La santé de Kim Jong-Un : analyse de la dernière conspiration en date de l’État profond


Par Andrew Korybko − Le 22 avril 2020 − Source oneworld.press

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Le relais par CNN d’une source anonyme du gouvernement étasunien, selon laquelle le dirigeant nord-coréen « est en grave danger après avoir subi une intervention chirurgicale » n’est pas très crédible, mais le simple fait que cette information soit poussée avec autant de vigueur à ce moment particulier en dit beaucoup quant aux intentions des commanditaires de la chaîne au sein de l’« État profond ».

Aux racines de la rumeur

Le jeu des hypothèses va bon train, dans le monde entier, quant à une possibilité d’un changement de régime inattendu en Corée du Nord, par suite du relais par CNN d’une seule source anonyme au sein du gouvernement étasunien, selon laquelle Kim Jong-Un « est en grand danger après avoir subi une intervention chirurgicale », certains organes de presse allant jusqu’à prédire que Kim Yo-Jong, la sœur du dirigeant, pourrait bientôt prendre sa place. La Chine ainsi que la Corée du Sud minimisent les rapports faisant état de sa supposée grave crise de santé, mais des questions restent : pourquoi le dirigeant nord-coréen ne s’est-il pas montré en public depuis plus de 10 jours, et n’est-il notablement pas apparu à une cérémonie commémorant l’anniversaire de son grand-père le 15 avril dernier? (sa dernière apparition publique remonte à plusieurs jours avant cette date). La première publication de CNN affirmait également qu’« une seconde source, proche des services de renseignements, a affirmé à CNN que les États-Unis suivent de près les rapports de suivi de la santé de Kim », bien que cela n’indique pas en soi que sa vie soit en danger. On peut plutôt en déduire que quelqu’un aurait confirmé que la communauté du renseignement étasunien fait son travail le plus élémentaire en suivant les éléments disponibles quant à la santé d’un dirigeant rival.

L’« horloge en panne » afficherait-elle la bonne heure?

Pour repartir des faits qui sont présentement établis, il est évident qu’il y a quelque chose qui cloche, car Kim Jong-Un n’aurait normalement pas manqué la cérémonie d’anniversaire de son grand-père ; mais on ne sait pas exactement ce qui ne va pas. Très probablement, il s’agit de quelque problème de santé, mais nul ne sait avec certitude s’il s’agit ou non d’un problème grave. Pourtant, les nouvelles publiées sur la Corée du Nord parviennent toujours à faire la une dans les médias internationaux, et le simple fait que CNN, parmi tous les organes de presse, ait été la première à indiquer que le dirigeant nord-coréen est « en grand danger » permet de douter quant à la véracité de cette information. Mais il reste qu’« une horloge en panne affiche l’heure exacte deux fois par jour », et que le rapport de CNN finisse par s’avérer crédible. Reste que l’inverse peut s’avérer tout aussi vrai, et que les commanditaires de cette chaîne, dans l’administration permanente militaire, de renseignement, et diplomatique (ce que l’on appelle « État profond ») ont d’autres motivations pour « laisser fuiter » ce récit à la presse.

Réhabilitation de la réputation de CNN

Tout d’abord, il est tout à fait notable que la source supposée (si elle existe même vraiment) se soit adressée à CNN plutôt qu’à quelque organe de presse favorable à Trump. Cela suggère que la motivation de cette source est d’améliorer la crédibilité de cette chaîne, au milieu des affirmations répétées du président étasunien selon qui elle propage des fake news (à supposer ici que l’information sur le dirigeant nord-coréen soit juste), soit (de manière non exclusive) et/ou de saper la politique d’engagement adoptée jusqu’ici vis-à-vis de la Corée du Nord. Pour le premier point, du point de vue du soft power, cela aurait du sens que CNN publie de temps à autre de « vraies informations » afin d’améliorer les chances que le public de cette chaîne continue de croire la pléthore de fake news qu’elle est habituée à produire. Comme de nombreux observateurs en étaient déjà à s’interroger sur le pourquoi de l’absence de Kim Jong-Un à la cérémonie d’anniversaire de son grand-père, il est plausible qu’un problème de santé en soit la cause, ce qui donne une certaine crédibilité au récit de CNN que le problème pourrait être grave (chose dont nul n’est sûr tant que le dirigeant nord-coréen ne démissionne pas ni n’est déclaré mort).

Diviser pour mieux régner

Quant à la seconde explication, elle peut se structurer en deux parties — compliquer les relations personnelles entre Trump et Kim Jong-Un et/ou mettre la pression sur le président pour qu’il accepte la proposition de la Corée du Sud quant aux dépenses de défense dues aux États-Unis. D’un côté, le dirigeant étasunien dispose d’excellentes relations avec son homologue nord-coréen, mais de l’autre, ces relations restent très fragiles et connaissent l’opposition de certaines membres de leurs « États profonds » respectifs. Cela signifie que les progrès surtout symboliques qui ont été réalisés jusqu’ici quant à l’engagement de la Corée du Nord vers la dénucléarisation pourraient se trouver remis en cause dès lors que Trump ferait une remarque « peu diplomatique » quant à la santé de Kim Jong-Un et l’offenserait personnellement — le président étasunien, au demeurant, a fort sagement évité cela hier en réponse à une question à ce sujet. S’il avait réagi différemment, cela aurait joué le jeu des adversaires de Trump au sein de l’« État profond », alignés sur les démocrates (et, naturellement, alignés avec CNN), qui s’opposent à sa politique d’apaisement et d’évitement de la guerre contre la Corée du Nord.

L’art de la négociation

Pour ce qui en est de la seconde partie de l’explication, Trump a récemment révélé qu’il rejetait le montant que proposait de payer la Corée du Sud en réponse à sa demande précédente de mieux compenser les services rendus par l’armée des États-Unis, que Reuters a indiqué constituer une augmentation de 13%. Le président s’emploie à faire pression sur les partenaires traditionnels de son pays pour obtenir des accords plus avantageux, dont il estime qu’ils équilibrent plus justement le poids des responsabilités qui incombe aux États-Unis dans l’ordre mondial qu’ils envisagent ; cela fait l’objet de fortes critiques de la part de l’élite internationale libéro-mondialiste ainsi que ses alliés intérieurs aux États-Unis (c’est-à-dire les Démocrates et leurs médias affiliés, ainsi que la faction de l’« État profond » qui les commandite). À supposer qu’il réside quelque crédibilité derrière le rapport de CNN quant à une crise planant sur la direction de la Corée du Nord, pouvant rendre ce pays encore plus imprévisible qu’auparavant, Trump pourrait se retrouver contraint de « se contenter de moins » et de prendre ce que Séoul accepter de lâcher aux intérêts de « sécurité nationale ».

En conclusion

On verra donc bien sûr ce qui va se produire — si quelque chose se produit — en Corée du Nord au cours des semaines à venir, mais il reste opportun de s’interroger sur ce qui se produit dans les coulisses de l’« État profond » étasunien pour qu’un de ses représentants vienne « fuiter » une information sur la santé de Kim Jong Un à CNN à ce moment précis. Comme nous l’avons évoqué au début de la présente analyse, il est plausible que le dirigeant puisse être malade, ou en train de récupérer après quelque intervention chirurgicale, même si cette dernière ne concerne rien de grave, mais suffit à le rendre « indécent » en public s’il faisait une apparition (ce serait une chose taboue en l’occurrence, au vu de la culture politique de la Corée du Nord). Reste que l’histoire nous a enseigné que la plupart des informations publiées sur la Corée du Nord sont soit totalement fausses, soit grossièrement exagérées, avec une part extrêmement faible qui finit par s’avérer exacte, surtout pour ce qui concerne les informations de CNN. Chacun serait donc fortement surpris s’il fallait découvrir que le rapport en question s’avérait crédible et que Kim Jong Un démissionnait ou mourait ; les chances pour que cela se produise dans un avenir proche sont extrêmement faibles.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Note du Saker Francophone

Depuis le leader Nord Coréen est réapparu. Il faudra encore patienter pour nos "amis" de CNN.

Traduit par José Martí pour le Saker Francophone

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