La Turquie part en guerre contre les pires ennemis de État islamique, les Kurdes


Moon of Alabama

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Le 25 juillet 2015 – Source moonofalabama

Depuis 2013 un cessez le feu entre l’État turc et le PKK turc était bien respecté. Le gouvernement soutenait une autonomie culturelle turque et, en échange, le parti au pouvoir récoltait les votes kurdes. Le gouvernement AKP entretenait aussi de bonnes relations avec les Kurdes irakiens en achetant du pétrole au gouvernement régional kurde d’Irak et en soutenant le clan Barzani, celui au pouvoir dans cette région autonome d’Irak.

Le PKK est l’organisation militante kurde en Turquie. Son équivalent syrien porte le nom de YPG. En Iran le même groupe est dénommé PJAK et HPG en Irak. En Turquie, le HDP est la branche politique du PKK. En Syrie, le PYD est la branche politique du YPG syrien. Tous ces groupes sont des branches de la même organisation, égalitaire, séculaire, marxiste/anarchiste, luttant pour l’indépendance ou l’autonomie kurde dans la région.

La Turquie relance maintenant sa guerre contre le PKK kurde en Turquie, en Irak et en Syrie. La police turque a appréhendé des centaines d’activistes turcs et, cette nuit [celle du 24 au 25 juillet 2015, NdT], des dizaines d’avions de chasse turcs ont pilonné les positions du PKK en Syrie et en Irak. Cette attaque risque de provoquer une escalade et d’être longue et sanglante. Elle frappera essentiellement le sol turc. Comment en est on arrivé là ?

La guerre contre la Syrie et l’aide turque aux islamistes, même les plus radicaux, combattant le gouvernement syrien a changé les relations avec les Kurdes. Il est indéniable que la Turquie soutient non seulement l’Armée syrienne libre mais aussi le Front al-Nusra, affilié à al-Qaida, ainsi que le groupe État islamique. La Turquie est une zone de passage pour les candidats aux attaques suicides rejoignant ces organisations. Armes, munitions et autres marchandises de contrebande sont transportés en Syrie avec l’aide des services secrets turcs et État islamique exporte son pétrole par la Turquie. Ce groupe recrute aussi en Turquie et l’on suppose qu’il possède de nombreux groupes en attente à travers tout le pays.

Lorsque État islamique a attaqué les positions kurdes à Kobané, ville du nord de la Syrie, les États-Unis se sont rangés du coté des Kurdes. La Turquie fut contrariée et fit tout pour gêner cette aide. Les Kurdes de Kobané sont, comme les rebelles kurdes de Turquie, organisés à travers le PKK/YPG. Ils veulent une région autonome contiguë dans le nord de la Syrie reliant entre elles toutes les enclaves kurdes bordant la frontière turco-syrienne.

Ankara craint qu’une telle région puisse être jointe aux zones kurdes du sud-ouest de la Turquie. Cela représente une menace pour l’État turc. Or celui-ci veut utiliser la guerre contre la Syrie pour étendre ses terres et non en perdre. Idlib et Alep en Syrie, Mossoul en Irak sont des régions qu’Erdogan voudrait bien annexer.

Mais alors que les Kurdes de Syrie et d’Irak connaissent quelques succès dans leurs combats contre État islamique et agrandissent leur territoire, le gouvernement turc de l’AKP voit ses plans partir en lambeaux. En plus, l’AKP a perdu du terrain lors des dernières élections alors que le parti kurde, l’HDP, est, pour la première fois de son histoire, entré au parlement turc. Mais sans une large majorité parlementaire, le rêve d’Erdogan de devenir le sultan d’une grande Turquie ottomane ne peut se réaliser.

Pour changer cette situation, Erdogan a décidé de recommencer cette guerre contre les Kurdes sous couvert de rejoindre les États-Unis dans leur guerre contre État islamique.

Le 20 juillet dernier, une bombe a explosé au cours d’une réunion des jeunes socialistes kurdes à Suruc, ville turque située à la frontière syrienne. Une trentaine de personnes ont été tuées et plus d’une centaine blessées. La Turquie a immédiatement accusé État islamique de cet attentat alors que celui-ci ne l’a jamais revendiqué. Le PKK kurde a lui, par contre, immédiatement mis la faute sur le gouvernement turc en l’accusant de collusion avec État islamique. Le lendemain, le PKK a tué deux officiers de police turcs en représailles à l’attentat.

L’année dernière, des enregistrements secrets entre le Premier ministre turc et le chef des services secrets ont fuité. Ils planifiaient une attaque sous fausse bannière contre des cibles turques comme prétexte à une invasion de la Syrie. L’affirmation du PKK comme quoi la Turquie collabore avec État islamique pour attaquer les Kurdes en Turquie est donc assez plausible. Le prétendu échec des services de renseignements qui aurait permis cet attentat semble n’être qu’un rideau de fumée. Celui-ci fournit à la Turquie un argument de communication en prétendant combattre État islamique alors qu’en réalité elle s’attaque aux Kurdes qui combattent État Islamique.

Mercredi dernier, la police turque a organisé une descente sur des centaines de maisons à travers le pays. Ces arrestations de masse ont été présentées comme une action contre les combattants d’État islamique. Mais en réalité, aux côtés de quelques combattants islamiques bien connus, des centaines d’activistes kurdes et de politiciens de gauche ont été emprisonnés. Les manifestations kurdes à Istanbul et d’autres grandes villes du pays se sont accrues. Aujourd’hui la justice turque vient d’interdire les médias et agences de presse kurdes. Les médias turcs et internet sont de nouveau soumis à une censure partielle.

Mais pourquoi Erdogan démarrerait-il maintenant une guerre contre les Kurdes? Quels sont ses objectifs? Voici ce qui vient à l’esprit :

– Empêcher l’union des cantons kurdes du nord de la Syrie perdus par État islamique après l’offensive kurde.

– Maintenir les routes d’approvisionnement pour al-Qaida, État islamique et les autres groupes anti-syriens, avec pour objectif final d’annexer le nord de la Syrie à la Turquie.

– Se rallier les nationalistes avant les prochaines élections. Bannir le HDP kurde des prochaines élections dans l’objectif de redonner une nette majorité à l’AKP.

– Obtenir le soutien de l’armée turque qui est un opposant politique d’Erdogan, mais voit un plus grand danger dans une possible autonomie kurde.

Hier, le gouvernement turc a annoncé qu’il ouvrirait la base aérienne d’Ircilin aux État-Unis pour qu’ils puissent combattre État islamique. Il a aussi proclamé que les États-Unis sont d’accord pour établir une zone d’exclusion aérienne sur la Syrie. Mais les États-Unis ont nié cet accord. Les avions militaires turcs ont lancé quelques raids contre des cibles d’État islamique dans le nord de la Syrie. Les Kurdes ont dit que les Turcs n’avaient fait que bombarder des maisons vides. Le plan annoncé officiellement semble donc différent de ce que font effectivement les turcs sur le terrain :

«La Turquie et les États-Unis se sont mis d’accord sur un plan d’action militaire avec l’objectif d’éliminer les terroristes djihadistes de la frontière turco-syrienne et de la zone que les deux pays appellent la zone contrôlée par État Islamique.

Le plan mis en place par Ankara et Washington prévoit le déploiement d’unités de l’Armée syrienne libre (ASL) dans la zone, si État islamique en est chassé, pour à la fois empêcher le parti de l’Union démocratique syrienne d’étendre son influence vers l’Ouest et créer une zone sécurisée pour accueillir les Syriens fuyant la violence et ceux voulant retourner chez eux.»

La nuit dernière, l’aviation turque a lancé une attaque de grande envergure contre les Kurdes irakiens et non pas contre les positions des combattants d’État islamique. Plusieurs dizaines d’avions de chasse turcs ont attaqué les positions du PKK dans le nord irakien. Ces avions ont violé l’espace aérien syrien. C’était une attaque contre le groupe même qui, avec l’aide de la coalition internationale, a remporté le plus de victoires contre État islamique. On peut se demander si cette partie du plan s’est faite en accord avec les États-Unis.

Est ce que les États-Unis collaborent avec Ankara dans sa guerre ouverte contre le PKK kurde? Si oui, comment peuvent-ils continuer à utiliser les Kurdes comme alliés contre État islamique?

La position américaine n’est pas claire :

«Des officiels de l’administration Obama reconnaissent que le PKK et le YPG se coordonnent dans leur combat contre État islamique mais, ajoutent-ils, les États- Unis continuent a snober officiellement le PKK tout en négociant directement avec le YPG. Les groupes n’opèrent pas sous la même structure hiérarchique et ont des objectifs différents, précisent-ils.

Il y a deux ans, le président Obama a dit à la Turquie que les États-Unis continueraient à l’aider dans sa bataille contre les terroristes du PKK. Les États- Unis continuent à partager leurs renseignements sur le PKK avec la Turquie et des militaires des deux pays collaborent au sein d’une Cellule conjointe de renseignements sise à Ankara et mise en place par l’administration de George W. Bush pour aider la Turquie à combattre le groupe.

Mais maintenant, «les États-Unis sont devenus la force aérienne du YPG et le YPG la force terrestre des États-Unis en Syrie» constate Henri Barkey, un ancien analyste du département d’État sur la Turquie, établi maintenant à l’université de Lehigh.»

J’insiste, le PKK et le YPG ne sont pas réellement des organisations distinctes. Elles sont quasiment les mêmes. Ils semble donc que les États-Unis aident maintenant le gouvernement turc, qui aide État islamique, pour cibler les positions kurdes tout en fournissant un appui aérien aux mêmes Kurdes dans leur combat contre État islamique

Qui, à Washington, en est venu à assumer une stratégie aussi contradictoire et quelle est le véritable objectif de celle-ci?

Traduit par Wayan, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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