La lutte de Syriza :
Une alternative pour la Grèce


Par Geoffrey McDonald – Le 27 mars 2015 – Source CounterPunch

Depuis la victoire électorale de Syriza, les couteaux s’affûtent autour de la question du renflouement de la Grèce. Tout tourne autour de la question de savoir quel est le meilleur moyen d’assainir les finances publiques. Faut-il en passer par un assainissement budgétaire impliquant des coupes encore plus claires dans des dépenses gouvernementales considérées comme superflues, en particulier celles qui visent à aider la population ? Ou s’agit-il plutôt de mesures d’incitation au développement financées par le crédit, autrement dit d’une politique de croissance au service de la population ?

Les politiciens des deux bords clament haut et fort que les petites gens sont leur première préoccupation. Le gouvernement grec invoque les travailleurs, les retraités, les chômeurs, les malades, etc., qui ont déjà consenti tant de sacrifices qu’ils sont au bout du rouleau. Le ministre des Finances allemand, Schäuble, se plaît à rappeler constamment que les laborieux contribuables allemands ont subi il y a de nombreuses années déjà les réductions budgétaires auxquelles les Grecs doivent s’attendre aujourd’hui.

Que les politiciens soient sincères ou des hypocrites professionnels, il s’agit là d’un différend entre gouvernements, qui ne porte ni sur les droits du peuple grec ni sur ceux du peuple allemand. Il porte en réalité sur les droits des gouvernements à leurs ressources économiques. Alors, plutôt que prendre parti pour les pauvres Grecs ou les méchants Allemands, il semble judicieux de prendre du recul et d’examiner de quoi il retourne exactement.

Le sacro-saint crédit européen

Du côté de Schäuble, on insiste sur la nécessité pour les Grecs de recourir au crédit accordé par l’Europe pour rembourser la dette, tout en supprimant les dépenses improductives en même temps. Cela révèle un fait intéressant : le crédit est en réalité un outil d’asservissement économique. En effet, lorsqu’un secteur économique ou un État souscrit un emprunt, l’économie nationale et les dettes de l’État doivent évoluer conformément aux calculs du créancier. C’est la seule raison pour laquelle le monde de la finance accorde des prêts. Toutes les activités productives de la société sont subordonnées à l’augmentation du capital du prêteur, et cet intérêt est garanti par la loi. Le crédit n’est pas une panacée ; c’est un outil d’augmentation du capital. La société est au service de cet objectif, faute de quoi elle perd son droit à exister.

Les dirigeants de Syriza le reconnaissent aussi lorsqu’ils soutiennent que de nouveaux prêts sont indispensables pour l’existence et le développement de leur pays. Ils ne nient pas la nécessité de coupes budgétaires. Ce qu’ils demandent, c’est qu’une partie de la dette soit annulée et que le remboursement du reste soit reporté jusqu’à ce que leur programme social-démocrate ait permis de renouer avec la croissance. Lorsque celle-ci sera de retour, ils promettent de rembourser en prélevant les paiements sur l’excédent budgétaire. Ils promettent qu’alors – et seulement alors – ils rembourseront les investisseurs, dont les objectifs seront redevenus réalisables.

Le programme de Syriza considère que la croissance est possible dès lors que la population est désireuse de travailler et prête à le faire. Il affirme que le commerce a besoin d’une classe moyenne prospère, et qu’il est nécessaire d’empêcher les plus défavorisés de la classe ouvrière de tomber plus bas. Pourtant, aucun État-providence n’a jamais été conçu pour préserver l’existence de toute la classe ouvrière. La social-démocratie est une idéologie qui fonctionne parfois dans les pays capitalistes prospères ; cependant, en l’absence de croissance prévisible, le capitalisme ne saurait justifier l’existence d’un État-providence. Syriza a raison de dire que le capitalisme ne peut pas exister sans une classe ouvrière en état de travailler. Seulement, cela ne vaut que si le capital a besoin d’une classe ouvrière. Une classe ouvrière en bonne santé et éduquée n’est qu’un moyen de favoriser la croissance économique lorsque le capital l’a décidé. Ce n’est pas que le capital ne fasse pas appel aux travailleurs parce qu’ils sont mal préparés, mais tout le contraire : ils deviennent inutiles parce que les capitalistes n’ont plus besoin d’eux.

Syriza estime qu’il est contre-productif de réduire les dépenses publiques en période de resserrement du crédit. Ses dirigeants n’acceptent pas le verdict du marché obligataire, selon lequel la Grèce serait le grand perdant de l’Europe, mais souhaitent que les partenaires européens la subventionnent pour qu’elle revienne dans la partie. Ils considèrent que l’Europe doit se mobiliser et que, sinon, les partenaires européens doivent reconnaître cet état de fait. Cependant, il n’existe pas de concurrence économico-politique sans vaincus ou sans vainqueurs. Les vainqueurs dictent la marche à suivre : réduire le budget, ce qui implique de ne pas renforcer l’euro à la seule fin de maintenir les gens en vie.

Le magnifique projet européen

C’est l’Allemagne qui donne le la. Le projet européen peut se résumer en grande partie par la conquête de l’Europe par l’Allemagne, par des moyens économiques après l’échec militaire de la tentative précédente. Cette conquête a plus ou moins déjà eu lieu. Dans le différend actuel sur la Grèce et sa faillite, Schäuble exige qu’elle continue poliment de rembourser, conformément aux règles fixées lors de son entrée dans la zone euro. Il s’agit ainsi de préserver la solidité de l’euro, assurée non par la Grèce mais par l’Allemagne et la puissance de son capital, y compris en Grèce.

L’Allemagne défend une idéologie selon laquelle une politique fiscale saine se traduit par une monnaie saine, laquelle constitue le fondement d’une économie saine. Personne ne peut nier qu’en cela, elle a réussi. Son point de vue, plus connu sous le nom d’austérité, repose sur le principe que l’argent doit présenter un intérêt pour le capital lorsque l’État emprunte. Les règles régissant l’euro stipulent explicitement que la Banque centrale européenne ne doit pas renflouer les pays. Il incombe à chaque pays de se prendre en main ; la banque, elle, doit veiller à ne pas détruire ainsi la monnaie.

Syriza appelle cela le supplice de la baignoire fiscale [fiscal policy waterboarding]. Ses dirigeants apportent les préjudices déjà subis par la Grèce à la table de négociation et menacent de sortir de l’euro : vous ne pouvez pas nous couler, parce que l’euro coulera avec nous. Syriza fait ainsi une piqûre de rappel : vous devez payer, non seulement pour nous sauver, mais aussi pour vous sauver vous-mêmes. En même temps, la Grèce souhaite rester dans l’UE et l’euro. Pourtant, si un endettement doit permettre de renouer avec la croissance capitaliste tout en prenant soin de la classe ouvrière, il sera impératif de le faire dans la monnaie nationale, la drachme, et non l’euro. Si la Grèce sort de l’euro, elle mettra des drachmes en circulation uniquement pour le marché intérieur. Cette monnaie ne doit pas être convertible. Et la Grèce tient beaucoup à continuer de bénéficier de la puissance que représente l’euro.

L’Allemagne, quant à elle, ne tient pas à ce qu’elle sorte de l’euro car elle a besoin de la Grèce pour des raisons qui lui sont propres. En effet, les banques allemandes ne tiennent pas à entendre le verdict final de la faillite de la Grèce. L’Allemagne déclare qu’elle souhaite seulement réduire le coût que représente la Grèce. Autrement dit, elle considère que les prêts servant à la renflouer n’ont qu’un seul but : faire de la Grèce une entité crédible, capable de payer les intérêts de la dette. Si la Grèce échoue, nous risquons un nouvel épisode Lehman Brothers. Les marchés s’interrogeront alors sur la capacité de l’euro à résister au déluge de spéculation qui le frappera à la suite de l’Espagne, du Portugal et de l’Italie. Si Wall Street et les brasseurs de milliards s’en mêlent, cela pourra tuer l’euro. L’Allemagne se porterait bien, merci, mais son projet euro aurait alors échoué.

Schäuble rappelle aux Grecs qu’ils doivent se plier aux règles [de l’Allemagne], car eux aussi doivent veiller à la survie de l’euro. Si la Grèce bénéficie constamment de nouveaux crédits, cela menacera la valeur de l’euro, et c’est une question autrement plus grave que sa faiblesse actuelle sur le marché des changes. Si la Grèce poursuit dans cette voie, cela aura pour effet d’affaiblir l’euro en tant qu’instrument de crédit et que mesure de sa valeur et de son pouvoir d’achat.

La possibilité pour l’euro de rivaliser avec le dollar en tant que rival impérialiste passe nécessairement par sa solidité. En effet, ce n’est pas une monnaie fiduciaire comme le dollar, qui repose exclusivement sur la puissance militaire des États-Unis. Les Européens affirment que leur «monnaie est bonne parce qu’elle ne sert que des objectifs économiques». L’inconvénient pour l’Europe de ne pas être une entité unique comme les États-Unis constitue en même temps un avantage : chaque euro imprimé vaut effectivement un euro, parce qu’il correspond à une valeur réelle. C’est pourquoi les banques allemandes sont les gardiens de la prudence monétaire européenne. Contrairement à ce que croient les observateurs anglo-américains, il ne s’agit pas là d’une obsession germanique pour l’épargne.

Dans cette extorsion mutuelle, les états-membres partenaires de l’Europe affichent les vraies couleurs de leur Euroclub avec leur monnaie communautaire. La Grèce y participe et souhaite continuer : il s’agit en effet d’une compétition institutionnalisée entre nations. Les pays européens commercent dans une même monnaie, mais sont férocement en concurrence pour l’obtention des crédits indispensables pour le bon fonctionnement de leur économie de marché. Ils ont impérativement besoin des crédits en euro et les utilisent pour l’emporter dans cette compétition en accumulant des excédents en devises. La différence entre vainqueurs et vaincus se mesure à l’aune de leur popularité sur les marchés financiers. Populaire, il semble évident que la Grèce ne l’est pas !

Ce verdict peut venir des marchés financiers, mais ce sont les dirigeants politiques qui signent et appliquent les décrets exécutoires. L’ayant emporté dans cette course entre États, les politiciens allemands insistent sur la nécessité pour la Grèce, vaincue, de se porter garante de ses dettes afin de redevenir compétitive sur le marché européen. Autrement dit : tout ce qui n’est pas rentable en Grèce doit être élagué. La réussite de l’Allemagne et la puissance de l’euro ne sauraient être pénalisées par la ruine des vaincus. De plus, sa réussite donne à l’Allemagne les moyens, y compris politiques, d’appliquer les principes économiques de cette communauté supranationaliste.

Le rôle du peuple

Conservateurs ou de gauche, les politiciens européens s’accordent sur un point : le rôle du peuple. Les politiciens allemands – Verts, Sociaux-démocrates ou Démocrates-chrétiens – attribuent fièrement la réussite économique de leur pays au fait que les Allemands sont toujours disposés à travailler plus pour gagner moins. Quant aux politiciens de Syriza, ils rappellent qu’une population exsangue n’est guère en mesure de renouer avec la prospérité, d’autant moins quand c’est ce même développement qui a causé tant de misère !

Des deux côtés, on considère que les peuples ne sont utiles que pour le profit des capitalistes. Dans les usines, les bureaux et partout ailleurs, ils doivent être suffisamment productifs et bon marché pour que le fruit de leur travail soit le plus rentable possible.

Dans les périodes de vaches grasses comme de vaches maigres, dans tous les pays, petits ou grands, le devoir le plus important pour la population est de réduire son niveau de vie afin que leur pauvreté soit utile – surtout pour les pays vainqueurs de l’Europe. Selon cette même logique, si sa pauvreté n’a pas d’utilité pour les investisseurs, elle est également sans fond.

Syriza lutte pour maintenir son pays et son peuple en vie afin que, d’une manière ou d’une autre, ils redeviennent productifs. Quant aux instances européennes, elles leur disent que les critères de succès de l’euro sont incompatibles avec leur niveau de vie antérieur. Ainsi, les deux bords se perdent en arguties autour des avantages de la pauvreté du peuple pour le pays. Ne serait-il pas temps pour la population de se demander si elle peut vraiment se permettre tout cela ?

Geoffrey MacDonald est coéditeur de Ruthless Criticism.

Traduit par Gilles Chertier, relu par jj pour le Saker Francophone

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