La violence impérialiste en Syrie partie [6/7]

Les Russes : Chevalier Blanc ou Puissance interventionniste ?


Par Kim Petersen et B. J. Sabri – Le 16 janvier 2016 – Source ICH

«Il est remarquable que le seul gouvernement à objecter sur le fond de nos initiatives soit celui des États-Unis d’Amérique qui, depuis de nombreuses années, glacé dans un isolationnisme complet, tente de stopper les efforts successifs de la Communauté internationale pour prévenir une course à l’armement dans l’espace1 – Déclaration du Ministre des Affaires étrangères russe sur la résolution figeant le premier déploiement d’armes dans l’espace, approuvée par l’Assemblée générale de l’ONU le 8 décembre 2015.

En dépit des quatre années d’engagement actif des USA dans tous les aspects du conflit syrien, l’intervention directe de la Russie en Syrie vient tout juste de commencer (le 30 septembre 2015). Il est essentiel de distinguer que cette intervention se situe pleinement dans le cadre de la législation internationale : contrairement aux bombardements illégaux des USA en Syrie, contrairement aux manigances d’États tels que la Turquie, l’Arabie saoudite ou le Qatar, qui y opèrent en contravention avec les accords internationaux entre États souverains, la Russie a été invitée par le gouvernement légitime de Syrie à la soutenir dans son combat contre les mercenaires.

Même si nous désirions débattre du fait que les USA, Israël et l’Arabie Saoudite n’ont pas été invités à venir aider, ce serait le comble du ridicule : un régime demandant aux États qui tentent de le renverser de l’aider ? La dernière nouvelle est qu’Obama enverrait des militaires US sur le sol syrien contre le désir de cette nation souveraine. Imaginez la réponse qui serait celle du régime US si, par exemple, en solidarité avec le mouvement Black Live Matter, l’Afrique envoyait unilatéralement des troupes sur le sol des USA afin de protéger la vie des Afro-américains.

Il est également important de noter que si le régime US et ses outils anti-Assad n’avaient pas participé directement à l’agression contre la Syrie, il n’y aurait probablement pas eu d’implication de la Russie ; les Russes auraient préféré que les Syriens parviennent à régler le problème par eux-mêmes. Logiquement, quels que soient les reproches concernant les dégâts résultant de l’implication des Russes, cela doit être automatiquement attribué à la coalition anti-régime syrien : c’est la loi de l’action/réaction. Finalement, nous pouvons constater que la responsabilité ultime de la mort de ceux qui tombent en Syrie revient exclusivement à ceux qui ont instauré la violence en premier lieu.

Au sujet de la Russie, on pourrait argumenter que depuis l’époque de Gorbatchev jusqu’au renversement du gouvernement légitime ukrainien par la CIA et ses opérateurs ukrainiens, la Russie a laissé le monde subir des dommages en raison de sa passivité à l’égard de l’expansion impérialiste américaine. L’auteur comprend ce qui s’est passé et réalise les contraintes posées à la Russie lors des années Eltsine. Mais lorsque le danger impérialiste a côtoyé ses frontières, la Russie a réagi. Pour rester honnête, nous ne pouvons pas en demander trop à la Russie – tous les pays qui sont menacés par l’évolution des USA vers un Empire totalitaire doivent aussi prendre leurs responsabilités – et nous ne pouvons pas blâmer la Russie pour les trahisons de Gorbatchev et de Eltsine. Mais nous pouvons la blâmer d’avoir consenti, au cours du premier mandat de Poutine, à l’occupation conjointe de l’Irak par les USA et la Grande-Bretagne, après s’être faiblement opposée à l’invasion planifiée de 2003. Nous sommes de même extrêmement critiques à l’égard du consentement russe – sous le deuxième mandat de Poutine – à la résolution N° 2216 de l’ONU, qui a avalisé l’agression américano-saoudienne contre le Yémen. Une agression qui a tué plusieurs milliers de Yéménites et détruit la majorité du pays. Nous avons d’autre problèmes avec la politique russe, mais cela ne fait pas partie du sujet.

Donc, de notre point de vue, en tant qu’opposants inflexibles à l’impérialisme américain, nous sommes convaincus que l’intervention de la Russie aux côtés du gouvernement syrien offre une grande chance de stopper finalement les USA dans leur menace globale, en faisant obstacle à leur volonté d’hégémonie mondiale. Qu’est-ce que la Russie était donc supposée faire ? Attendre que les USA et leurs alliés anti-Assad, finissent de renverser le gouvernement à Damas et fassent mouvement vers ses frontières ? Après tout, qu’est-ce qui peut être plus dictatorial que des étrangers décidant, par des moyens militaires, qui doit gouverner une nation souveraine ?

L’intervention de la Russie peut aussi être vue sous un autre angle. Elle met en évidence le jeu géopolitique cruel que les États-Unis ont joué en Irak et en Syrie auprès de ceux qui comprennent qu’ils n’ont jamais bombardé des pays pour en chasser de soi-disant terroristes islamistes. Des évidences énormes prouvent le contraire. Il ne pouvait en être autrement : les USA ont fondé, armé et entraîné ces pseudoÉtats, et ils veulent par tous les moyens déstabiliser et briser tous les États arabes.

De lourds soupçons planent sur la conduite des USA par rapport à État islamique (EI) conduisant à une conclusion inavouable : EI est une entreprise multinationale que les USA, l’Occident, l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar ont créée, financée et armée afin de combattre les gouvernements d’Irak et de Syrie pour atteindre des objectifs prédéfinis. Par exemple, quand EI a émergé en tant que puissance militaire et a fait mouvement de l’Irak vers la Syrie, les USA n’ont rien fait pour l’en empêcher. Et quand il a déplacé ses convois pour occuper la ville de Mossoul, puis est descendu dans le sud pour occuper la ville de Baiji, qui héberge les plus grandes raffineries irakiennes de pétrole, les USA et leurs vassaux se sont contentés de diffuser l’information. Et lorsque EI a occupé Ramadi, la seule réaction venue des USA et de leurs soutiens régionaux a été d’accuser l’armée irakienne, entraînée par les Américains eux-mêmes, d’incompétence. Et quand EI est arrivé  aux portes de Bagdad, les USA & Co ne parlaient que de sa chute imminente.

Quelque chose a mis un coup de frein brutal à cette suite d’événements. En Irak, EI a détruit les zones yézidis et déplacé ses convois de Toyota vers Erbil – que les Kurdes considèrent comme leur cité historique – et ont confisqué la cité pétrolière multiethnique de Kirkouk – que les Kurdes voient comme leur future capitale. En Syrie, EI est entré dans Ain-al-Arab, (Kobane), en coupant la continuité territoriale entre les Kurdes syriens et les Kurdes irakiens. À ce moment-là, les USA, l’Occident, les volontaires européens et les Kurdes ont coordonné leurs moyens afin de repousser EI hors de Kirkouk, Erbil et Kobane. Malgré tout, aucune action n’a été décidée pour le repousser des territoires et des villes occupées en Irak et en Syrie.

Cela n’a pu se faire que volontairement. En fait, depuis que les USA ont commencé les bombardements sur EI retranché près de Kirkouk et Erbil, les Kurdes, qui revendiquent Kirkouk depuis l’invasion US de l’Irak en 2003, ont déplacé leurs forces peshmergas afin d’occuper immédiatement la cité. À ce moment-là, le gouvernement de Bagdad, lui-même un valet de Washington, a déclarée illégale l’occupation de Kirkouk et a promis de la reprendre après en avoir terminé avec EI.

Ce qu’on peut conclure de tout ceci est fort simple : EI en s’emparant de territoires en Turquie et en Syrie a entravé le plan US de création d’un état kurde s’étendant de l’Irak à la Méditerranée, passant ainsi une ligne rouge. Ceci explique le soutien turc à EI contre les séparatistes kurdes, appuyé par le soutien saoudien à EI sous prétexte de combattre l’Iran en Irak et en Syrie. Et quand les Kurdes ont déclaré que tous les territoires qu’ils ont libérés de l’emprise d’EI deviendront des territoires kurdes – comme lorsqu’ils ont pris les villes multiethniques de Duhok et Sinjar avec le soutien aérien des USA –, on ne peut que conclure qu’EI est un artefact créé par l’Occident et les puissances régionales afin de faciliter la partition des États arabes en Asie de l’Ouest. Les Kurdes ne devraient pas s’en réjouir. L’histoire de l’impérialisme et du colonialisme montre que l’Occident ne se soucie pas des aspirations nationales des Kurdes. Le but est de créer un État kurde inféodé aux objectifs des Américains et des Israéliens. Et les Kurdes sont tombés dans le piège. (Parler de l’avenir des Kurdes va au delà de cette analyse.)

Récapitulons la stratégie d’EI contre les zones arabes, kurdes, assyriennes et yézidis en Irak et en Syrie : bien qu’État islamique soit une création américaine (et saoudienne), il a fourni aux USA des motifs rationnels pour intervenir massivement en Irak et en Syrie. Les mouvements et les agressions d’EI suggèrent une chose ou deux : ou bien il a développé un programme séparé, ou bien il suit les ordres des Américains dans le but de maîtriser l’avancée des Kurdes. Finalement, les raisons des USA pour laisser EI survivre et s’étendre malgré les bombardements surfaits et les mascarades publiques, sont tout aussi évidentes : les États-Unis et Israël désirent créer un État kurde installé sur les territoires de l’Irak, de la Turquie et de l’Iran 2 ; et EI est un des moyens pour y parvenir.

Les Kurdes et EI sont-ils ennemis ? Beaucoup de preuves attestent que ce n’était pas le cas lorsque EI occupait uniquement Mossoul. En fait, dés que Mossoul est tombée devant EI et que la faiblesse du gouvernement central de Bagdad est devenue visible, cela a donné l’occasion aux Kurdes d’occuper immédiatement Kirkouk – avec sa population arabe, kurde, turkmène, assyrienne et arménienne – que les Kurdes avaient revendiquée comme leur possession depuis l’invasion américaine de l’Irak. Ceci est conforté par le fait que lorsque EI a attaqué Ain Al-Arab, une ville syrienne peuplée d’une majorité de Kurdes, les Kurdes irakiens ont pénétré en Syrie pour les combattre. 3 On peut supposer que les USA ont effectivement coordonné EI afin d’exécuter la tâche stratégique de créer de facto un État kurde expansionniste.

Par dessus tout, la stratégie étasunienne se dévoile ainsi :

1. Maintenir un État islamique viable en Irak afin de harasser le gouvernement irakien – lui-même sous contrôle US – par des intimidations pour qu’il accède aux demandes kurdes de scission pour former un État indépendant.

2. Maintenir un EI fort en Syrie pour aider à renverser le gouvernement Assad.

3. Maintenir la propagande au sujet de l’existence d’un État islamique réel et installé durablement afin de justifier l’intervention militaire prolongée des Occidentaux.

4. Poursuivre la stratégie actuelle pour maintenir la région (à l’exception d’Israël) sous pression et en instabilité permanente.

Réfléchissons : comment pourrait-on comprendre le fait qu’EI semble plus soucieux de combattre les musulmans arabes que de combattre les juifs sionistes américains ou les intérêts américains ? Qu’est-ce qui motive cette rage de ré-islamisation des Arabes, alors qu’ils sont musulmans depuis environ 1 500 ans, sinon que cette ligne a été imaginée par Washington et Tel Aviv pour discréditer les musulmans et préparer la place pour la conquête finale ? Que doit-on faire d’une organisation qui n’a aucun programme sur rien, excepté celui d’obliger les peuples à vénérer un mode de vie wahhabite répressif et régressif ? Cela ressemble à un plan prémédité de destruction de la civilisation arabe musulmane.

En gardant les arguments qui précèdent en tête et en les liant à l’intervention russe en Syrie, nous voyons celle-ci sous un angle positif. À la différence de tous les autres interlopes non-invités, la Russie est intervenue au bénéfice de la Syrie et de son gouvernement légitime. Cependant c’est la guerre, et la guerre cause des pertes, y compris chez les civils. Pourtant, depuis qu’il est devenu clair que l’intervention de la Russie pour éradiquer la violence contrôlée par l’Occident était déterminée, de fausses sources sont apparues pour jeter le doute sur le rôle russe, y compris l’accuser de provoquer plus de morts civiles que celles causées par les USA et leurs alliés terroristes. Parce que nous soutenons l’intervention de la Russie pour mettre fin à la violence en Syrie, ainsi que nous le faisons aujourd’hui, quelque-uns pourraient penser que nous désirons défendre la Russie. Ce n’est pas le cas. Une enquête équilibrée suppose que lorsque la propagande et la désinformation contredisent les faits, nous devons le révéler.

Une de ces sources douteuses est airwars.org. Ce site fait état de «104 incidents concernant la Syrie dans lesquels les avions russes seraient supposés avoir tué entre 528 et 730 non-combattants.»  4 La crédibilité de ce qu’on rapporte ne s’améliore pas : «Le nombre de bombardements aériens russes occasionnant la mort de non-combattants a tendance a être exagéré». Ceci étant contredit un peu plus loin : «Même ainsi, les déclarations crédibles sur le chiffre des décès de civils infligés par les Forces aériennes russes sont douloureusement élevées.»

Un certain nombre de questions surgissent à propos de ces sources. Pour commencer, que signifie, par exemple, «reporté de façon crédible», et qui juge de sa signification ? Quelle est la différence entre une allégation crédible et un fait ? Ensuite, pourquoi il y a t-il autant de phrases imprécises telles que «aux environs», «un peu plus de» ? Qui détermine la valeur de ces «environs» et de ce «un peu plus de» ? Enfin, qui est donc Airwars.org ?

De la source même du site : «Airwars.org est un projet transparent coopératif, non lucratif, destiné à la fois à suivre et à archiver la guerre internationale contre État islamique, à la fois en Irak et en Syrie. Avec une douzaine de pays qui bombardent (en parallèle avec les force aériennes de Syrie, d’Irak et d’Iran), il y a un intérêt public pressant qui demande un suivi indépendant et digne de foi.» Les rapports de airwars.org «sont largement repris de sources militaires américaines et alliées. En plus de suivre les bombardements, nous devons aussi diffuser – et si possible vérifier – les allégations crédibles de pertes civiles».

Crédibles ? Quelle peut bien être la crédibilité de l’information distribuée par les USA et leurs alliés ?

Et malgré tout, même si celui qui écrit ici pouvait accepter de bon gré ce qui est rapporté par les propagandistes US, cela ne change pas le fond de nos arguments : malheureusement, en temps de guerre, il y a des pertes civiles. Et les pertes survenues après l’entrée en scène de la Russie contre la violence en Syrie doivent être pesées par rapport aux 250 000 victimes assassinées avant que la Russie n’entre en scène. Toutes les morts attribuées à la guerre aérienne russe contre les groupes armés violents doivent être comparées à celles qui ont été évitées par l’entrée en jeu de la Russie. Oui, le matériel de guerre russe cause des pertes civiles, mais comment peut-on calculer le nombre de civils qui ont échappé à la mort des mains des mercenaires et autres assassins ?

Bien plus, nous disons que toutes les morts depuis l’intervention russe sont à porter au compte des USA, des États du Golfe, de la Turquie et des autres mercenaires et terroristes soutenus par l’Occident. Si ces forces n’avaient pas envahi l’Irak et la Syrie et n’avaient pas trouvé protection en Turquie et en Jordanie, les bombardiers russes ne seraient pas là aujourd’hui.

Pour conclure notre analyse sur la Russie, celle-ci, bien qu’elle soit entrée en guerre aux côtés du gouvernement légitime, n’a jamais annoncé aucune stratégie ou objectif à long terme en Syrie, sinon d’appuyer un membre légitime de l’ONU afin qu’il ne soit pas renversé par des mercenaires soutenus par les Saoudiens et les Américains. En conséquence les impérialistes occidentaux et leurs médias aux ordres n’ont aucun motif moral ou légal de critiquer la Russie.

Kim Petersen est un ancien éditorialiste de la newsletter de Dissident Voice. On peut le joindre à kimohp@inbox.com

J. Sabri est un observateur des politiques du colonialisme, capitalisme impérialisme et sionisme modernes et de leurs conséquences sur les sociétés arabes contemporaines. Il peut être joint à b.j.sabri@aol.com

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Traduit par Gabriel, édité par jj, relu par Diane pour le Saker francophone

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