…alors que c’est la Chine et la Russie qui la gagneront
Par Moon of Alabama – Le 15 mai 2019
La tactique d’induire la peur en menaçant d’une attaque contre l’Iran continue de plus belle. Bolton se tape sur les cuisses de constater la facilité avec laquelle il peut jouer de cette menace qui ne repose sur rien. Il s’oppose simplement à toute négation d’une prétendue « menace de la part de l’Iran » en en rajoutant. Hier, un général britannique a nié l’existence d’une telle menace dans la zone relevant de sa responsabilité :
"Non - il n'y a pas de menace accrue de la part des forces soutenues par l'Iran en Irak et en Syrie", a déclaré le Cdt Christopher Ghika, commandant adjoint de l'opération Inherent Resolve (OIR), la coalition responsable des opérations antiterroristes contre État Islamique en Irak et en Syrie, dans un briefing vidéo, selon le Guardian.
Aujourd’hui, Bolton a fait croire le contraire en ré-augmentant le niveau verbal autour de cette menace imaginaire :
L'ambassade des États-Unis en Irak affirme que le département d'État a ordonné à tous les agents non essentiels du gouvernement de quitter le pays immédiatement en raison des tensions croissantes avec l'Iran. L'alerte, publiée sur le site Web de l'ambassade mercredi, intervient après que Washington a déclaré la semaine dernière qu'il avait détecté de nouvelles menaces importantes ciblant les Américains et les intérêts américains de la part de l'Iran et de ses mandataires dans la région .
Bolton est pour l’instant en train d’atteindre le résultat qu’il veut. Il remplit systématiquement l’espace public en parlant d’une « menace iranienne » qui est pourtant inexistante. Si cette menace est établie dans l’esprit du public par sa répétition constante, elle sera utilisée pour l’habituel incident sous faux drapeau qui servira à justifier le déclenchement d’une guerre contre l’Iran.
Le pouvoir de Bolton pourrait cependant en prendre un coup. Les couteaux sont tirés contre lui et il y a des rumeurs disant qu’il risque d’être viré :
Deux sources familières avec la question m’ont dit que le chef du Conseil de sécurité nationale du président Donald Trump se dirige vers la sortie, après s'être approché trop près du soleil pendant ses tentatives de changement de régime en Iran, au Venezuela et en Corée du Nord. "On entend dire que Trump veut qu'il parte", m'a confié un ancien haut fonctionnaire de l'administration.
Bolton – et peut-être aussi Trump – veulent une guerre contre l’Iran parce que Bibi Netanyahou l’a demandé, parce que l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) [anti-iranienne] et les sionistes l’ont payé pour la faire, et parce qu’il pense pouvoir la faire sans que cela nuise aux États-Unis.
par Ted Rall (utilisé avec sa permission)
C’est sur ce dernier point qu’il se trompe complètement. La guerre contre l’Irak a détruit la position des États-Unis en tant que ” seule superpuissance “. La Russie a profité de l’après-guerre pour revenir au Moyen-Orient tandis que la Chine a gagné du temps pour renforcer sa position en Asie. La superpuissance autrefois unique n’est plus qu’un primus inter pares avec la Chine et la Russie. Une guerre américaine contre l’Iran diminuerait encore sa position. La Chine et la Russie se retrouveraient toutes deux avec une position accrue dans le monde tandis que les États-Unis en seraient les grands perdants.
Voici pourquoi :
Hier, le New York Times a publié les options que le Pentagone avait présentées à la Maison-Blanche pour une guerre contre l’Iran. L’une d’elle est l’option des 120 000 soldats, option qui n’a aucun sens :
Ce nombre est trop élevé pour une attaque aérienne et maritime et trop faible pour une attaque terrestre, c'est-à-dire une invasion de l'Iran.
Newsweek dit maintenant que l’option des 120 000 soldats n’est qu’un prélude à une invasion de l’Iran :
Les responsables du Pentagone ont déclaré à Newsweek que, si ils étaient déployées, les 120 000 soldats américains joueraient un rôle de soutien logistique et de mise en place de l'infrastructure nécessaire pour pré-positionner les forces américaines en vue d'une éventuelle invasion terrestre. Les 120 000 hommes initialement prévus s'intégreraient dans un afflux supplémentaire de forces américaines envoyées dans la région.
Ces « fonctionnaires du Pentagone » ne sont pas des « fonctionnaires militaires », c’est-à-dire des soldats. Ils ne semblent pas savoir de quoi ils parlent. Une invasion et une occupation d’un pays montagneux comme l’Iran nécessiteraient plus d’un demi-million de soldats, juste pour commencer. Même une invasion des seules zones riches en pétrole de la côte ouest de l’Iran et de sa frontière avec l’Irak nécessiterait une force d’environ 300 000 hommes. Sans préparation, l’armée américaine ne sera pas en mesure de soutenir une opération d’une telle envergure pendant plus de deux ou trois mois.
Et envahir par où, s’il vous plaît ? L’Irak ne permettrait certainement pas aux forces américaines d’attaquer son voisin depuis son territoire. Une invasion par mer est impossible à cause des eaux confinées du golfe Persique, de l’absence de dragueurs de mines et d’autres équipements maritimes.
Les gens qui parlent d’une telle guerre connaîtront une grave désillusion :
Une source du Pentagone a déclaré à Newsweek que si quelque chose devait se produire concernant les premières étapes d’une guerre contre l'Iran, cela impliquerait une lourde campagne de missiles guidés pour tenter de conduire Téhéran à la table des négociations dès le début. "Cela dépend de l'escalade de la force. Mais quelle que soit la bravade du côté iranien, quand on se fait frapper avec 500 missiles par jour, cela vous décourage, ce qui est l'objectif. Quand votre adversaire est découragé, vous tirez le meilleur parti de n'importe quelle négociation", a déclaré un responsable au courant des plans contre l'Iran.
Il était une fois un Saddam Hussein, manipulé par les États-Unis et les pays arabes du Golfe, qui avait des idées similaires. Lorsqu’il a attaqué l’Iran en 1980, il pensait qu’il allait s’emparer de la province du Khuzestan, riche en pétrole, en un mois ou deux. Après la révolution islamique de 1979, l’armée iranienne était en désarroi. Beaucoup d’officiers avaient été congédiés ou étaient partis. L’Iran était soumis à un embargo mondial sur les armes alors que l’Irak bénéficiait du soutien de toutes les grandes puissances. La guerre n’a pas pris quelques mois. Il a fallu huit ans, l’utilisation d’armes chimiques contre des villes iraniennes, une vaste opération américaine contre la marine iranienne et plus d’un million de morts au total, des deux côtés, pour que l’Iran soit prêt à accepter un cessez-le-feu. En fin de compte, la frontière a été rétablie dans son état d’avant-guerre. L’Irak a presque fait faillite à cause de la guerre et c’est la raison pour laquelle il s’est emparé plus tard du Koweït et a dû en subir les conséquences.
A la lumière de cette histoire, il est risible de croire que l’on « tirerait plus de profit de négociations » avec l’Iran en lançant chaque jour 500 missiles sur ce pays.
Et qu’en est-il des capacités de représailles de l’Iran ? L’Iran possède sa propre flotte de missiles et de drones. Elle dispose d’une force mandataire bien équipée au Liban et ailleurs. Chaque missile de croisière touchant Téhéran peut être contré par un missile lancé sur Tel Aviv. L’Iran bénéficierait également du soutien de la Chine et de la Russie, qui peuvent lui fournir toutes les armes dont il a besoin à travers la mer Caspienne, tandis que les États-Unis manqueraient d’alliés compétents.
Les missiles iraniens peuvent frapper n’importe quel pays du Moyen-Orient qui accueille des forces américaines. Ils peuvent cibler les usines de dessalement saoudiennes, les raffineries des Émirats arabes unis et divers ports d’expédition de pétrole. Les prix de l’énergie grimperaient en flèche. Les récents incidents près du port de Fujairah aux Émirats arabes unis et l’attaque des oléoducs est-ouest saoudiens n’ont probablement pas été causés par l’Iran. Mais ils donnent un avant-goût de ce que les capacités asymétriques de l’Iran pourraient accomplir.
Les « responsables du Pentagone » devraient relire leurs exposés sur l’exercice nommé Millenium Challenge qui simulait une attaque américaine (bleue) contre l’Iran (rouge) :
Au début du MC'02, pour justifier l'exigence d'attaque par effraction, les bleus ont lancé au rouges un ultimatum en huit points, dont le point final était la reddition. Le chef de l'équipe rouge, Van Riper, savait que les dirigeants politiques de son pays ne pouvaient l'accepter, ce qui, selon lui, conduirait les forces bleues à intervenir directement. Comme l'administration de George W. Bush avait récemment annoncé sa « doctrine de première frappe », Van Riper décida que dès qu'un groupe aéronaval de la marine américaine s'aventurerait dans le Golfe, il « frapperait en premier ceux qui veulent frapper en premier » et donc frapperait le premier. Une fois les forces américaines à portée de tir, les forces de Van Riper ont déclenché un barrage de missiles à partir de lanceurs au sol, de navires commerciaux et d'avions volant à basse altitude et sans communications radio pour réduire leur signature radar. Simultanément, des essaims de vedettes rapides chargées d'explosifs lancèrent des attaques kamikazes. Le système radar Aegis du groupement tactique de transport - qui suit et tente d'intercepter les missiles entrants - a été rapidement saturé, et dix-neuf navires américains ont été coulés, dont le porte avions, plusieurs croiseurs et cinq navires amphibies. "Tout était fini en cinq, peut-être dix minutes", a expliqué Van Riper.
L’incapacité des faucons de guerre à apprendre de l’histoire est tout à fait remarquable :
Firing line avec Margaret Hoover - @FiringLineShow- 20:14 utc - 14 mai 2019 Le sénateur @TomCottonAR explique à Firing Line qu’en cas de guerre contre l'Iran, il est convaincu que les États-Unis gagneraient, et gagneraient rapidement. « Deux frappes, la première et la dernière », dit le sénateur. (vidéo)
Nous avons déjà entendu de tels propos :
« Je crois que démolir le pouvoir militaire de Hussein et libérer l’Irak sera un jeu d’enfant. » Ken Adelmann, 13 février 2002, Washington Post
« L’idée qu’il s’agira d’une longue, longue, longue bataille est démentie par le fait de ce qui s’est passé en 1990. Cinq jours, cinq semaines ou cinq mois, mais ça ne durera pas plus longtemps que ça. » Donald Rumsfeld, 15 novembre 2002, CBSNews
« Ce sera une guerre de deux mois, pas une guerre de huit ans. » Bill Kristol, 29 mars 2003, CSPAN
La guerre contre l’Irak serait une affaire courte et simple, disaient les imbéciles à la Tom Cotton. On disait aussi que cela ne coûterait presque rien. Seize ans plus tard, après un million de morts, deux – ou trois – mille milliards de dollars dépensés et une énorme crise économique, les États-Unis se battent toujours en Irak.
Il n’y a pas de guerres courtes ou bon marché. De par sa nature même, la guerre est imprévisible, coûteuse et ne se termine presque jamais comme on le souhaite.
John Bolton plaide depuis longtemps en faveur d’une guerre contre l’Iran. S’il obtient ce qu’il veut et pousse les États-Unis à lancer une guerre, les deux parties y perdront. Il y aura aussi beaucoup de dommages collatéraux dans plusieurs autres pays du Moyen-Orient, et d’autres conséquences graves que nous ne pouvons pas encore prévoir.
Ce qui est sûr, c’est que les plus grands gagnants d’une telle guerre, et peut-être les seuls, seront la Russie et la Chine.
L’opposition Démocrate aux États-Unis semble avoir peu de temps pour s’opposer à une autre guerre au Moyen-Orient. Ils sont toujours occupés avec les restes du Russiagate. Mais n’est-il pas évident que Poutine utilise en ce moment la fameuse vidéo « golden shower » [en faisant chanter Trump] pour le pousser dans une guerre contre l’Iran dont profitera la position de la Russie dans le monde ? Que font-ils pour empêcher cela ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone.
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