En échange de Masood comme trophée, Modi vient de liquider la crédibilité de l’Inde sur la scène internationale


Par Andrew Korybko – Le 1er mai 2019 – Source eurasiafuture.com

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Dans son obsession de voir Masood Azhar référencé comme terroriste par le Conseil de sécurité des Nations Unies, Modi a ruiné la réputation internationale de l’Inde. L’instance mondiale a en effet omis de mentionner officiellement les nombreuses attaques dont New Delhi accuse Masood de constituer la tête pensante. Les actions de Modi ont endommagé de manière permanente la crédibilité de l’Inde : la communauté mondiale, à partir de maintenant, mettra en doute toutes les affirmations émises par ce pays.

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La plupart des médias indiens considèrent que la désignation de Masood Azhar par le Conseil de sécurité comme terroriste constitue une victoire de longue haleine pour leur pays, permise par la campagne de pression menée par Modi envers le Pakistan, campagne qui aurait fini par amener la Chine à changer d’avis à ce sujet et permis cette désignation. La base électorale hyper-nationaliste Hindutva du BJP, le parti de Modi, peut adhérer facilement à cette vision, mais l’opposition politique a immédiatement indiqué que les documentations officielles publiées par le Conseil de sécurité ne reprennent aucune mention des nombreuses attaques dont New Delhi accuse l’homme de constituer la tête pensante. Et ce point n’est pas anodin : ces omissions ostensibles de l’attentat de 2001 contre le parlement ; de l’attentat sous faux-drapeau de Mumbai en 2008 ; de l’incident de Pathankot en 2016 ; de l’attentat récent de Pulwama ; et de tout autre événement en lien avec le Cachemire, démontrent que Modi était tellement obsédé de voir Azhar référencé comme terroriste par le Conseil de sécurité qu’il a soldé la réputation internationale de l’Inde pour y parvenir. Ce dernier développement apparaît comme un artifice électoraliste à très court terme, mais qui ne sera pas sans porter de nombreuses et profondes conséquences à long terme pour l’image du pays à l’étranger.

Modi a eu son trophée, mais le prix qu’il va lui en coûter est tel qu’il n’aurait jamais accepté de le payer s’il n’était pas totalement aux abois dans les élections en cours en Inde. La crédibilité de l’Inde sur la scène internationale en a pris un coup durable et permanent : les affirmations indiennes ne seront plus prises pour argent comptant, le Conseil de sécurité de l’ONU n’ayant pas conclu qu’Azhar présentait de lien plausible avec les incidents mentionnés ci-avant, dont New Delhi l’accuse d’avoir constitué le commanditaire. Seule une vague « association » avec Al-Qaida et Jaish-i-Mohammed a constitué la base légale permettant au Conseil de sécurité de désigner l’homme comme terroriste. Et contrairement aux échos qu’en font les médias indiens, la Chine n’a pas « changé d’avis » en réponse à ce qu’ils décrivent comme des « pressions internationales accrues » sur le Pakistan à l’issue de Pulwama ; c’est au contraire Modi qui s’est rangé aux demandes de Pékin et d’Islamabad, en acceptant de retirer les assertions de l’Inde contre Azhar : c’est sous cette condition que la Chine a accepté la désignation de l’homme comme terroriste, chose qui devrait accorder à Modi quelques avantages dans les sondages préalables aux élections indiennes, dont les trois dernières phases vont prochainement s’ouvrir.

La Chine avait déjà tous les atouts en main, et n’a eu qu’à attendre que l’Inde la supplie de désigner Azhar comme terroriste, loin des regards, en échange de ce que Pékin voulait depuis le début : que New Delhi se discrédite totalement sur la scène internationale, en acceptant que cette désignation soit faite sans mention aucune des nombreux attentats dont l’Inde l’accuse de constituer le commanditaire. En célébrant ce déroulement comme une « victoire », l’Inde fait elle-même la démonstration à la face du monde que ses accusations de départ n’avaient aucun fondement solide, et qu’Azhar n’aura constitué qu’un croque-mitaine bien pratique à agiter pour raviver une ferveur hyper-nationaliste de temps à autres. Modi a décidé tacitement d’admettre cet état de fait, en espérant que les médias de son pays, influencés par Bollywood, réussiront à tenir les deux semaines à venir, en distrayant la population par des déclamations chauvinistes de « victoire » sur le Pakistan, et en l’empêchant de prendre conscience des conséquences à long terme qu’il a par là-même infligé lui-même à la réputation de New Delhi sur la scène internationale. Modi fait simplement le calcul que les bénéfices à court terme perdureront jusqu’à la fin des élections fin mai, quand il sera trop tard pour le destituer par les urnes, au moment où les flambées de ferveur nationaliste se calmeront et que les Indiens reprendront leurs esprits.

Illustration des dégâts auto-infligés par l’Inde sur son image à l’international rien qu’au cours des deux mois, on a vu l’ambassadeur d’Inde en Russie mentir en affirmant avoir rejeté les médiations internationales entre son pays et le Pakistan ; Sushma Swarajle, ministre des affaires étrangères, contredire publiquement son gouvernement, qui avait préalablement annoncé que des « centaines » de cibles avaient été éliminées par les soi-disant « frappes chirurgicales » – elle est revenue sur ces déclarations en reconnaissant qu’aucun national ni soldat pakistanais n’avait été tué ; les USA ont « débunké » la théorie du complot des F-16 de New Delhi ; l’armée indienne s’est constituée la risée de tous cette semaine, en tweetant avoir trouvé les empreintes de pas du « Yéti » ; et voici que Modi vient de jeter aux orties deux décennies de doctrine en sécurité nationale, en fêtant la désignation d’Azhar comme terroriste par le Conseil de sécurité sans mention aucune de son rôle supposé derrière les attentats passés en Inde ou dans le Cachemire occupé [Décidément, le gouvernement et l’appareil d’État de Modi font presque autant de couacs que Macron et son équipe de branquignols en France et à l’étranger, NdT]. Là où les médias indiens ont raison, c’est que cette désignation d’Azhar comme terroriste constitue effectivement une victoire écrasante ; ils se fourvoient simplement sur l’identité du vainqueur : c’est la Chine et le Pakistan, avec l’accord de l’Inde, qui profiteront de cet événement, maintenant que Modi a liquidé la réputation internationale de son pays pour s’emparer d’un éphémère trophée, dans ses tentatives désespérées de se voir réélu.

Andrew Korybko est un analyste politique américain, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

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