Par Stratediplo – Le 19 juin 2018 – Source stratediplo
Avertissement, les considérations qui suivent n’émanant ni d’un banquier ni d’un télématicien, elles peuvent être incomplètes sur le plan technique. La déconnexion de l’Europe du système Visa le 1er juin 2018 appelle cependant quelques réflexions stratégiques.
Tout d’abord, il convient de noter que, là encore, la déconnexion a été géographique, pas organique. Ce ne sont pas les banques européennes qui ont été interdites de transaction Visa mais les banques situées en Europe, fussent-elles simples filiales locales de banques non européennes, étasuniennes ou brésiliennes par exemple, tandis que les filiales hors d’Europe de banques européennes n’ont pas été affectées. Il ne s’agit cependant pas d’une simple avarie de télécommunications, puisque aucune autre interruption de communication filaire ou satellitaire (téléphonie, internet…) n’a été rapportée.
D’ailleurs même les transactions opérées à travers le réseau Mastercard n’ont pas été affectées, seulement celles du réseau Visa l’ont été. À ce sujet il peut être utile de rappeler que, pour la quasi-totalité des pays hormis une poignée (France, Japon, Chine, Russie et Inde sauf oubli), toutes les transactions effectuées avec une carte Visa sont traitées, en temps réel, aux États-Unis d’Amérique, et il en est de même pour les cartes Mastercard. Cela signifie que lorsqu’un porteur d’une carte Visa émise par une banque italienne introduit sa carte dans le lecteur d’un commerçant italien, mis à sa disposition par sa banque italienne, la transaction entre la banque italienne émettrice de la carte du client et la banque italienne propriétaire du lecteur du commerçant est traitée aux États-Unis, par l’entreprise Visa. S’il n’y a pas de télécommunications entre l’Italie et les États-Unis ce jour-là (ou si les lignes sont occupées à l’instant requis) le client italien porteur d’une carte émise par sa banque italienne ne peut pas payer le commerçant italien par le terminal mis à la disposition de ce commerçant par sa banque italienne.
La première exception historique est la France, car le réseau interbancaire Carte Bleue a été développé et mis en service (en 1967) plusieurs années avant que le développement international du réseau étasunien homologue Americard (Visa) amène le groupement bancaire français à négocier un accord pour que les porteurs de cartes émises par les banques françaises puissent effectuer des paiements à l’étranger coordonnés par Visa. Mais les transactions entre banques françaises restent traitées en France, par le groupement Carte Bleue, ce qui explique que les Français n’ont pas noté d’interruption de service ce 1er juin, sauf pour leurs paiements à l’étranger voire peut-être pour certains paiements en France envers des commerçants français titulaires d’un compte bancaire à l’étranger (zone euro ou SEPA objet de moult publicité), bel exemple d’ailleurs d’une « ouverture » européenne qui introduit une dépendance envers les États-Unis pour des transactions effectuées en France entre client et fournisseur français.
Sauf erreur, la deuxième exception à cette dépendance fut le Japon, pour des raisons historiques similaires, et la troisième fut la Chine, évidemment en retard (désormais rattrapé) sur le monde capitaliste en matière de diffusion des comptes bancaires individuels, de la compensation interbancaire et de la technologie de la carte.
Le 1er janvier 2013 sont entrées en application les mesures coercitives envers le Vatican, pour des raisons secrètes (peut-être le rapprochement tectonique envisagé entre les Églises romaine et russe) évidemment sans rapport avec le prétexte invoqué, et dont les prochaines étapes seraient certainement allées bien au-delà du niveau bancaire puisque guère plus de quarante jours de traversée imposée du désert ont suffi pour obtenir la démission du pape Benoît. Dans la mesure où, dans ce micro-État, tous les terminaux de paiement et tous les distributeurs de billets appartiennent à une seule banque (la Deutsche Bank), laquelle envoie les demandes de transaction tant envers le groupement Visa que le groupement Mastercard, tous deux étasuniens, il a suffi d’une seule décision pour interdire toutes les transactions par carte dans le pays. Pour plus d’efficacité politique cependant, et compte tenu du peu d’impact économique de l’interdiction des cartes bancaires dans un micro-État sans grandes entreprises ni grosses transactions commerciales ou salariales (juste quelques touristes dans les magasins de souvenirs bénitiers), la mesure fut doublée d’une interruption des virements interbancaires vers ou de l’étranger, l’entreprise belge Swift ayant accepté, sous des menaces là encore inconnues, d’interrompre ses services de messagerie interbancaire sécurisée comme cela avait été fait quelques années plus tôt pour l’Iran dans le cadre de sanctions, internationalement licites celles-là, décrétées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Pour mémoire, Swift fut encore sollicitée de manière illicite en 2014 contre la Russie et refusa d’obtempérer, ce pays étant un peu plus important que le Vatican. Sous ces pressions visibles, et certainement d’autres invisibles, le chef d’État du Vatican Joseph Ratzinger annonça le 11 février 2013 sa démission, certes canoniquement invalide comme pape puisque le canon 332 (deuxième alinéa) invalide toute démission sous la contrainte, et l’élection prochaine d’un nouveau chef d’État, certes canoniquement un antipape en la présence d’un pape élu (Benoît) dont la prétendue démission est canoniquement invalide. L’annonce publique de la démission du chef d’État fut certainement accompagnée d’une capitulation discrète mais inconditionnelle sur le litige véritable, puisque le Vatican fut reconnecté aux circuits financiers internationaux dès le lendemain même 12 février, d’une part par Swift pour les virements et d’autre part par un groupement bancaire suisse pour les paiements par carte.
Tous les gouvernements de pays souverains auraient dû tirer les conclusions de la prise de contrôle du Vatican et du Saint-Siège au moyen des outils de transactions financières internationales.
L’Inde a alors développé son propre système national afin que les transactions internes ne soient plus traitées à l’étranger.
À son tour la Russie a subi une attaque majeure en mars 2014, suite à son acceptation de la réunification après le referendum d’autodétermination de la Crimée. Sur injonction de leur gouvernement en application de ses mesures de coercition internationalement illicites, les entreprises étasuniennes Visa et Mastercard ont cessé de traiter toutes les transactions effectuées en Crimée, même par exemple entre un touriste français porteur d’une carte bancaire française et un commerçant criméen détenteur d’un lecteur de carte délivré par une banque ukrainienne ou russe (il y en avait plusieurs). Simultanément cinq banques russes se sont vu également refuser toutes transactions par les entreprises Visa et Mastercard. Du jour au lendemain, un client russe porteur d’une carte Visa délivrée par sa banque russe ne pouvait effectuer de paiement dans un commerce russe équipé d’un lecteur Visa par une banque russe… y compris d’ailleurs si les comptes bancaires du client et du commerçant relevaient d’une même et unique banque russe. Cette situation est à méditer puisque ce 1er juin 2018 il en fut de même non seulement pour les paiements entre la carte Visa d’un client italien et le terminal Visa d’un commerce allemand (y compris sur internet), mais également entre clients et fournisseurs italiens, entre clients et fournisseurs allemands etc. dans toute l’Europe télématiquement dépendante de cette entreprise de compensation étasunienne.
Le secteur bancaire russe, soutenu par son gouvernement, s’est mis au travail pour construire un système de compensation interbancaire national (comme celui du groupement Carte Bleue français) avant que les gens perdent l’habitude d’utiliser les cartes. Un an après le déni illicite de service (d’ailleurs jamais indemnisé aux banques russes adhérentes aux réseaux Visa et Mastercard), ce système de compensation nationale NSPK entrait en service et les titulaires de cartes Visa émises par des banques russes pouvaient de nouveau les utiliser en Russie (entre client et fournisseur disposant de comptes bancaires russes) puisque les transactions nationales n’étaient plus traitées dans un lointain pays ennemi mais au niveau national, même si ces cartes restaient inutiles pour les transactions internationales. Dès la fin 2015 les banques russes ont émis une carte nationale Mir… et depuis lors les réseaux internationaux ont proposé au groupement interbancaire russe de donner à cette carte un accès aux réseaux internationaux, comme à la Carte Bleue ou maintenant à la Union Pay chinoise, d’abord bien sûr pour les porteurs de cartes russes en déplacement à l’étranger, puis à terme pour les clients des filiales étrangères que les banques russes ouvriront petit à petit.
En ce qui concerne l’inaccessibilité du réseau Visa, seulement à partir ou en direction de l’Europe, ce 1er juin, les communiqués de l’entreprise étasunienne Visa assurent qu’il s’agissait d’une panne technique (sans autre précision), réparée le lendemain. Qu’il s’agît en réalité d’un litige sur les commissions dites d’interchange récemment réduites par la Commission européenne, d’une attaque étrangère bancaire, étatique ou délinquante, ou d’une toute autre affaire, les dirigeants bancaires et politiques qui ont apparemment capitulé en vingt-quatre heures ne diront rien.
Mais, dans un contexte où de plus en plus de structures mondialisatrices mises en place au nom de l’ouverture et de la liberté sont désormais détournées pour servir des conflits d’intérêts spécifiques, tous les pays économiquement souverains devraient mettre en place des systèmes nationaux de compensation interbancaire des transactions par carte. Et en ce qui concerne les pays européens, leurs banques devraient particulièrement s’en préoccuper avant de se voir imposer un système uniopéen qui donnerait à la technocratie bruxelloise les moyens de mettre un jour en place des mesures de coercition contre les banques ou les citoyens de tel ou tel pays membre rétif aux directives de la Commission ou de la BCE.
La préservation des capacités de transactions économiques intérieures revêt, dans un contexte de disparition progressive des espèces, un intérêt de souveraineté nationale.
Stratediplo
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