Par Pavel Nastine – Le 7 juillet 2018 – Source New Eastern Outlook
C’est bien connu, avant le début des années 1960, la France était la plus grande puissance coloniale. Tout le Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc, Mauritanie) ainsi que les actuels Burkina Faso, Djibouti, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Union des Comores, République centrafricaine et Tchad étaient sous son contrôle en Afrique. En fait, le pillage de ces pays est devenu une base de la prospérité française au XXe siècle. De nombreuses nations, comme les Algériens, qui ont sacrifié plus d’un million de vies sur l’autel de la liberté et de l’indépendance, se souviennent trop bien des crimes des colonialistes et certains, par exemple au Rwanda, posent la question du rôle de la France dans le génocide rampant dans ces pays au cours de la période post-coloniale.
Malgré les horreurs du colonialisme et l’actuelle indépendance formelle des Africains, la France a toujours gardé des positions politiques et économiques dans beaucoup de ces États, même dans ceux pour lesquels elle n’était pas la « mère patrie », incitant les figures politiques africaines à parler ouvertement de l’oppression néocoloniale et du maintien de la dépendance à l’égard de Paris. Jusqu’à aujourd’hui, les réserves d’or et de devises des anciennes colonies de la France ainsi que de certaines colonies portugaises et espagnoles se trouvent à la Banque de France. Il s’agit notamment du Bénin, du Burundi, du Burkina Faso, du Gabon, de la Guinée-Bissau, de la République du Congo (Brazzaville), de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Togo, du Cameroun, de la République centrafricaine, de la Guinée équatoriale, du Tchad. Il est évident qu’aucun accord important de ces pays ne peut se faire sans l’approbation de la France, ce qui lui donne un immense levier sur la politique et l’économie de ces pays.
Bien sûr, tous ces pays ne sont pas du même intérêt pour Paris. Certains sont importants du point de vue géopolitique et de la lutte contre le terrorisme, qui menace les intérêts politiques et financiers de la France, d’autres sont des marchés pour les produits français, et les troisièmes représentent la base des ressources pour l’industrie française. La priorité est donnée au Mali, au Niger, au Burkina Faso, à la République centrafricaine et à la Côte d’Ivoire. Les principales ressources que la France reçoit d’eux sont l’uranium, l’or et les diamants. L’uranium a une importance stratégique pour la France, puisque dans les années 1960 à 1970, Paris a misé sur l’énergie nucléaire et que 75% de son industrie est alimentée par l’électricité provenant des centrales nucléaires. Ce n’est donc pas un hasard si le réseau des bases militaires françaises s’étend. Sept mille soldats français sont stationnés en Afrique.
Le président E. Macron, arrivé au pouvoir en 2016, ne s’est pas immédiatement tourné vers les affaires africaines. Depuis l’automne 2017, cependant, il leur accorde une attention considérable. En particulier, il a utilisé la présidence française au Conseil de sécurité de l’ONU et, le 30 octobre à New York, il a tenu une réunion ministérielle sur la situation dans la zone du Sahel, où se trouvent la plupart des intérêts et des préoccupations de Paris. Le terrorisme rampant et l’extrémisme, les activités des groupes terroristes provoquées à bien des égards par les actions françaises, tout d’abord au temps du président N. Sarkozy lorsque la Libye a été écrasée, et que son dirigeant M. Kadhafi qui en savait long sur le dirigeant français a été tué, frappent maintenant la France elle-même. Les sérieux intérêts économiques et politiques de Paris sont mis en cause, forçant Paris à maintenir 3 000 hommes dans la zone Sahara–Sahel depuis 2013. Il a déjà mené deux grandes opérations, Serval et Barkhane, mais a échoué à vaincre le terrorisme, bien que Paris promeuve activement l’idée de la création de forces conjointes des « Cinq du Sahel » (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Tchad, Niger), acceptée le 21 juin 2017. Le but de ces forces est qu’elles remplacent les troupes françaises, mais jusqu’à présent la tâche n’est pas vraiment réalisée car les fonds (420 millions d’euros) promis par les financeurs n’ont pas encore atteint les bénéficiaires.
Au même moment, le ministère français de la Défense suggère que les « casques bleus » installés dans la région Sahara-Sahel (la MINUSMA) n’ont pas les moyens de protection nécessaires contre les djihadistes, et que la France n’a pas les moyens de jouer le rôle de gendarme pour l’Afrique. Le ministère plaide pour une augmentation de la contribution de l’UE et de l’OTAN et pour autoriser l’Alliance à mener des opérations dans le sud de la Méditerranée. Il faut cependant reconnaître qu’il n’y a pas d’unanimité en France sur la question. Beaucoup ne soutiennent pas cette opinion et s’opposent à l’expansion de la zone de responsabilité de l’OTAN, soutenant l’augmentation de l’efficacité des opérations de maintien de la paix de l’ONU.
En octobre 2017, Paris a publié la nouvelle doctrine militaire de la France, qui a été également signée par E. Macron lui-même. L’accent principal y est mis sur la lutte contre le radicalisme, généralement islamique, montrant que Paris est, en premier lieu, préoccupée par la situation en Afrique du Nord et dans la zone Sahara–Sahel. La question du djihadisme et du terrorisme djihadiste est décrite en détail. La thèse principale est la destruction physique des groupes djihadistes, mais cela ne supprime pas la menace terroriste en général car l’idéologie reste intacte. En réalité, l’intégrité de la doctrine se manifeste dans le fait que le terrorisme se réorganise et s’étend à de nouvelles régions, utilisant le chaos, les guerres civiles et la faiblesse des États. Les principales organisations ne disparaissent pas du tout ; et leur idéologie ne faiblit pas. Al-Qaïda et ISIS (les organisations terroristes interdites) se réorganisent et s’adaptent aux nouvelles conditions. Leurs métastases s’étendent à de nouveaux territoires, y compris l’Afrique. ISIS est toujours une organisation jouissant de possibilités mondiales. La doctrine admet qu’il existe une large sympathie et même un soutien actif au djihadisme de la population dans de nombreux pays. Selon la nouvelle doctrine, l’une des priorités dans ce contexte est de soutenir les forces conjointes des « Cinq du Sahel ».
Simultanément, la doctrine admet que le djihadisme au Moyen-Orient est alimenté par le conflit israélo-palestinien persistant et les contradictions entre sunnites et chiites. La pensée française évolue évidemment dans la bonne direction, mais, comme déjà relevé plus haut, ils n’ont pas le cœur de dire que leurs actions ont considérablement contribué à l’expansion de cette idéologie djihadiste en Libye, qu’ils stigmatisent si furieusement et si fondamentalement.
Un peu plus tard, E. Macron a enrichi sa doctrine militaire de dispositions économiques et sociales en rapport avec l’Afrique dans son discours-programme du 28 novembre à Ouagadougou (Burkina Faso). Dans ce discours, il a mis l’accent sur le fait que maintenant, à Paris, ils ne regardent plus les Africains de haut et les considèrent comme des partenaires égaux. Il a ouvertement confessé les crimes du colonialisme et a demandé de ne pas se fixer sur le passé. Il a cité les atteintes à la dignité humaine, la migration illégale, le terrorisme islamique, les conflits politiques internes, l’extrémisme religieux et quelques autres, dont la démographie, comme les problèmes actuels du continent africain. Il a intentionnellement remercié l’Arabie saoudite pour avoir cessé d’alimenter l’extrémisme religieux avec des fonds et n’a pas dit un mot sur les mêmes financements turcs. Et le président a promis des investissements spécifiques, auxquels très peu de gens en Afrique ont cru (les entreprises françaises sont beaucoup trop connues là-bas), bien que le pathos et le message positif de ce discours aient fait quelque impression. L’enjeu pour les programmes de formation (la France accepte de nombreux étudiants africains), ainsi qu’en général pour la jeunesse, qui ne se souvient pas de l’époque du colonialisme et, peut-être, sera prête à croire au « désintéressement » des Français, a semblé réel aux Africains.
La nouvelle doctrine militaire et les bruyantes promesses d’aide aux Africains n’ont pas protégé les Français des attaques terroristes. Le 2 mars 2018, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans a attaqué l’ambassade de France à Ouagadougou (Burkina Faso) en réponse à l’opération Barkhane dans la région du Sahel, à la mort de ses chefs (avant le 14 février, une opération des forces françaises a eu lieu durant laquelle 20 djihadistes ont été tués et capturés) et dans une tentative d’entraver l’expansion du SSSF. Les attaques terroristes ont été soigneusement préparées et réalisées, peut-être pas sans participation de l’armée burkinabée.
À de nombreux égard, elle s’est avérée une conséquence du fait que Paris joue un double jeu dans la région du Sahara–Sahel, et tout d’abord au Mali. Ainsi, se cachant derrière des réserves humanitaires, les Français évitent de transférer la région de Kidal sous le contrôle des autorités centrales du Mali. La Coordination des mouvements Azawad contrôlent de fait la ville. Paris patronne le groupe séparatiste qu’est le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, dont le siège est situé à proximité de Paris. Les Français ferment également les yeux sur les atrocités de l’un des plus odieux extrémistes du Mali, Iyad Ag Ghali, qui agit depuis le sud de l’Algérie. Il est évident que le « deux poids, deux mesures » frappe parfois ceux qui le pratiquent.
Mais cet aspect, et d’autres, de la politique française en Afrique seront traités dans le prochain article.
Pavel Nastin, observateur politique pour l’Asie et l’Afrique, exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone
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