Ignorant les cruelles leçons de la guerre en Irak, Trump lance une attaque contre la Syrie


 

Par Robert Bridge – Le 10 avril 2017 – Source Chronique de Palestine

Attaque de la résistance irakienne contre l’occupant américain. Photo: Archive.

Donald Trump s’était engagé à adopter une approche différente de sa concurrente, Hillary Clinton, sur la Syrie. Pourtant, suite à une attaque chimique dans une ville syrienne, le commandant en chef des États-Unis n’a pas attendu qu’une enquête soit diligentée et a décidé de bombarder les forces armées syriennes.

Vendredi, le monde s’est réveillé au son fracassant de la nouvelle que les États-Unis avaient lancé une attaque de missiles de croisière sur une base de l’armée syrienne à Homs, attaque qui a tué au moins cinq soldats syriens. Ce qui rend cette nouvelle si troublante, c’est que Washington a, une fois de plus, ignoré le Congrès et s’est proclamé juge, jury et exécuteur des hautes œuvres dans une crise internationale. Le fait de l’Empereur.

De plus, dans un incident où  les responsabilités ne sont pas établies, l’administration Trump a accordé le bénéfice du doute aux individus dont on sait qu’ils sont affiliés à al-Qaïda et à État islamique. Peut-être que Trump devrait envisager d’écrire un nouveau livre et de l’appeler « L’Art du chaos impérial » ?

Un Empire a-t-il besoin de preuves?

Avant même le début d’une enquête sur l’attaque chimique de mardi dans la province d’Idlib, Nikki Haley, l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, a fait quelque chose de vraiment remarquable. Elle a montré des photographies des enfants syriens tués lors de l’attaque chimique, et elle a dit – sans apporter de preuve à ses affirmations – qui en était responsable.

« Regardez ces photos, a demandé Haley aux personnes présentes. Nous ne pouvons pas ignorer ces images. Nous ne pouvons pas refuser de prendre nos responsabilités. Nous ne savons pas encore tout sur l’attaque d’hier. Mais il y a beaucoup de choses que nous savons déjà.

Nous savons que l’attaque d’hier présente toutes les caractéristiques d’une utilisation d’armes chimiques par le régime d’Assad. Nous savons qu’Assad a déjà utilisé de telles armes contre le peuple syrien auparavant […] Nous savons que l’attaque d’hier montre que le régime d’Assad s’enfonce de plus en plus dans la barbarie ».

Si Haley était procureur et qu’elle présentait ce genre de preuve basée uniquement sur l’émotion dans une Cour de justice, on se moquerait d’elle.

De plus, comme on parle ici de rebelles liés au terrorisme qui ont la réputation de couper des têtes et de détruire des œuvres d’art inestimables juste pour le plaisir, cela défie l’entendement que l’administration Trump exclue ces fous furieux de la liste des suspects et accuse Assad. À moins, bien sûr, qu’elle ne veuille que le monde croie sur parole qu’Assad est coupable et qu’il renonce à se poser des questions.

Washington ne s’est pas contenté de ces accusations insultantes portées sur la foi de simples ouï-dire, il a bombardé le principal aéroport de l’armée syrienne à Homs, apportant une aide précieuse aux terroristes. Mais n’espérez pas que qui que ce soit, et encore moins les médias dominants, souligne ces incohérences flagrantes. Nous avons déjà descendu cette pente  dangereuse et le scénario nous est familier, mais cela ne le rend pas moins inquiétant.

Quelqu’un a-t-il un sentiment de déjà vu?

L’intervention de Haley rappelait étrangement celle de l’ex-secrétaire d’État américain, Colin Powell, pour promouvoir une action militaire contre Saddam Hussein, il y a presque 15 ans.

Le 5 février 2003, Colin Powell a adressé un plaidoyer passionné en faveur d’une opération militaire contre l’Irak, accusé – à tort, évidemment – par l’administration Bush d’abriter sur son sol des armes de destruction massive. Tout le monde se souvient de Powell brandissant un faux flacon d’anthrax devant l’Assemblée, et invitant ses auditeurs à imaginer ce qui se passerait si Hussein déclenchait une pareille épidémie en Occident.

Tout comme Nikki Haley, Powell a fait jouer l’émotion et encore l’émotion – la sauce nécessaire à tout discours porteur –, mais on ne devrait jamais accepter que l’émotion prenne le pas sur les preuves matérielles.

Au même moment, de l’autre côté de la mare, Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique dont l’héritage politique a été réduit à néant pour n’avoir jamais cessé d’être le « caniche de Bush », soutenait activement les conclusions d’un dossier de renseignement « amélioré »,  qui accusait Hussein d’avoir des ogives chimiques, biologiques ou nucléaires.

« Nous devons veiller à ce qu’il [Saddam] ne parvienne pas à utiliser les armes qu’il a déjà, ni à se procurer les armes qu’il veut », a déclaré Blair à ses compatriotes.

Au même moment encore, Hans Blix et son équipe d’inspecteurs des armes de l’ONU étaient sur le terrain en Irak et ne trouvaient absolument aucun élément de nature à soutenir les descriptions apocalyptiques de Londres et de Washington. Trump s’est montré un peu plus intelligent qu’eux dans l’affaire. Il n’a pas donné aux inspecteurs de l’ONU la moindre chance d’examiner la scène du crime avant de déclencher la foudre du ciel, comme le puissant Thor.

En fin de compte, en dépit de l’opposition féroce des gouvernements russe, français et allemand, ainsi que de certains des plus grands mouvements de protestation des derniers temps, Washington a obtenu sa guerre et le peuple irakien a vécu l’enfer sans aucune raison valable.

Colin Powell, de son côté a exprimé ses regrets pour sa communication devant l’ONU, dans une interview, en disant que cela « entacherait pour toujours sa réputation ».

On procède à une avance rapide de 15 ans, et on s’aperçoit qu’il y a toujours autant de monde prêt à se laisser convaincre par des paroles théâtrales plutôt que par des preuves solides. Certes, seuls des gens totalement insensibles pourraient regarder des photographies d’enfants assassinés sans ressentir une émotion et un chagrin profonds. Mais des photographies ne suffisent pas à démontrer la responsabilité, et je pense que Nikki Haley et l’administration Trump en sont pleinement conscients.

Le refus arrogant de Washington – une fois de plus – d’attendre calmement les résultats d’une enquête internationale avant de prendre des mesures, montre qu’ils attachent plus d’importance à la poursuite de leur projet essentiel qu’à la découverte de la vérité. Et ce projet essentiel, malgré les affirmations récentes du contraire, semble être de chasser Bachar al-Assad du pouvoir.

Il faut mentionner un dernier élément – la clé de voûte, en quelque sorte – d’une situation qui explique que de tels crimes de guerre puissent se produire. Ce sont les médias traditionnels occidentaux, qui sont devenus plus bellicistes que n’importe quel porte-parole du Pentagone.

La folie belliciste des médias

Pendant que se préparait la guerre en Irak, le New York Times a publié une série d’articles de Judith Miller, alors une journaliste respectée, lauréate du prix Pulitzer, qui affirmaient que l’Irak était en train d’accumuler un stock inouï d’armes de destruction massive. Ces informations basées sur des « preuves » fournies par un personnage très peu fiable, Ahmad Chalabi, se sont révélées erronées mais seulement après que les États-Unis eurent joyeusement ramené l’Irak à l’âge de pierre à coups de bombardements.

Voilà un échantillon de ce que les journalistes étasuniens sont capables de faire, aujourd’hui, quand leurs dirigeants se lancent sur le sentier de la guerre :

« Le président Donald J. Trump a eu raison de frapper le régime du président syrien Bashar al-Assad pour avoir utilisé une arme de destruction massive, le gaz sarin, contre son propre peuple », écrit Anthony J. Blinken, très satisfait, dans un article d’opinion du New York Times. « M. Trump peut ne pas vouloir être le ‘président du monde entier’, mais quand un tyran viole directement une norme fondamentale de conduite internationale […] le monde compte sur l’Amérique pour faire quelque chose. M. Trump l’a fait, et pour cela il mérite d’être félicité. »

Je trouve incroyable que le premier article positif sur Trump que je lis dans les médias depuis qu’il a été élu président nous arrive après une aventure militaire extrêmement mal avisée, basée sur zéro preuve.

Mais le New York Times n’est certainement pas le seul média à mettre tout son poids dans le camp de la guerre.

Aujourd’hui, après des années de mea culpa sur ses errements passés, tout l’appareil médiatique occidental, extrêmement content de lui-même, encourage les escapades militaires, cravachant les leaders comme des chevaux de course, ce qui est évidemment le contraire de ce qu’il est censé faire au départ. Cette tendance dangereuse remonte à l’époque de l’administration Bush, et désormais, les médias semblent œuvrer main dans la main avec l’armée et le gouvernement.

En 2014, Dan Froomkin, de l’Intercept, a donné un bon aperçu de la façon dont les médias poussaient Barack Obama à l’action militaire. « Les experts et les journalistes semblent rivaliser de mépris envers le président Obama […] passant au crible avec délectation les paroles d’Obama pour y déceler la moindre faiblesse et réclamant essentiellement une attaque militaire majeure – tout en se gardant bien de poser la question délicate de l’utilité qu’une telle attaque pourrait bien avoir. » « Dans une nation qui se considère comme pacifique et civilisée, on ne devrait pas décider d’une action militaire quand les arguments en sa faveur ne sont pas infiniment plus solides que le contraire, a déclaré à juste titre Froomkin. Les arguments en faveur de la guerre doivent pouvoir résister à une remise en cause sans concession. »

Il est de plus en plus évident que la tragédie de la politique américaine c’est que cette course insensée vers la guerre n’est plus contrôlée par le peuple ni remise en question par les médias, mais quel est l’effet d’une décision – unilatérale – du président qui ressemble plus à un César romain qu’à un fonctionnaire démocratiquement élu ?

Il faut mettre fin à ces jeux de guerre américains présidés par les médias de propagande et très mal connus d’un public marginalisé et mal informé, avant que la guerre ne déferle sur le monde entier avec son cortège d’horreur et sans qu’on puisse rien y faire.

Robert Bridge, est un écrivain et un journaliste américain basé à Moscou, en Russie. Il est l’auteur du livre Midnight in the American Empire, sur le pouvoir de l’entreprise, publié en 2013.

L’article original est paru dans RT

Traduction : Dominique Muselet

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