Par le Saker US – Le 11 mars 2016 Source thesaker.is
En écoutant Donald Trump parler de son désir de faire de la Russie un allié des États-Unis, je me suis surpris à me demander si cela était du domaine du possible. En effet, l’Occident, et par là j’entends chacun des politiciens occidentaux, a menti à la Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Non seulement l’Occident a menti à la Russie (en promettant par exemple de ne pas étendre l’Otan), mais il a également trahi la Russie en se rangeant aux côtés des ennemis les plus vicieux et retors de la Russie, à savoir les salafistes en Tchétchénie, ou les nazis en Ukraine.
L’Occident a aligné une formidable armada aérienne pour bombarder sans merci, et illégalement, la Serbie, un allié historique de la Russie, ainsi que d’autres populations orthodoxes en Croatie, en Bosnie, au Kosovo, et finalement directement au Monténégro et en Serbie. L’Occident a aussi renversé brutalement et illégalement le Colonel Kadhafi, violant ainsi directement les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Aujourd’hui, après avoir mis à sac la Libye (et l’Irak), l’Occident s’apprête à rempiler en Syrie. Dans le cas de l’Ukraine, l’Occident n’a pas bougé pendant que les Ukronazis employaient toutes les armes de leur arsenal, y compris chimique, des missiles, de l’artillerie lourde, des lance-roquettes multiples, des munitions à fragmentation et des bombardiers contre les villes du Donbass, et ont ensuite imposé des sanctions économiques, non à Kiev, mais à la Russie.
Puis quand les Ukronazis ont brûlé vifs une centaine de civils à Odessa, l’Occident les a encore pleinement soutenus. Avant que ne commencent les Jeux Olympiques de Sotchi, l’Occident a lâché la bride à son lobby homo et autres Pussy riots pour tenter de ternir l’image de la Russie, comme si elle était une société de type saoudien, tout cela sans jamais critiquer ce qui se passait justement en Arabie saoudite, un allié proche de la nation-dont-on-ne-saurait-se-passer, les États-Unis.
Et lorsque la Turquie a abattu un chasseur russe, qui avait pourtant communiqué son plan de vol aux États-Unis, l’Occident n’a rien trouvé à y redire, tout comme pour l’attentat terroriste perpétré par une branche d’Al-Qaeda sur un avion de ligne russe.
Lors de sa plus récente convulsion de russophobie rageuse, l’Occident, mené par le ministre des Affaires étrangères américain John Kerry, a exigé de la Russie la libération de Nadezhda Savchenko, membre d’une bande de nazis enragés, accusée d’avoir assassiné deux journalistes russes. Le plus étonnant dans cette affaire est que Kerry accuse la Russie, qui traduit Savchenko en justice, de violer l’accord de Minsk 2, un accord auquel la Russie ne prend pas partie, et qui de toute façon n’a rien à voir avec le cas Savchenko.
Il y a fort à parier que si Lucifer en personne apparaissait aux États-Unis ou en Europe et déclarait vouloir en découdre avec la Russie, l’Occident lui apporterait son soutien logistique, en plus de financement, entraînement militaire et reconnaissance diplomatique.
A la lumière de cette succession de faits, on pourrait raisonnablement croire que le sentiment anti-occidental en Russie a atteint son paroxysme, et que la Russie ne sera plus jamais un allié de l’Occident.
Nous aurions tort de penser ainsi.
Ce qui est certain est qu’une majorité de citoyens russes sont dégoûtés par les actions de l’Occident, mais ce n’est pas la majorité qui est aux commandes au Kremlin.
Ceux qui sont aux leviers de commandes sont avant tout pragmatiques: ils comprennent parfaitement que des contrariétés et des rancœurs ne peuvent pas former la base d’une politique étrangère. De plus, quels que soient leurs sentiments envers les politiciens occidentaux, les dirigeants russes sont conscients du fait que la Russie est toujours plus faible que l’Occident en cas de conflit armé, et que rétablir une relation de travail est bien plus souhaitable. Remarquez que j’ai employé le mot souhaitable, et pas nécessaire ou primordial. La Russie est préparée à s’engager dans une guerre chaude contre l’Occident, si besoin est, mais cela ne signifie pas que c’est une issue qu’elle estime souhaitable.
En fait, le principe fondateur de la politique étrangère russe a été expliqué maintes fois par Lavrov et Poutine. On pourrait le résumer ainsi: «Nous devons transformer nos ennemis en protagonistes neutres, les protagonistes neutres en partenaires, les partenaires en amis, et les amis en alliés.» Cela peut sembler évident, jusqu’à ce qu’on juxtapose cette politique avec la position anglo-sioniste, qu’on peut simplement résumer à «Nous devons faire de tous les pays nos vassaux.»
Posons-nous cette question: comment exactement la Russie peut-elle transformer ses ennemis en protagonistes neutres, et ainsi de suite? Selon moi, le seul moyen de parvenir à cet objectif est de travailler avec quelqu’un, avec un courant politique au sein de l’Occident, pour orienter l’Occident dans la bonne direction. La Russie a très peu de chances de parvenir à cet objectif si elle labellise chaque politicien occidental comme un ennemi. Ce qu’elle doit faire est d’identifier les individus et les forces politiques en Occident qui sont le plus à même de bénéficier d’une forme de coopération ou d’une autre avec la Russie. Ce qui explique les récentes prises de contact avec les formations d’extrême-droite (tel le Front national en France).
Très bien, mais qu’est-ce qui pourrait amener un politicien ou une formation politique occidentale à coopérer avec la Russie? Au sein d’un Occident majoritairement russophobe, ne serait-ce pas se marquer du sceau de l’infamie? Les opposants à toute forme de coopération ne brocarderaient-ils pas ces tentatives de rapprochement comme de la faiblesse et de la trahison? Enfin et surtout, que peut offrir la Russie à une telle personnalité ou formation politique désireuse de collaborer?
Répondons étape par étape.
Premièrement, je n’exagérerais pas la russophobie occidentale. Si l’on parle des élites, alors on peut affirmer qu’ils sont atteints de russophobie exacerbée. Mais le peuple? C’est beaucoup moins le cas, selon moi. Et ceux qui le sont, le doivent au conditionnement médiatique qui les formate à craindre la Russie, mais il s’agit d’un sentiment superficiel qui peut être inversé avec du bon sens et une vision de son propre intérêt à se rapprocher de la Russie. Est-ce que les opposants à un rapprochement dénonceront cela? Bien sûr, il faut s’y attendre, mais le succès ou l’échec de cette campagne de désinformation dépendra de l’issue de cette coopération avec des partis ou individus pro-russes. Ainsi, la question centrale est: qu’est-ce que la Russie peut offrir à l’Occident?
Énormément.
Tout d’abord, si un politicien ou une force politique qui ne soit pas russophobe parvenait à prendre le pouvoir dans un pays, la Russie ferait absolument son maximum pour leur conférer un statut préférentiel, à savoir que lors de chaque négociation, la position de la Russie fera en sorte qu’elle contribue au succès politique de cet individu ou de son parti dans son pays d’origine. L’exemple qui vient à l’esprit est celui-ci: Donald Trump devient le prochain président des États-Unis et offre un réel partenariat à la Russie sur la façon de régler le problème d’État islamique, pas seulement en Syrie, mais aussi en Irak. Mon opinion est que la Russie aurait un intérêt majeur à aider Trump à atteindre cet objectif pour l’aider à faire taire les voix anti-Russie aux États-Unis. Un autre exemple est celui-ci: imaginons un dirigeant européen qui choisit de rompre les rangs de la bureaucratie européenne et décide unilatéralement de ne plus imposer de sanctions commerciales à la Russie. Dans ce cas de figure, la Russie aurait un intérêt majeur à récompenser cette initiative en octroyant de nombreux contrats lucratifs à ce pays, à titre préférentiel.
Paradoxalement, un des pays qui bénéficieraient le plus d’un tel scénario est la Turquie. Pas celle d’Erdogan, bien sûr. Le Kremlin a saakachvilisé Erdogan (Saakachvili était le président de Géorgie au moment de la guerre avec la Russie, et a récemment acquis la nationalité ukrainienne – et perdu la géorgienne – pour éviter l’emprisonnement en Géorgie) au point que son avenir est peu radieux, si l’on peut dire. Mais imaginons que l’armée turque décide de déposer Erdogan de ses fonctions et appelle Moscou immédiatement avec ce message: «Aidez-nous et nous vous aiderons!» Imaginons comment la Russie pourrait prêter main-forte à une Turquie post-Erdogan.
Tout d’abord, la Russie pourrait jouer un rôle de médiateur neutre entre Ankara et les Kurdes, de la même manière que les États-Unis ont tenté de le faire en Irlande du Nord. La Russie pourrait rassembler à une même table la Syrie, l’Irak et l’Iran et contribuer à la réalisation d’un accord-cadre avec les différents protagonistes kurdes.
La Russie pourrait littéralement redémarrer l’économie turque, non seulement en redonnant aux Turcs l’accès au lucratif marché russe (bâtiment, agroalimentaire, tourisme, etc.), mais également en offrant à la Turquie une série d’accords de coopération non seulement avec elle, mais aussi avec des pays tiers (Amérique du Sud, Asie). Dans le pire des cas, la Russie pourrait rouvrir le robinet du tourisme de ses citoyens en Turquie, redémarrant à elle seule ce pan entier de l’économie turque. Un axe Ankara–Moscou a le potentiel d’être bénéfique aux deux pays, même si l’histoire nous apprend que ceux-ci se sont affrontés militairement déjà à douze reprises.
A l’heure actuelle, Erdogan est dans une mauvaise passe dont personne ne peut le sortir, et surtout pas l’Arabie saoudite et les États-Unis. Tant qu’il reste au pouvoir, la Russie l’ignorera totalement. Mais les Russes ne sont pas stupides, ils savent que la Turquie est un ennemi, et que tout ce dont la Russie a besoin, c’est de faire en sorte que la Turquie soit dans le pire des cas un partenaire fiable. C’est pour cette raison que Poutine travaillera avec n’importe qui d’autre qu’Erdogan pour défaire ce sac de nœuds.
Actuellement, l’Occident est en compétition sur tous les fronts avec la Russie, de l’océan Arctique à l‘océan Pacifique. Mais quelle est l’utilité d’une telle confrontation? N’est-ce pas un immense gaspillage de moyens et d’efforts, alors que collaborer avec la Russie pourrait être tellement plus bénéfique? Cet état des choses est d’autant plus ridicule lorsqu’on considère que la seule raison pour cette guerre larvée avec la Russie est l’arrogance anglo-sioniste démesurée, dont l’ordre du jour est toujours de faire de tous les pays nos vassaux. C’est exactement ce à quoi Vladimir Poutine faisait référence dans sa réponse à une question qui suggérait que les États-Unis souhaitaient humilier la Russie: «Vous dites que les États-Unis souhaitent nous humilier. Ce n’est pas le cas. Ils ne veulent pas nous humilier, ils veulent nous subjuguer, ils veulent régler leurs problèmes sur notre dos, nous soumettre à leur influence. Personne n’a jamais réussi à faire cela dans toute l’histoire de la Russie, et personne n’y parviendra jamais.» C’est cette insistance maniaque à tenter de subjuguer chaque nation sur cette planète, associée à une incapacité totale à coopérer sur une base de respect mutuel, qui nous a menés à deux doigts d’un conflit thermonucléaire entre la Russie et les États-Unis. Il s’agit d’un problème d’ordre idéologique, qui ne repose sur rien dans la réalité.
En écoutant Donald Trump, je perçois qu’il existe réellement une catégorie de gens aux États-Unis qui ne souffrent pas de ce genre de mégalomanie, et qui s’intéressent à faire avancer les choses plutôt que de tout sacrifier au nom de la préservation de leur position (intenable) de Nation indispensable. Les Européens sont d’accord pour être gouvernés par l’État profond anglo-sioniste, dans la mesure où ce type de collaboration ne débouche pas sur des vagues massives de réfugiés, de criminalité et de paupérisation. Un nombre croissant de politiciens d’envergure, comme Sarközy et Berlusconi, commencent à sortir du rang, et de plus en plus de gens se demandent s’il était réellement nécessaire de s’engager dans une guerre larvée avec la Russie, surtout pour soutenir un coup d’État perpétré par des nazis à Kiev.
Je pense qu’il est hautement probable que ce processus de prise de conscience aille en s’accélérant. John F. Kennedy a dit un jour, citant le sénateur romain Tacite, que «La Victoire a 100 géniteurs, alors que la Défaite est orpheline». L’échec patent des affrontements avec la Russie, en Ukraine, en Syrie ou ailleurs, ne va pas tarder à déclencher une vague de contestation de paternité de toutes ces attaques sur la Russie, et une ruée vers des politiques plus prometteuses de collaboration avec la Russie.
[Note annexe: Lorsque cela arrivera, j’observerai avec délectation, et même une certaine joie mauvaise, la figure des dirigeants des États baltes et des pays d’Europe centrale, qui se sont crus des alliés importants de l’Occident contre la Russie, pour finalement réaliser que ni l’Occident ni la Russie ne se préoccupent d’eux].
Quel que soit le résultat des élections présidentielles américaines, je pense que la déclaration de Donald Trump sur son désir de travailler avec Poutine et la Russie qu’il dirige, lui donne déjà un avantage compétitif sur ses adversaires. Il l’a dit avec une certaine candeur: «Pourquoi irait-on se créer des problèmes?» Ce en quoi il a bien sûr absolument raison.
Historiquement, la relation entre la Russie et l’Occident a été compliquée. Vous n’ignorez sûrement pas que l’Union soviétique, pour la majeure partie de son existence, a vécu sous un régime de sanctions occidentales diverses et variées. Mais saviez-vous que c’était déjà le cas sous la Russie tsariste d’avant la Révolution bolchevique de 1917, et que la Russie subissait toutes sortes de sanctions pour des motifs tous plus fallacieux les uns que les autres ?
En fait, depuis 1242, date de la soi-disant Croisade vers le Nord du Pape Grégoire IX, l’Occident a tenté de soumettre la Russie sous un motif idéologique ou un autre (papisme, franc-maçonnerie révolutionnaire, nazisme, capitalisme, etc.). Mais pourquoi en faire une situation immuable? Il n’existe pas de raison objective pour perpétuer cette confrontation sans fin. Aussi longtemps que les dirigeants occidentaux se berçaient d’illusions sur leur rôle de phare de la civilisation, sur leur mission qui leur serait dévolue par Dieu de civiliser le monde et de convertir toutes les populations à leur branche du christianisme, le conflit était inévitable.
Mais aujourd’hui, les Anglo-sionistes ont fait péricliter ce qui s’appelait la civilisation occidentale, tel un parasite qui tue son hôte, pendant que des pays comme la Russie et la Chine sortent, pour la première fois depuis des siècles, de leur état d’infériorité. Ce sera un chemin long et dangereux, mais on n’échappera pas à ce processus. Ceux qui en Occident auront la sagesse de voir cette évolution, et qui trouveront le courage de renoncer à leur exceptionnalisme, auront là un outil qu’ils pourront utiliser à leur avantage.
Les Russes, eux, continueront de refuser de se soumettre à l’Empire, tout en attendant l’apparition de nouveaux partenaires. Même s’il leur faut patienter longtemps.
Le Saker
Article original paru sur The Unz Review
Traduit par Laurent Schiaparelli, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone
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