, les dirigeants européens ont été contrariés et persuadés que la posture anti-austérité de la Grèce n’était finalement qu’un bluff.
Ils ont probablement raison de penser ça. Le tout dernier sondage montre que 72% des Grecs veulent garder l’euro et que la Grèce parvienne à un accord avec l’UE. Seuls 23% sont contre.
Combinée à l’échec de la Grèce à signer un accord avec Gazprom, cela aura indiqué aux dirigeants de l’UE que la Grèce finira par céder et que donc les concessions ne sont pas nécessaires.
Syriza est en train de payer le prix de la manière dont elle a obtenu sa victoire électorale. Syriza a promis au peuple grec qu’il pourrait avoir à la fois la fin de l’austérité et rester dans l’euro. C’était une promesse que Syriza ne pouvait pas tenir, parce que c’est hors de son pouvoir de le faire. La promesse a toujours ressemblé à un bluff téméraire qui laisserait à la fois Syriza et la Grèce exposées au désespoir si jamais elle avait été prise au sérieux.
Les options du gouvernement Syriza sont maintenant très sombres. Depuis qu’un accord avec Gazprom a été éliminé, la Grèce doit choisir entre revenir en arrière et accepter une extension infinie de l’austérité – peut-être avec quelques concessions cosmétiques mineures – ou être forcée de sortir de l’euro.
En l’état, je pense que le plus probable est que la Grèce tentera de reculer. Le coût politique de ce recul sera très élevé et je ne suis pas sûr que, si c’était le cas, l’actuel gouvernement grec survivrait, du moins dans sa forme actuelle. Le coût d’un Grexit est cependant encore plus élevé en termes politiques et je soupçonne que le gouvernement grec fera tout ce qu’il peut pour l’éviter.
Il reste toutefois une forte probabilité que la Grèce soit forcée à sortir de l’euro, quoi qu’il arrive.
En fin de compte, le fardeau de la dette grecque est insoutenable et il n’est simplement pas réaliste de penser que la Grèce puisse maintenir indéfiniment le degré d’austérité actuel. A moins d’un changement fondamental dans la politique européenne, qui autoriserait un assouplissement dans l’austérité – dont il n’y a aucun signe – un Grexit paraît désormais inévitable. En fin de compte, ce qui n’est pas supportable économiquement n’est pas supportable politiquement non plus.
Des commentaires récents venus d’Allemagne suggèrent que certains politiciens allemands se rallient maintenant tardivement à ce point de vue. C’est un secret de polichinelle que le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble veut un Grexit, qu’il voit comme la seule manière de mettre fin à ce feuilleton.
Ici, il est important de disposer d’un argument qui a récemment gagné en popularité, y compris en Grèce.
Plusieurs personnes, y compris Wolfgang Munchau du Financial Times, affirment maintenant qu’il n’y a aucune raison juridique empêchant la Grèce de rester dans l’euro même si elle fait défaut et que c’est ce qu’elle devrait faire.
Juridiquement parlant, ces gens ont totalement raison. En effet, c’est exactement ce qu’elle aurait dû faire en 2010. La Grèce aurait dû être autorisée à restructurer sa dette (ce qui signifie, en effet, faire défaut) de manière à l’installer sur une base durable, tout en restant dans l’Eurozone et en gardant l’euro.
La zone euro est une union monétaire, pas une union de transfert, et il n’y avait aucune raison logique ou légale à ce que les autres États ou institutions de la zone euro assument la responsabilité de la dette grecque en la sauvant financièrement. Il est certain qu’on n’aurait pas accordé à la Grèce un financement qu’elle ne pouvait jamais espérer rembourser. Incidemment, c’est cela qui était effectivement illégal à partir de toute lecture objective des traités.
Mais maintenant, c’est trop tard. L’UE ne peut pas autoriser la Grèce à faire défaut sur l’immense somme qu’elle doit aux institutions européennes et rester dans l’euro. Cela constituerait un précédent totalement inacceptable, que les autres États gravement endettés de l’Eurozone, et qui ont été renfloués, pourraient être tentés d’imiter. Pour cette raison, les autres États de la zone euro et les autorités européennes ne veulent pas l’envisager.
Ce qui est le plus probable, c’est que si, ou plutôt quand, la Grèce fera défaut, après un bref intervalle et probablement pendant un week-end, la Banque centrale européenne retirera son soutien aux banques grecques. La Banque de Grèce n’aura dans ce cas pas d’autre choix que d’imprimer des drachmes pour soutenir les autres banques. A ce moment-là, l’adhésion de la Grèce à la zone euro sera terminée.
L’effet immédiat d’un Grexit serait catastrophique pour la Grèce. Il y aura une faible confiance dans la nouvelle monnaie, il y aurait une ruée aux guichets des banques, la plupart d’entre elles s’effondreraient et ce serait la spirale de l’inflation.
A ce point, la Grèce pourrait avoir peu d’autres choix que de se tourner vers le pays qui est son plus important partenaire commercial et qui est le seul pays en position de lui fournir la nourriture et l’énergie dont elle aurait besoin pour passer le cap.
Ce pays est la Russie – le plus grand producteur d’énergie et de nourriture d’Europe.
Mais si les Russes aident la Grèce, ce sera à leurs conditions.
Faisons abstraction de la spéculation sur les bases navales en Méditerranée (que la Russie ne veut pas et dont elle n’a pas besoin), cette dernière ressuscitera presque certainement l’accord avec Gazprom.
Une fois que la Grèce est sortie de l’euro, l’influence de l’UE sur elle est terminée.
Les États du sud et de l’est de l’Europe, qui sont mécontents des contre-sanctions de l’UE et de sa politique anti-Gazprom, se sont néanmoins sentis obligés de s’y rallier parce qu’ils ne veulent pas risquer de perdre leurs fonds structurels et les prêts de l’UE, ou leurs espoirs de rejoindre l’euro.
Si la Grèce est éjectée de la zone euro, elle n’est plus dans cette position.
Les financements structurels et de sauvetage seront perdus à jamais. Ils ne sont pas accordés maintenant et ne le seront certainement pas à l’avenir si la Grèce sort de l’euro et fait défaut.
Après avoir été poussée hors de l’euro, il y a peu de perspectives que la Grèce y retourne bientôt, et certainement pas tant qu’elle continue à ne pas respecter ses engagements à l’égard des institutions de l’UE, donc il n’y aura pas d’espoir qu’elle puisse un jour revenir dans l’euro.
Il n’y a aucun mécanisme pour expulser un pays de l’Union européenne. Dans l’éventualité d’un Grexit, la Grèce resterait membre de l’Union européenne et continuerait à partager les bénéfices du marché commun européen.
La Grèce serait libre, cependant, de conclure à sa guise n’importe quel accord avec Gazprom, peu importe que l’UE dise que c’est légal ou non. La Commission européenne pourrait intenter une action en justice contre la Grèce, mais en l’absence de financement central de l’UE, il est difficile de savoir quelle conséquence pratique cela aurait.
La Grèce serait également libre de mettre son veto aux sanctions contre la Russie si elle les désapprouve, sans crainte de représailles.
Je ne dis pas que c’est ce qu’il va se passer s’il y a un Grexit. Finalement, cela dépendra de l’évolution de la situation politique en Grèce en réponse à un Grexit. Mais la possibilité d’agir de manière indépendante serait enfin là. Savoir si les Grecs en feront usage une fois qu’ils l’auront est une autre affaire.
Alexandre Mercouris
Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone.