Par Tom Luongo – Le 12 mai 2019 – Source Strategic Culture
Je n’aime pas annoncer des nouvelles exclusives à ceux qui dénigrent la Chine, mais la guerre commerciale avec les États-Unis est terminée. Je maintiens depuis des mois que Trump n’a aucune marge de manœuvre dans les négociations commerciales avec la Chine. S’il en avait, celle-ci aurait déjà conclu un accord.
Ils ne le feront probablement pas, à moins que vous ne parliez d’une forme d’accord permettant à Trump de sauver la face dans cette affaire. Mais pour être honnête, je commence à douter de l’intérêt de qui que ce soit pour celle-ci à la Maison-Blanche. Il s’agit du jeu des grandes puissances, et de l’idée simpliste que pour gagner une guerre commerciale, l’un doit perdre pour que l’autre gagne.
C’est, bien sûr, un non-sens.
Le commerce n’est pas un jeu à somme nulle. Idéalement, tout commerce volontaire constitue un scénario gagnant-gagnant pour l’acheteur et le vendeur. Si ce n’était pas le cas, l’échange ne se ferait pas. Ce qui est perdu dans les chiffres est la valeur comparative perçue dans l’échange.
La Chine a toujours un excédent commercial énorme, et c’est vrai. Mais du point de vue du commerce américain, c’est autant une conséquence des habitudes de dépenses extravagantes de Trump que des inégalités structurelles.
Trump a un déficit budgétaire annuel proche de mille milliards de dollars. C’est de l’argent qui est créé de toutes pièces par le miracle de la vente d’obligations. Mille milliards de dollars en obligations ! Où pensez-vous que vont ces milliards de dollars de dépenses gouvernementales ?
Sur la lune ? Au Laos ?
Non, ils vont en Chine. Il se retrouvent également sur le marché boursier américain que Trump aime tant et dans d’autres pays qui produisent des biens que nous, les Américains, achetons avec cet argent. Si Trump veut gagner la guerre commerciale avec la Chine, il devrait envisager de dépenser un peu moins d’argent, afin de faire baisser les prix à la consommation aux États-Unis et de laisser ses réductions d’impôt continuer d’attirer des capitaux pour de bonnes raisons – la valeur que la main-d’œuvre américaine est capable de générer.
Au lieu de cela, Trump a imposé des droits de douane de 10% sur les produits chinois l’année dernière. Cela n’a fait qu’exacerber le déficit commercial avec la Chine. Le déficit commercial global est maintenant à des niveaux record.
En outre, la Chine a répondu exactement comme on pouvait s’y attendre, en permettant au yuan de se déprécier d’environ 10%. Elle l’a fait pour un certain nombre de raisons.
Premièrement, protéger les exportateurs nationaux comme on pourrait s’y attendre. Mais plus important encore, aider les banques chinoises vulnérables, exposées au ralentissement, et sauvegarder leurs liquidités, ce qu’elle a fait par le biais des opérations de sa Banque centrale.
Sur mon blog, j’ai récemment noté :
La Chine ne va pas imploser avec ces droits de douane. Cela donnera à Xi et à sa banque centrale la possibilité de dévaluer le yuan en réponse au ralentissement du flux de dollars. Il doit protéger la part du lion de ses échanges commerciaux avec l’Asie du Sud-Est et l’Europe dont les monnaies sont déjà en difficulté. Et il soutiendra les banques et les entreprises les plus sensibles sur le plan stratégique qui y sont surexposées. C’est ce qu’il a fait l’année dernière en réponse à l'augmentation de 10% des droits de douane, et c’est ce qui se passera cette fois-ci.
Enfin demeure la question dont personne ne souhaite discuter, à savoir que la Chine doit protéger son commerce avec l’Asie du Sud-Est et l’Europe. Le yuan n’a pas été dévalué pour rien. L’euro est en baisse de 13% par rapport à son sommet, tout comme la roupie indonésienne, le ringgit de Malaisie et le baht thaïlandais.
Ce que Trump et son équipe réclament dans les négociations commerciales n’est pas différent de ce qu’ils ont proposé à l’Iran et au Liban, renoncez à votre souveraineté ou vous ferez l’objet de sanctions.
Ainsi, la Chine se rebiffe et arrête les importations de soja et d’autres produits alimentaires des États-Unis. Aujourd’hui, un an plus tard, les banques du Midwest sont confrontées à une augmentation du nombre de faillites d’agriculteurs frappés par le double fléau de l’absence d’exportations vers la Chine – qui les achète maintenant au Brésil – et par les inondations massives provoquées par un hiver et un printemps anormalement vicieux.
Ils doivent remercier Trump pour cela. Il ne les a pas aidés en ne réfléchissant pas assez à la manière dont nous pourrions être frappés par la réaction de la Chine, face à sa belligérance.
De la même manière, les producteurs laitiers du Wisconsin font également faillite, en raison du flot continu de produits laitiers européens bon marché, maintenant les prix de gros du lait à un bas niveau. Pourquoi cela est-il arrivé ? La Russie a contré les sanctions européennes et américaines à propos de la Crimée en interdisant les importations de produits laitiers européens, [qui se sont dirigés vers les États-Unis].
Il s’agit de groupes clés d’électeurs qui ont abandonné Hillary Clinton en 2016.
Passons maintenant à la vitesse supérieure et parlons de ce qui se passe réellement.
L’équipe de Trump s’en sortirait avec son déficit commercial si la Chine recyclait toujours cet excédent commercial en obligations du Trésor américain. Elle ne le fait plus. Les Chinois ont maintenu leur stock de dette américaine entre 1 100 et 1 250 milliards de dollars depuis deux ans.
Ils utilisent une grande partie de cet argent dans le monde pour financer leur énorme initiative des Routes de la soie, Belt and Road (BRI). Ils l’utilisent également pour augmenter leur influence dans des pays qui ressentent la morsure des sanctions de Trump. Des pays comme la Turquie, le Pakistan et l’Iran, par exemple.
Pour les schizophrènes paranoïaques qui dirigent la Maison-Blanche, la montée en puissance de la Chine ne peut être vécue que comme une menace et non une opportunité complémentaire.
Encore une fois, ce sont des gens qui ont une vision à somme nulle du commerce.
Comme Trump, ils ne voient les choses qu’en termes de pouvoir. Donc si la Chine a un excédent, elle gagne et nous perdons.
Les efforts visant à sanctionner le monde, et à interdire l’utilisation du dollar sans autorisation préalable, commencent à avoir des effets catastrophiques sur l’économie mondiale. Des gens comme John Bolton et le secrétaire d’État Mike Pompeo ne s’intéressent pas à ça. En fait, plus leurs « ennemis », tels qu’ils les voient, souffrent, mieux c’est pour eux. Telle est leur vision réductionniste du monde.
Je ne crois en aucun cas que la Chine soit irréprochable ou quoi que ce soit. Elle a profité énormément des mauvaises politiques américaines pendant des décennies. Mais elle s’éloigne maintenant de ses politiques mercantilistes à mesure que Xi déplace une économie tirée par les exportations vers un modèle de consommation domestique.
Cela se produit déjà car l’excédent commercial de la Chine diminue en pourcentage de son PIB, alors que la consommation intérieure et l’investissement prennent le relais.
Les prochaines étapes seront intéressantes. Je pense que Trump ne bluffe pas en menaçant d’augmenter les droits de douane à 25%. Je m’attends également à ce que la Chine arrête à nouveau tous ses achats de pétrole américain, comme elle l’a fait entre novembre et mars, sous la menace de sanctions pour avoir acheté du pétrole iranien, tout en laissant le yuan chuter brusquement.
Après cela, la véritable guerre énergétique commencera lorsque la Russie aura terminé le pipeline Force de Sibérie et enverra du gaz naturel en Chine. En outre, celle-ci incite ses sociétés pétrolières d’État à acheter plus de pétrole à l’Iran, tout en réduisant ses achats à l’Arabie saoudite, à moins que les Saoudiens n’acceptent le yuan.
C’est là que réside le véritable levier de tout ce fiasco. Trump tente de faire chanter le monde avec des dollars coûteux et du pétrole bon marché. Mais, alors qu’il sabote le commerce mondial et déchaîne le chaos dans le monde entier, le dollar augmentera au lieu de s’effondrer, car la course folle à celui-ci s’accélérera pour payer les dettes. Ça commence déjà.
Les taux d’intérêt, qui sont maintenant bas alors que les investisseurs recherchent des actifs refuges, vont monter en flèche à mesure que les banques centrales se débarrasseront de leur dette américaine pour défendre leurs devises. Et les entreprises qui ont émis toutes les nouvelles obligations spéculatives dans le pétrole de schiste seront piégées par l’effondrement des prix du pétrole et l’augmentation des coûts du service de la dette.
Et il y aura un autre électorat prêt à lyncher Trump au moment des élections.
Tom Luongo
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone