La crise grecque attend d’autres partenaires de l’Otan

«...Dans le déluge de reportages des médias occidentaux sur la crise de la dette grecque, un aspect clé reste étrangement caché. Autrement dit, le fait que le fardeau de la dette de la Grèce de $320 Mds a été largement engagé par des décennies de militarisme exorbitant. Selon certaines estimations, au moins la moitié de la dette grecque totale – plus de 150 Mds – est due aux dépenses militaires... Si la Grèce devait réduire ses dépenses militaires de moitié, à environ 1% cent du PIB, comme en Italie, en Belgique, en Espagne ou en Allemagne, elle pourrait générer $2 Mds qui satisferaient les demandes immédiates du FMI et contribuerait aussi à éviter les mesures d'austérité drastiques exigées par la troïka.»
Finian Cunningham

Finian Cunningham

Par Finian Cunningham – Le 2 juillet 2015 – Source strategic-culture

Une conséquence notable du conflit en Ukraine et de la confrontation larvée en cours entre l’Occident et la Russie est l’augmentation spectaculaire des dépenses militaires dans plusieurs pays européens.

Toutefois, cette militarisation sans précédent des économies à travers l’Europe laisse présager un avenir de style grec avec une dette paralysante et désastreuse. Les personnes les plus à risque d’une future gueule de bois due à l’accroissement des dépenses militaires dans les années à venir sont les États baltes, la Pologne et les pays scandinaves.

Cette conséquence peut en effet expliquer pourquoi Washington et ses plus proches alliés de l’Otan se sont engagés dans ce qui semble être une confrontation géopolitique imprudente avec la Russie. Les tensions attisées par la prétendue menace russe – principalement par Washington – conduisent à des ventes d’armes lucratives pour le Pentagone et son complexe militaro-industriel.

Le Secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a récemment assuré que l’alliance militaire menée par les USA «ne se laisserait pas entraîner dans une course aux armements avec la Russie». Mais c’est exactement ce qui est en cours, au moins pour les membres de l’Europe orientale et les pays scandinaves partenaires de l’Otan.

L’ordre du jour de la confrontation – brandi avec véhémence par Washington – est non pas tant de susciter une vraie guerre tous azimuts entre l’Otan et la Russie. L’ancien ambassadeur américain en Russie, Michael McFaul, a déclaré le week-end dernier que «seul un fou pourrait envahir la Russie». Cet aveu peut effectivement être une mesure précise des calculs de Washington. Malgré la posture militaire agressive en cours menée par les USA envers la Russie, l’objectif réel n’est pas d’entreprendre une guerre avec Moscou, mais plutôt de créer un climat de peur et d’insécurité d’une menace russe alléguée afin de stimuler les dépenses militaires des membres de l’Otan précités.

Dans son dernier rapport sur les dépenses militaires à travers l’Europe, l’Institut international de Stockholm Peace Research (SIPRI) note : «La crise politique et militaire en Ukraine a conduit à une réévaluation majeure de la perception des menaces et des stratégies militaires dans une grande partie de l’Europe. La perception des menaces accrues a conduit à des appels en Europe pour des dépenses militaires plus élevées et, en particulier, un engagement renouvelé des membres de l’Otan de passer au moins 2% de leur produit intérieur brut (PIB) en dépenses militaires.»

Les budgets militaires croissants pour 2015 par rapport à l’année précédente sont les suivants : République tchèque (+ 3,7%), Estonie (+ 7,3%), Lettonie (+ 15%), Lituanie (+ 50%), Norvège (+ 5,6%), Pologne (+ 20%), Roumanie (+ 4,9%), République slovaque (+ 7%) et Suède non membre de l’Otan (+ 5,3%).

De manière significative, la plupart des membres de l’Otan d’Europe occidentale réduisent ou bloquent leurs dépenses militaires. Il s’agit de la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, le Danemark et l’Espagne.

Parmi ceux dont les dépenses militaires se sont accrues, la Pologne a fait le plus grand effort financier pour un montant de quelque $35 Mds au cours de la prochaine décennie jusqu’en 2022. En comparaison, les États baltes de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie ont des allocations beaucoup plus petites en valeur absolue. Mais ce qui est important ici est l’échelle par rapport à la taille de leur économie.

Comme le note le SIPRI : «Dans le moyen et long terme, l’augmentation de 80% ou plus des dépenses militaires requise par certains États membres pour atteindre l’objectif de 2% du PIB est sans précédent pour les membres de l’Otan en temps de paix. Depuis la fin de la guerre de Corée de 1950 à 1953, la tendance dans les budgets militaires de presque tous les membres de l’Otan en tant que part du PIB a été à la baisse ou constant, même pendant les périodes de tension accrue avec l’Union soviétique.»

Les Etats-Unis comme plus grand exportateur d’armes du monde a tout à gagner de façon décisive sur les budgets et les marchés européens captifs, dans la vente de systèmes de missiles, de chars, de navires de guerre et d’avions de chasse. Le bonus pour le Fonds monétaire international (FMI), dominé par Washington, est que si l’endettement des pays militaires dépensiers s’accroît, la conséquence sur les contraintes économiques futures permettra une expropriation, justifiée par la mise en place de politiques d’austérité, au profit du capital financier occidental. Le processus est semblable à celui qui s’est déjà abattu sur la Grèce.

Dans le déluge de reportages des médias occidentaux sur la crise de la dette grecque, un aspect clé reste étrangement caché. Autrement dit, le fait que le fardeau de la dette de la Grèce de $320 Mds a été largement engagé par des décennies de militarisme exorbitant. Selon certaines estimations, au moins la moitié de la dette grecque totale – plus de 150 Mds – est due aux dépenses militaires.

Avant le début de la crise actuelle de la dette en 2010, la Grèce a dépensé quelque 7% de son PIB pour la défense, alors que de nombreux autres pays européens allouent environ 2%. Même maintenant, cinq ans après l’effondrement économique, la Grèce a encore le niveau de dépenses militaires plus élevé dans l’Union européenne – à 2,2% du PIB. Sur les 28 membres de l’Otan, la Grèce est le deuxième plus grand dépensier après les États-Unis, qui allouent environ 3,8% de leur production économique au militaire.

Le gouvernement grec d’Alexis Tsipras et les créanciers institutionnels, l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le FMI, ont délibérément ignoré une option flagrante pour essayer de remettre les finances nationales de la Grèce à flot – à savoir une diminution massive de l’armée du pays.

Si la Grèce devait réduire ses dépenses militaires de moitié, à environ 1% cent du PIB, comme en Italie, en Belgique, en Espagne ou en Allemagne, elle pourrait générer $2 Mds qui satisferaient les demandes immédiates du FMI et contribueraient aussi à éviter les mesures d’austérité drastiques exigées par la Troïka.

Mais il y a une bonne raison pour laquelle la Troïka des créanciers refusent cette option. L’extravagance militaire de la Grèce pendant de nombreuses années a été une mine d’or pour les industries d’armement allemandes, françaises et américaines. Sur les $150 Mds de dépenses militaires de la Grèce jusqu’à 2010, 25% des achats venaient d’Allemagne, 13% de France et 42% des États-Unis, selon les chiffres du SIPRI.

Ce n’est pas un hasard si les plus grands créanciers institutionnels de la Grèce sont les gouvernements allemand et français – pour un total de $100 Mds. Une grande partie du capital prêté à la Grèce a ensuite servi à passer commande de systèmes allemands et français tels que des armes, des chars d’assaut Leopard et des avions de chasse Mirage, ainsi que des F-16 américains.

Dans une interview avec le Guardian en avril 2012, le député grec Dimitris Papadimoulis a accusé Berlin et Paris d’hypocrisie, car comme il l’explique : «Eh bien, après que la crise économique avait commencé [en 2010], l’Allemagne et la France tentaient de sceller des contrats d’armement lucratifs même s’ils nous obligeaient à faire des coupes profondes dans des domaines comme la santé.»

Ainsi Berlin et Paris ont sciemment gonflé la dette de la Grèce, qui a été utilisée pour fournir un marché important à leurs industries de défense. Le tourniquet à finance a également alimenté la corruption. En octobre 2013, l’ex-ministre de la Défense grec Akis Tsochatsopoulous dans le gouvernement PASOK précédent, a été emprisonné pendant 20 ans pour son rôle dans une affaire de corruption impliquant $75 millions et des dizaines d’autres fonctionnaires à Athènes. La société allemande Ferrostaal a également été contrainte de payer $150 millions pour son rôle dans le racket des armes, qui, entre autres choses a sécurisé la vente de quatre sous-marins de classe 214 à la Grèce pour une valeur d’environ $3 Mds.

L’épouvantail commode dans le scénario grec était la Turquie, qui a envahi Chypre en 1975, et a été dépeinte comme une menace pour la sécurité pérenne de la Grèce. Washington, Berlin et Paris, avec les politiciens corrompus à Athènes, ont joué de la menace turque [alors que la Turquie fait partie de l’Otan, comme la Grèce, NdT] afin de faire tourner la mécanique des prêts et des achats d’armements. La triste fin de ce scénario est maintenant une crise de la dette grecque qui se poursuit avec le pillage économique du pays mené par le FMI et les pouvoirs de l’UE, principalement de Berlin et Paris.

Un autre ironie dans cette tragédie grecque moderne est que la supposée menace contre la Grèce accentuée par Washington et ses alliés européens, suscitant la militarisation massive de la Grèce, serait la faute  d’un autre membre de l’Otan – la Turquie. Qu’est-il arrivé à l’article 5 de la charte otanesque [clause de défense collective des pays de l’Otan, NdT], au cours de toutes ces années d’insécurité ?

Comme c’est beaucoup plus facile alors pour Washington et ses alliés de l’Otan de présenter la Russie, avec de vieux stéréotypes de la guerre froide comme une menace de sécurité pour l’Europe de l’Est et la Scandinavie ?

Et au vu de la hausse des dépenses militaires par les pays européens de l’Est et la Scandinavie, ce stratagème semble prospérer abondamment. Le complexe militaro-industriel des États-Unis et de ses homologues allemands, français et britanniques se tiennent prêts à engranger dans les prochaines années des milliards de dollars en provenance des membres mineurs de l’Otan qui sont convenablement conduits à s’effrayer du spectre de la Russie.

Mais si l’histoire du militarisme en Grèce est quelque chose de bien analysé, alors une crise de la dette grecque est en gestation pour les États baltes, la Pologne et les Scandinaves.

Les US protègent-t-ils l’Otan ? Non, plutôt le racket du complexe-militaro-industriel !

Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone

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