«Vous ne pouvez pas préparer simultanément la paix et la guerre.» Albert Einstein 1
Par Kim Petersen et B. J. Sabri – Le 17 janvier 2016 – Source ICH
Quand nous discutons de la violence dans le contexte d’une lutte mortelle entre ou au sein des États-nations, nous devons prendre en compte deux facteurs qui la provoquent. On suppose que toute personne décente doit rejeter l’assassinat des enfants, des femmes, des vieux et des civils de tous âges, n’importe où. Pourtant, nos ressentiments, nos analyses, nos critiques devraient être directement dirigés, en premier lieu, vers tous les gouvernements dont l’engagement dans l’impérialisme, la guerre et le meurtre créent des tragédies et les alimentent. Pouvons-nous tous agir pour arrêter le bain de sang en Syrie et ailleurs ? L’humanité a-t-elle une chance de stopper ce que nos gouvernements sont en train de faire, en notre nom ?
Finalement, plutôt que d’évoquer inutilement la rhétorique gauchiste, quelle que soit la manière de s’accorder sur la signification des mots, des actions audacieuses sont nécessaires pour arrêter l’assaut meurtrier de l’hyper-empire américain, et la Russie doit être saluée pour avoir le courage de se dresser face à cet empire.
Premièrement, en décrivant la situation syrienne, nous pensons qu’il n’est pas possible de l’extraire de la situation géopolitique en Syrie – et dans la région – même si nous le voulons. Pour le dire simplement, la situation complexe des pays arabes entre eux ne peut nous permettre d’ignorer d’autres réalités en rapport : Israël et ses machinations dans le monde arabe, par exemple. Deuxièmement, en théorie, un État est censé réaliser ce qui est le meilleur pour lui et son peuple ; c’est-à-dire maintenir des relations économiques au bénéfice de cet État et de ce peuple, offrir du travail et une bonne qualité de vie, réaliser des alliances qui assurent la sécurité, etc. L’État ne devrait-il pas poursuivre ces objectifs au bénéfice de son peuple et de sa sécurité ? Ou bien, à contrario, le prétendu intérêt national devrait-il bénéficier uniquement à l’impérialisme, au colonialisme, au grand capital et aux élites ?
Pour en rajouter sur la question de la violence, nous proposons une nouvelle argumentation. Même si la violence entre quelques pays pouvait être contenue par la diplomatie et le dialogue, et même si la violence en Syrie et contre la Syrie se terminait d’une manière ou d’une autre, il resterait, dans le processus, le tsunami de violence que l’impérialisme US, Israël, et leurs laquais ont planifié de lâcher sur un monde qui refuse d’être asservi. 2
La solidarité de la gauche contre la guerre
Le progressisme prend racine dans des principes. Cependant, résumer une situation géopolitique aussi complexe en blanc et noir et la présenter ainsi à la gauche – un ensemble complexe elle aussi – est une analyse superficielle.
Pour les progressistes, il est clair que la guerre est un anathème, et cela les amène à s’agiter sans fin pour l’éviter. Dans le cas de la Syrie, la guerre était déjà là avant même que le gouvernement syrien ne demande l’assistance de la Russie pour détruire les mercenaires et les terroristes qui semaient la dévastation dans le pays – et à côté, en Irak. La Russie n’est pas à l’origine de la guerre et de la violence en Syrie. La Russie est là pour mettre fin à la violence et à l’état de guerre. La Russie utilise la violence comme moyen pour mettre fin à celle-ci. En procédant ainsi, et si cela réussit, la Russie aura finalement sauvé de nombreuses vies, beaucoup plus que celles qui, malheureusement, sont perdues pour avoir été au mauvais moment au mauvais endroit. C’est l’essence même de la guerre, la violence finit par frapper tout le monde, les combattants et les non-combattants. C’est triste à dire, mais le mieux que l’on puisse espérer est de minimiser le nombre de victimes civiles.
Le principe de base des progressistes affirme que durant les période de paix relative – quand il n’y pas de violence entre États – il faut s’opposer par tous les moyens au déclenchement de la violence, qu’elle soit militaire ou répressive.
Cependant, lorsqu’une violence a été commise par un État – de jure ou de facto – contre un autre État, l’État agressé possède le droit légitime de se défendre ; c’est un droit ancré dans la loi internationale par la Charte des Nations Unies, article 51.
Incontestablement, la Syrie est un pays attaqué par des mercenaires soutenus par des pays étrangers. En fait cela ne constitue pas une agression si furtive que ça. En conséquence la Syrie a le droit de se défendre. Depuis qu’elle est attaquée par une multitude d’acteurs hostiles soutenus par des États étrangers, il est compréhensible et justifié que le gouvernement syrien demande assistance à un allié comme la Russie. Cette dernière est à l’abri des reproches de la part des progressistes et d’autres critiques car elle s’est engagée dans la défense d’une nation alliée. La Russie n’est pas à l’origine de la violence : celle-ci est la conséquence de la demande d’assistance d’un état souverain, faisant partie des Nations Unies, engagé dans sa propre défense.
Il est compréhensible que ces progressistes appellent à une cessation immédiate de la violence, cependant un tel appel ne doit pas être lancé en l’air. La fin de la violence ne signifie pas une fin pour la morale de gauche. Les progressistes ne doivent pas lancer aux États des appels basés sur une méconnaissance de la situation. Dans le cas présent de la Syrie, tous les appels doivent être adressés aux États belligérants et à leurs mercenaires, qui ont lésé un autre pays en y apportant la violence, afin qu’ils cessent, en commençant par la restitution des territoires occupés, et en payant des réparations pour les crimes de guerre. En sus, l’Arabie saoudite, la Turquie, les USA, et les autres États occidentaux impliqués aux côtés d’Israël doivent être traduits devant un tribunal moderne similaire à celui de Nuremberg et poursuivis selon les lois de Nuremberg.
L’agression constituant le corps même du crime, il ne doit pas être permis qu’elle disparaisse tranquillement des mémoires, non jugée et impunie. Ce serait un horrible précédent, et en réalité bien trop de ces précédents existent. La loi doit être respectée si l’on veut prévenir les guerres. Sinon tous les effets dissuasifs face à d’autres guerres seront inutiles. Les conséquences d’un non-jugement sont faciles à comprendre et à discerner : violation croissante de la loi, persistance de la guerre et de la violence afin d’imposer un pouvoir hégémonique aux petits pays, et assassinats de masse continuels contre les civils
Donc il est essentiel que les gauchistes ne fassent pas de déclarations pleines de bonnes intentions désinvoltes en dépeignant les acteurs engagés dans un violent conflit avec le même pinceau. Il est aussi important de faire la part de la désinformation et de la propagande dans les médias et les déclarations des États. En général, dans un conflit violent il y a toujours un acteur qui a commencé les hostilités. Quelques gens de gauche accusent Bachar el-Assad et sa réponse prétendument disproportionnée contre les protestataires – les récits des médias officiels occidentaux nous remettent en mémoire la façon dont ils ont procédé lors du coup d’État raté orchestré par les USA et la droite au Venezuela en 2002. Mais ainsi qu’Eva Bartlett l’a pointé dans un brillant article, c’est de la désinformation et Assad est soutenu par les masses populaires syriennes 3
Après tout, même si Assad était responsable des fusillades de protestataires, cela ne donnerait pas une légitimité plus grande pour envoyer des mercenaires et des terroristes faire le coup de feu en Syrie et pousser au changement de régime que cela en aurait conféré au fait d’envoyer des terroristes et des mercenaires aux USA pour pousser à un changement du régime qui tirait sur les étudiants de l’Université d’État du Kent protestant contre la guerre du Vietnam, ou qui tirait sur les gens qui manifestaient contre la ségrégation raciale à l’Université de Caroline du Sud.
Pouvons-nous, nous le peuple, arrêter la violence en Syrie et donner de l’espoir à ces gens ? Cela dépend des développements futurs. La Conférence de Vienne sur la Syrie en octobre 2015 et sa suite en novembre ne signifient pas grand chose. Il est absurde que les USA et l’Arabie saoudite définissent qui est un rebelle modéré et qui ne l’est pas. Il est ridicule que l’Arabie saoudite abrite une conférence pour décider qui représente l’opposition syrienne. Et il est également absurde que quelques voix demandent aux ultra-terroristes wahhabites du Front al-Nusra d’abandonner leurs relations avec al-Qaida pour pouvoir participer aux pourparlers de paix. La destruction par les Turcs d’un avion de combat russe dans l’espace syrien – qui a peut-être pénétré quelques secondes l’espace aérien turc – est sur le point de provoquer une conflagration majeure. Quelques-uns parlent de Troisième Guerre mondiale. C’est possible.
L’histoire est remplie d’exemples ou le pouvoir réside dans les masses. Malgré toute les différences et la diversité entre les peuples, il existe une réalité unificatrice indéniable à la base de tout, nous représentons tous une seule humanité. Dans la mesure ou diviser et conquérir ne sert plus les intérêts des masses mais sert à enrichir les capitalistes, les impérialistes et les élites à travers la paupérisation des peuples, la seule option morale et logique est, pour ces mêmes masses, de se solidariser et de résister. Pour résister concrètement, il est essentiel pour le peuple de faire un effort afin de savoir et comprendre ce qui arrive et pourquoi. Dotée d’une capacité d’analyse, l’humanité pourra reconnaître et rejeter la propagande et la désinformation. Pour la réalisation effective de la résistance contre les fauteurs de guerre, la gauche porte l’énorme responsabilité de rester informée, prudente et réfléchie dans ses déclarations, basées sur, et éclairées par, une morale qui serve à l’ensemble des humains. Alors, et c’est peut-être le plus important, les masses conscientes pourront faire face ensemble, afin de rejeter l’ignorance qui a trop longtemps empesté l’humanité, l’ignorance à l’origine de la violence et de la guerre.
En d’autre termes, il faut une révolution. Une révolution afin de démanteler le complexe militaro-industriel, désarmer toutes les nations, et débarrasser le monde des profiteurs par la destruction de la guerre.
Idéaliste ? Peut-être bien, mais quelques idéaux et principes méritent que l’on s’acharne à combattre pour eux.
Kim Petersen est un ancien éditorialiste de la newsletter de Dissident Voice. On peut le joindre à kimohp@inbox.com
J. Sabri est un observateur des politiques du colonialisme, capitalisme impérialisme et sionisme modernes et de leurs conséquences sur les sociétés arabes contemporaines. Il peut être joint à b.j.sabri@aol.com
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Traduit par Gabriel, édité par jj, relu par Diane pour le Saker francophone
NOTES
- In Einstein: A Portrait (Corte Madera, CA : Pomegranate Artbooks, 1984). ↩
- La liste suivante recense quelques exemples de ce qui se trame dans les têtes criminelles des impérialistes et des sionistes
The Pentagon Is Preparing New War Plans for a Baltic Battle Against Russia
Preparing for the next war, and always spending that extra billion to do so
The Thucydides Trap: Are the U.S. and China Headed for War?
Gaspar Weinberger, The Next War, Regnery Publishing, D.C., 1996
George Friedman and Meredith Lebard, The Coming War With Japan, St. Martin’s Press, 1991
Ted Galen Carpenter, America’s Coming War With China, St. Martin’s Press, 2006
Leon Panetta, Worthy Fights, Penguin Press, New York, 2014
Matthew Kroening, A Time to Attack: The Looming Iranian Nuclear Threat, Palgrave Macmillan, 2014 ↩ - Lire Eva Bartlett, Deconstructing the NATO Narrative on Syria, Dissident Voice, 10 October 2015. ↩
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