Interview de Vladimir Poutine par les médias russes


Le 7 septembre 2015 – source thesaker.is

 

 

Le président de la Russie Vladimir Poutine : Bonjour. Allez-y, s’il vous plaît.

Question : Considérant le Forum économique de l’Est d’aujourd’hui, pensez-vous qu’il a été un succès en révélant quelques zones de croissance? Quel genre de perspectives voyez-vous s’ouvrir pour la région?

Vladimir Poutine : Cette région a un énorme potentiel et donc il y a toujours eu des zones de croissance et de développement ici. Notre tâche, cependant, n’est pas simplement de trouver des lieux de croissance individuels, mais d’établir en général un climat favorable et un bon environnement pour les affaires afin de développer l’économie de l’Extrême-Orient et le secteur social. Les gens ici sont très talentueux, énergiques et actifs, et nous devons simplement leur offrir des conditions favorables.

L’événement d’aujourd’hui, le Forum économique de l’Est, est un pas dans cette direction. Mais il est plus important de remarquer ce que nous avons fait ces derniers temps, discuter du développement de l’Extrême-Orient et prendre les décisions dont j’ai parlé au forum. Comme je l’ai expliqué, cela comprend des zones prioritaires de développement, des taux d’emprunt préférentiels, le port franc de Vladivostok et toute une série d’autres mesures de soutien.

Nous espérons vraiment que cela portera ses fruits, mais à juger au nombre de contrats et d’accords signés ici pendant le forum, nous pouvons dire que ces mesures semblent fonctionner. J’espère beaucoup que nous commencerons à voir des résultats tangibles très bientôt.

Question : Monsieur le Président, ce voyage vous a emmené à Chita, ville russe à la frontière chinoise et mongole, et en Chine, où l’événement principal était la célébration de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comment décririez-vous la situation avec les résultats [de la Seconde Guerre mondiale] à la lumière de vos contacts avec vos collègues, avec des anciens combattants et d’autres? Le sens et la signification de ces rendez-vous ont-ils été dilués et érodés?

Vladimir Poutine : Je pense que nous sommes tous témoins de tentatives d’éroder l’importance de la Seconde Guerre mondiale et de ses événements et, c’est triste, cela existe en Europe et aussi en Asie, où nous pouvons voir des tendances similaires. Il est donc très important pour chacun qui a combattu le nazisme et le militarisme de maintenir, dans la conscience de l’humanité, la véritable signification de ce qui s’est passé dans la lutte contre le nazisme et le militarisme.

Je pense qu’en organisant des événements à une échelle aussi importante pour marquer cet anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, nos amis chinois vont précisément dans cette direction, et maintiennent au sein de leur population une compréhension correcte de la signification de la lutte contre ces choses. Le sens véritable est seulement de s’assurer que cela ne se reproduise plus jamais dans l’histoire de l’humanité.

Pour notre part, nous continuerons à faire tout ce que nous pouvons pour assurer que la vérité sur la Grande Guerre patriotique, la vérité sur ceux qui ont combattu pour notre indépendance et notre liberté et ont apporté la liberté aux peuples d’Europe ne resteront pas seulement dans nos mémoires, mais dans les cœurs de notre peuple et aussi des peuples d’autres pays.

La Chine a organisé des événements à grande échelle, et nous avons senti que non seulement les dirigeants chinois, mais aussi les gens, chérissent profondément et préservent la mémoire de ce que leurs ancêtres ont fait pour libérer leur pays.

Question : Dans votre discours, plus tôt, vous n’avez pas donné une évaluation de la situation économique en Russie. Nous voyons cependant que le rouble continue à baisser quand les prix du pétrole chutent. Quelles sont votre évaluation et vos prévisions, et prévoyez-vous de nouvelles mesures pour stabiliser le marché?

Vladimir Poutine : Ce travail se fait publiquement. Le gouvernement le mène publiquement et je me réunis régulièrement avec les membres du gouvernement responsables de l’économie. J’ai eu tout récemment une discussion précise sur toutes ces questions avec le Premier ministre, à Sotchi.

Le gouvernement a un paquet de mesures et de propositions sur ce qu’il faut faire dans ce genre de situation et comment s’y prendre. Ce n’est pas un genre de situation extraordinaire pour nous. Nous en avons aussi traversé une semblable en 2008-2009, et aussi quelques années auparavant. Nos mesures pour soutenir l’économie et les affaires sont connues et prêtes. La seule question est de savoir quels instruments utiliser et dans quelle mesure.

Comme je l’ai dit au forum tout à l’heure, notre ligne générale est que nous ne voulons pas simplement brûler nos réserves ou n’utiliser que de l’argent du budget pour soutenir des secteurs industriels ou des entreprises individuelles. Notre ligne générale vise à élargir la liberté des entreprises, à libérer notre système économique des tracasseries administratives et à améliorer le système de prise de décision et le climat des affaires. C’est notre ligne générale de développement et notre politique dans ce cas particulier.

En général, dans une situation de crise, la meilleure réponse est toujours de donner plus de liberté aux affaires. C’est la direction dans laquelle nous allons nous engager, mais en même temps, cela n’évitera pas des mesures ciblées de soutien pour des secteurs industriels spécifiques, le marché du travail et le secteur social. Comme je l’ai dit, nous procéderons très soigneusement, en fonction des demandes du marché. La Banque centrale réagit tout à fait efficacement.

Quant à la volatilité des prix des ressources énergétiques, nos biens d’exportation traditionnels, oui, cela arrive, mais c’est hors de notre contrôle. Cela dépend de processus qui se développent dans l’économie mondiale dans son ensemble et sur les marchés asiatiques. J’ai aussi discuté de cette question avec nos amis chinois et nous ne voyons rien de dramatique dans cette situation.

Je pense que ces ajustements du marché n’étaient pas inattendus. Bien sûr, ils ont un impact sur les prix de l’énergie, mais cela n’épuise pas toute la question. C’est aussi une question d’excédents de production d’énergie et d’entrée de nouveaux joueurs dotés de réserves considérables sur le marché mondial, y compris les arrivées prévues, comme l’Iran.

Je pense que tout cela est un processus naturel. L’économie mondiale, y compris le secteur énergétique, doit suivre son développement naturel et être dans son état normal, et ne pas être mise sous pression par des facteurs externes ou politiques. Je suis sûr que tout cela reprendra une tournure totalement normale et naturelle. Je pense que l’économie de la Russie s’est déjà plus ou moins adaptée à la situation. Il reste quelques aspects qu’il faut travailler, évidemment, le gouvernement et la communauté des affaires, et nous le ferons.

Je pense qu’il est parfaitement justifié que le gouvernement ajuste cette situation avec son budget annuel, parce que dans ces conditions, il est plus difficile ou même impossible de prédire exactement comment les marchés mondiaux se comporteront et comment cela affectera les recettes budgétaires fédérales et régionales.

Le gouvernement continuera à établir des objectifs chiffrés pour les années suivantes, la deuxième et la troisième année, et continuera à faire ses prévisions, dont nous tiendrons compte, mais dans ces conditions, essayer de prédire plus ou moins précisément ce qui va se passer et comment nous devrions répondre n’est possible qu’une année à l’avance.

Je pense que le gouvernement prend la bonne décision en établissant un budget pour un an seulement et je demanderai au Parlement de soutenir cette approche. Quant à nos engagements sociaux, nous ferons tout le nécessaire pour assurer qu’ils soient tenus.

Question : Au sujet de l’Ukraine, nous connaissons les événements qui ont eu lieu hier à la Verkhovna Rada à Kiev, où des agents des forces de sécurité ont été tués et des manifestants ont affronté la police. Cela s’est passé alors que le Parlement votait des amendements à la Constitution. Comment évaluez-vous ces événements et quel est votre pronostic?

Vladimir Poutine : Je vous rappelle que conformément aux Accords de Minsk des amendements devaient être introduits dans la Constitution ukrainienne, mais que cela devait être fait par la discussion, le dialogue et la coordination avec la région de Donbass et les Républiques populaires de Donetsk et de Lugansk, qui ne sont pas reconnues. Malheureusement, les autorités de Kiev ne prennent aucune de ces mesures aujourd’hui et il n’y a ni dialogue ni coordination sur les amendements à la Constitution de l’Ukraine. C’est un principe très important.

Si nous parlons de la mise en œuvre des Accords de Minsk, permettez-moi de vous rappeler que les amendements à la Constitution doivent être discutés et convenus avec la région du Donbass, pour commencer, et ensuite, que la loi sur les élections du gouvernement local doivent aussi être définies avec la région du Donbass. Troisièmement, une loi d’amnistie est censée être adoptée, mais cela n’a pas eu lieu, et une loi sur le statut spécial de ces régions est censée entrer en vigueur. Cette loi a été adoptée, mais son entrée en vigueur a été reportée. Ce sont là quatre conditions de base pour un règlement politique que nos collègues de Kiev n’ont pas mis en œuvre, malheureusement. Elles ne sont tout simplement pas appliquées.

Quant aux événements tragiques qui ont eu lieu, je pense que ce n’est pas lié aux amendements à la Constitution, parce que tout ce qui est proposé aujourd’hui comme amendement est de nature purement déclarative et ne change fondamentalement rien à la manière dont le pouvoir d’État en Ukraine est organisé.

Je n’entrerai pas dans les détails maintenant. Vous pouvez parler avec les spécialistes. Tout cela est assez clair pour voir ce qu’il en est. Simplement, ce que nous voyons aujourd’hui est le prochain round de la confrontation politique en Ukraine, et les amendements à la Constitution sont uniquement utilisés comme prétexte pour intensifier la lutte politique pour le pouvoir.

Question : Que pensez-vous qu’il va se passer à partir de là?

Vladimir Poutine : Cela ne dépendra pas de nous mais de l’Ukraine elle-même, du peuple ukrainien et du temps pendant lequel ils sont encore prêts à endurer ce chaos.

J’ai déjà dit que le fait que l’Ukraine a été placée sous une gouvernance extérieure et que des étrangers tiennent tous les postes clés dans le gouvernement, et maintenant dans les régions clés aussi, est, à mon avis, une insulte au peuple ukrainien.

N’y a-t-il réellement pas de dirigeants décents, honnêtes et compétents en Ukraine? Bien sûr qu’il y en a. Je répète : cela ne dépend pas de nous. La manière dont les événements évoluent en Ukraine dépend de l’Ukraine elle-même et du peuple ukrainien.

Question : Ces derniers jours, la crise des réfugiés a atteint un stade critique en Europe. La situation est très tendue. Quelle est votre évaluation de cette situation, pourquoi pensez-vous que cela arrive? Que pensez-vous qu’il va se passer ensuite?

Vladimir Poutine : Nous en avons parlé en de nombreuses occasions il y a longtemps. Je crois que cette crise était totalement prévisible. Si vous vous souvenez, ou si vous recherchez dans vos archives, nous en Russie, et votre serviteur en particulier, avons dit il y a quelques années que nous nous trouverons dans des problèmes à large échelle si nos soi-disant partenaires occidentaux poursuivent leur politique étrangère malencontreuse, comme je l’ai toujours répété, en particulier dans les régions musulmanes, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord – la politique qu’ils mènent encore actuellement.

Quelle est cette politique? Celle d’imposer leurs normes sans prendre en considération l’histoire, la religion, la culture ou les caractéristiques nationales de ces régions. C’est, d’abord, la politique menée par nos partenaires américains ; l’Europe suit aveuglément leur exemple, respectant ses engagements avec ses prétendus alliés, puis en paie le prix.

Je suis surpris de voir certains médias américains critiquer l’Europe pour son attitude excessivement dure, comme ils disent, à l’égard des migrants. Mais les États-Unis ne doivent pas faire face à un tel flux de migrants, tandis que l’Europe, après avoir suivi si aveuglément les instructions de l’Amérique, porte maintenant le fardeau de la crise.

Je ne dis pas cela pour dire combien nous sommes intelligents et combien myopes se sont révélés nos partenaires, ni pour provoquer personne ; nous devons simplement voir quoi faire ensuite. Qu’est-ce c’est? La réponse est très simple.

Tout d’abord, ensemble, et je voudrais souligner ce mot, ensemble, nous devons combattre le terrorisme et l’extrémisme en tout genre, et prioritairement dans les pays à problèmes, pour résoudre cette question – sans cela tout futur progrès est impossible. Comment pouvons-nous faire un quelconque progrès dans des régions contrôlées par État islamique? C’est impossible, les gens fuient ces régions, ils tuent des centaines de milliers de gens, font exploser des monuments culturels, brûlent des gens vifs ou les noient, coupent les têtes de personnes vivantes. Comment quelqu’un peut-il vivre là? Évidemment, les gens s’enfuient.

Premièrement, nous devons lutter efficacement contre le terrorisme et l’extrémisme ensemble.

Deuxièmement, nous devons rétablir l’économie de ces pays et leurs sphères sociales. C’est seulement en manifestant du respect pour l’histoire, les traditions et la religion de ces peuples et de ces pays que nous pourrons rétablir leur souveraineté et leur fournir un soutien économique et politique à large échelle.

Si nous unissons nos efforts dans toutes ces régions, nous aurons des résultats positifs. Si nous agissons séparément et continuons à discuter entre nous sur certains principes et procédures quasi-démocratiques dans certains territoires, cela va nous jeter dans une impasse plus grande. Je place cependant mes espoirs dans un développement positif et dans des efforts conjugués avec tous nos partenaires.

Question : Monsieur le Président, j’aimerais clarifier quelque chose à propos d’État islamique, parce que la Russie a parlé de la nécessité de créer une coalition politique, et les États-Unis ont exhorté à la même chose. Il n’y a pas d’accord sur la Syrie, par exemple, et ainsi de suite. Comment voyez-vous la création d’une telle coalition?

Vladimir Poutine : Nous prenons des mesures précises, et nous le faisons publiquement. Si vous voulez connaître les détails, je peux expliquer encore une fois. C’est vrai que nous voulons créer une coalition internationale pour combattre le terrorisme et l’extrémisme. Avec cet objectif en vue, nous tenons des consultations avec nos partenaires américains, j’en ai discuté personnellement au téléphone avec le président des États-Unis, M. Obama, et j’ai aussi discuté avec le président de la Turquie, les dirigeants d’Arabie saoudite, avec le roi de Jordanie, le président égyptien et d’autres partenaires. Nos agences militaires sont en contact étroit, et tout récemment les chefs des états-majors des pays voisins de ces conflits se sont rencontrés à Moscou.

Nous poursuivons nos efforts politiques afin de créer une certaine coalition. S’il est impossible aujourd’hui d’organiser le travail en commun directement sur le champ de bataille, pour ainsi dire, incluant tous les pays intéressés à combattre le terrorisme, nous parviendrons au moins à une certaine coordination entre eux. Nos premiers pas montre que cela semble généralement possible.

Nous savons qu’il y a des positions différentes sur les développements en Syrie. Incidemment, les gens ne fuient pas le régime de Bachar al-Assad – ils fuient État islamique, qui a occupé de vastes territoires en Syrie et en Irak, où il commet des atrocités. C’est ce que les gens fuient. Nous comprenons toutefois qu’un changement politique est aussi nécessaire. Nous travaillons aussi avec nos partenaires en Syrie.

Il y a une compréhension globale que de tels efforts communs pour lutter contre le terrorisme doivent aller de pair avec certains processus politiques en Syrie. Le président syrien est aussi d’accord avec ça, y compris, par exemple, organiser des élections parlementaires anticipées et établir des liens avec ce qu’on appelle l’opposition saine et l’impliquer dans la gestion du pays. C’est principalement une question de développement interne de la Syrie. Nous n’imposons rien, mais nous sommes prêts à aider dans un dialogue interne à la Syrie.

Question : Monsieur le Président, seulement pour clarifier les choses : la Russie est-elle prête à participer à une opération militaire si la coalition prend forme? En particulier puisque nous avons une certaine responsabilité morale – il y a des Russes dans la région occupée par État islamique. Certains médias disent déjà que notre aviation est déployée dans la région.

Vladimir Poutine : Vous savez, c’est une question distincte et nous verrons ce qui se passe. Disons, l’aviation américaine lance certaines attaques. Jusqu’ici, son efficacité n’a pas été très élevée, mais il est trop tôt pour dire ce que nous sommes prêts à faire. Nous fournissons cependant de toute façon un soutien significatif à la Syrie, en équipements et armements et en formation du personnel.

Nous avons signé des contrats importants avec la Syrie il y a 5 ou 7 ans, et nous nous y conformons totalement. Par conséquent, nous considérons divers scénarios, mais pour le moment, ce dont vous avez parlé n’est pas à l’ordre du jour. Toutefois, nous poursuivrons nos consultations avec nos amis en Syrie et avec les pays de la région. Je vous ai déjà dit que nous échangeons avec eux sur cette question et avec les parties avec lesquelles nous dialoguons.

Merci beaucoup.

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker francophone

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