Le dernier cessez-le-feu en Ukraine : ni guerre, ni paix


L’annonce d’un cessez-le-feu n’indique pas la fin du conflit ukrainien mais un gouvernement faible, incapable et peu désireux de faire la paix, et également incapable d’attaquer en raison de la faiblesse de son armée et de l’opposition de ses soutiens occidentaux.


Alexander Mercouris

Alexander Mercouris

Par Alexander Mercouris – Le 7 septembre 2015 – Source Russia Insider

Depuis l’annonce d’un cessez-le-feu à partir du 1er septembre 2015, l’Ukraine a joui de sa première période de paix (relative) depuis le lancement de ce que le gouvernement ukrainien a appelé une opération anti-terroriste en avril 2014.

Pour la première fois, des reportages parlent d’un réel arrêt des bombardements sur Donetsk.

Les troupes ukrainiennes, piégées au milieu, immobiles

En de précédentes occasion, lorsque des cessez-le-feu avaient été annoncés, les combats avaient diminué, cependant sans jamais cesser totalement, tandis que le bombardement de Donetsk s’est poursuivi sans interruption.

Cette fois, bien que quelques combats sporadiques aient sans doute encore lieu, le cessez-le-feu semble être réellement respecté.

Ce cessez-le-feu est à l’opposé de ce qu’attendaient la plupart des gens – moi y compris – à savoir que le gouvernement ukrainien lancerait une offensive pendant l’été.

Pourquoi avons-nous un cessez-le-feu au lieu d’une offensive?

La réponse courte est que les puissances occidentales – ou du moins l’Allemagne – ont prévenu l’Ukraine contre le lancement d’une offensive. L’événement clé a été la rencontre récente entre Merkel et Porochenko (avec Hollande en participant symbolique) à Berlin.

Avant cette rencontre, les Ukrainiens avaient rassemblé une grande armée de 90 000 hommes sur le front, avec Porochenko tenant des discours belliqueux qui semblaient menacer d’une nouvelle offensive.

Une série d’affrontements armés pendant l’été ressemblait à des essais d’attaques, où les Ukrainiens testaient les défenses de la milice pour préparer une offensive qui paraissait imminente.

Il y a aussi eu des rapports, que l’OSCE a apparemment confirmés, selon lesquels les Ukrainiens, en violation des termes des accords de Minsk de février, ramenaient leur équipement lourd sur la ligne de front.

En fait, toutes ces attaques tests ont été repoussées, et lorsque Merkel a rencontré Porochenko, elle semble l’avoir mis en garde contre le lancement d’une offensive, lui disant qu’il devrait plutôt respecter les termes de l’accord de Minsk de février.

Le résultat a été un renversement total de la politique ukrainienne, avec l’instauration d’un cessez-le-feu et Porochenko parlant de nouveau de l’importance de mettre en œuvre les accords de Minsk.

Pourquoi Merkel, qui s’est montrée constamment réticente à freiner les Ukrainiens par le passé, a-t-elle agi de cette manière?

La réponse probable est que ses agents de renseignement l’ont mise en garde pour le cas où une nouvelle offensive ukrainienne subirait une défaite, et que les Russes l’ont avertie que dans ce cas, au lieu de poursuivre les négociations avec l’actuel gouvernement ukrainien, ils demanderaient sa destitution.

La formation, à Moscou, de ce qui ressemble à un gouvernement ukrainien en exil est une affirmation claire des intentions de la Russie si la guerre reprend, et en tant que telle, elle vise à renforcer la position de la Russie dans les négociations diplomatiques et à servir d’avertissement aux Ukrainiens et à l’Occident.

Merkel ne veut pas être mise dans une position où elle serait directement confrontée à une demande russe de destitution du gouvernement ukrainien après que celui-ci a été vaincu dans la bataille parce qu’il a choisi de lancer une offensive militaire alors qu’il aurait dû respecter les accords de Minsk.

Elle sait sans nul doute que la situation politique et économique de l’Ukraine est maintenant si précaire que le gouvernement ukrainien ne survivrait pas à une nouvelle défaite, auquel cas il serait impossible de résister à la demande russe de son remplacement – surtout si l’extrême-droite ukrainienne tente d’en prendre le contrôle.

Les émeutes de la semaine dernière devant le Parlement ukrainien montrent à quel point la situation politique est précaire actuellement, avec le gouvernement confronté à une vive opposition dans et hors du Parlement, tandis qu’il est visiblement incapable de maintenir l’ordre ou de négocier fermement avec les groupes d’extrême-droite qui le contestent.

Mais les émeutes montrent aussi que malgré le cessez-le-feu le conflit en Ukraine n’est pas terminé.

À défaut de servir à autre chose, les émeutes montrent combien l’opposition est forte à Kiev même contre les très petits pas (effectivement bidon) qu’effectue le gouvernement ukrainien dans le sens de la décentralisation. Il s’avère que même le simulacre de mise en œuvre des accords de Minsk est trop pour l’extrême-droite ukrainienne.

Plus inquiétant encore est le refus– ou l’incapacité – du gouvernement à retirer son armée, forte de 90 000 hommes, de la ligne de front.

Le dramaturge russe Anton Tchékov a dit un jour qu’un pistolet chargé au premier acte d’une pièce de théâtre doit être utilisé avant la fin de la pièce.

L’armée de 90 000 hommes est le pistolet chargé de l’Ukraine. Une armée de cette taille ne peut pas rester indéfiniment inactive sur le terrain.

Elle doit être utilisée ou elle se désintégrera à un moment donné, avec un nombre toujours plus grand de soldats qui désertent, et ceux qui restent qui deviennent de plus en plus furieux et mécontents.

Il y a déjà des signes de démoralisation et d’indiscipline. L’annonce du cessez-le-feu sans démobilisation concomitante ne peut qu’avoir aggravé les choses.

Mais le gouvernement ukrainien ne peut pas se résoudre à retirer ou à démobiliser son armée. Le faire serait admettre que la guerre – et donc le Donbass – est perdue. Les émeutes de la semaine dernière à Kiev montrent à quel point ce serait dangereux. La simple existence de cette armée est par conséquent un facteur poussant l’Ukraine à la guerre, avec les autorités de Kiev sous pression pour l’utiliser avant qu’elle devienne inutilisable.

Le conflit en Ukraine n’est pas gelé. L’Ukraine est plutôt dans les limbes, en suspens, prise entre la guerre et la paix, incapable d’avancer ou de reculer, avec une économie en chute libre et un système politique qui devient de plus en plus faible et discrédité, de telle sorte qu’elle ne peut même pas relever ce qui devrait être des défis mineurs, des groupes violents et impopulaires comme le Secteur droit.

La tragédie est qu’il semble n’y avoir aucune porte de sortie – en bref un effondrement total – puisque toutes les voies évidentes sont fermées.

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker francophone

   Envoyer l'article en PDF