George Friedman : l’UE est de moins en moins fiable et prévisible


Les États-Unis et l’UE sont partenaires – et pourtant, les États-Unis ne peuvent plus voir l’Otan comme l’élément de liaison avec l’Europe, explique George Friedmann dans une interview exclusive avec EurActiv

Préambule

Nous vous présentons ici, pour ses vertus pédagogiques indiscutables, et malgré les libertés prises avec la vérité historique, un condensé de la perversité de la "pensée" d'un néocon US raffiné - au sens US du mot c'est à dire imprégné d'une inculture suffisamment satisfaite et arrogante pour s'afficher en ignorant les actions criminelles de la CIA partout dans le monde et aujourd'hui encore en Europe, au sein du réseau Gladio de l'Otan. Cet caricature d'expert en géopolitique, éminemment respecté par ses pairs, est un exemple parfait du zombie-système, engoncé dans son inculpabilité béate, qu'affectionne tellement Philippe Grasset sur son site dedefensa.org

Non content d'avoir mis, depuis deux siècles, et plus activement depuis soixante dix ans, la planète à feu et à sang, allumant partout des incendies qu'il n'a jamais su éteindre, le pompier pyromane, dans l'incarnation des États-Unis d'Amérique, reproche au ROW (Rest of the World, c.a.d pas eux) d'être incapable de remettre de l'ordre chez lui après qu'ils aient, eux, courageusement plié bagage après leurs forfaits. Comme disait le regretté Michel Audiard par la voix du non moins regretté Lino Ventura dans le film "Les tontons flingueurs" : "les cons ça ose tout, c'est à ça qu'on les reconnait".

Le Saker Francophone

George Friedman

Par George Friedman – Le 15 janvier 2016 – Source EurActiv

George Friedman est un politologue américain et auteur. Ancien officier, chef des services secrets, il est le fondateur de Stratfor où il travaillait comme surveillant financier et président du conseil d’administration. Il vient récemment de vendre ses parts dans Stratfor et a créé Geopolitical Futures, un nouveau service d’information mondial.

Friedman s’est entretenu avec le rédacteur en chef de EurActiv, Georgi Gotev.

Georgi Gotev: – Comment voit-on l’Europe, de l’autre côté de l’Atlantique?

George Friedman: – Les États-Unis voient l’Europe avant tout dans le contexte plus grand de l’Eurasie. Il y a donc actuellement une crise qui s’étend du Pacifique jusqu’à l’Atlantique. Les Chinois sont en crise, la Russie est en crise, le Proche-Orient vit une crise particulièrement terrible, et maintenant l’Europe est aussi en crise. Nous voyons une situation où une région peuplée de 5 milliards d’êtres humains change d’une façon que nous ne pouvons anticiper.

Un Américain ne voit en général pas seulement l’Europe, mais plutôt une série de problèmes. En Amérique, il y a beaucoup d’avis différents sur l’Europe. Je crois que l’UE a échoué, mais qu’il n’y a aucune alternative évidente. Cet échec se manifeste clairement dans la question de l’immigration que nous ne voyons vraiment pas comme un problème majeur parce qu’il s’agit ici d’un déplacement de population de moins de 0,5 %. Pourtant, l’Europe ne peut tout simplement pas prendre une décision sur la manière de le traiter.

Ce n’est pas une tâche impossible. On peut décider de ne laisser entrer personne, et ensuite prendre des mesures préventives correspondantes. Ou alors on se décide à intégrer ces gens et à prendre les dispositions nécessaires en conséquence. Le plus grand problème du point de vue américain est que l’Europe n’est pas en mesure de prendre de telles décisions.

C’est une situation difficile, car les États-Unis sont partenaires de l’Europe.
Aussi importante que l’UE, il y a l’Otan, qui est exclue en grande partie du débat. Les tensions entre les États membres de L’UE se reflètent aussi graduellement dans l’Otan. Nous avons, par exemple, une certaine relation avec les Français, une autre avec les Britanniques, puis une relation tout à fait autre avec les Allemands et une complètement différente avec les Polonais. Nous ne pouvons plus voir l’Otan comme l’élément de liaison avec l’Europe.

Ce n’est pas désastreux pour les États-Unis, mais cela nous met devant des défis au Proche-Orient  et complique notre relation avec la Russie. Les Européens nous apparaissent de plus en plus comme infidèles et imprévisibles.

– Vous venez de mentionner la Russie. J’ai lu dans Geopolitical Futures que vous prévoyez un accord dans la crise d’Ukraine au cours de 2016. Pourriez-vous développer un peu cette idée ?

– Je prévois en 2016 une espèce d’accord qui concerne la situation en Ukraine. La raison fondamentale est que ni les États-Unis ni les Russes ne sont disposés à se battre en Ukraine.

Les Russes sont intervenus en Syrie parce qu’ils voulaient faire plaisir aux Américains. Ceux-ci n’arrivaient en effet pas à se débarrasser d’Assad et ne  veulent en fait pas s’en débarrasser. Ainsi, du fait que la Russie le protège, il est impossible à ISIS d’avancer vers Damas.

Partant de ceci, les Russes pensent qu’ils recevront des faveurs et des accords de la part des États-Unis– et ce sera aussi le cas.

Actuellement, les deux côtés préfèrent un conflit gelé. Pour les Russes, l’Ukraine reste cependant une question fondamentale de sécurité nationale, et on ne peut pas l’esquiver.

La Russie a besoin de sa zone-tampon. Elle vient de perdre, au moins provisoirement, tous les États baltes et qui sait ce qui se passera avec la Biélorussie. Mais en Ukraine, ils ont vaincu la Wehrmacht, c’est la raison pour  laquelle ils ne peuvent pas la lâcher. Les Russes sont très occupés à moderniser leur armée et à l’étoffer. Mais ils doivent financer cela avec un pétrole à seulement 30 dollars le baril.

La Russie se trouve en ce moment dans la même situation que l’Union soviétique dans les années 1980, quand les États-Unis lui imposaient un programme de défense massif et que le prix du pétrole s’était effondré.

C’est pourquoi nous considérons ceci comme un moment critique. Car si nous mettons la Russie sous une trop grande pression avant qu’elle ne s’écroule, ou si quelque chose de similaire arrive, elle tentera de se sortir de là d’une façon ou d’une autre.

Nous nous trouvons donc devant une année ou deux de relations plutôt au point mort. Dans deux ans, les Russes seront prêts, à notre avis, à faire valoir leurs exigences en Ukraine.

Et naturellement, nous nous engageons de façon renforcée en Roumanie, en Pologne et dans les pays baltes. C’est pourquoi nous croyons qu’il y aura finalement un accord – bien que non permanent. Mais les choses deviennent de plus en plus dangereuses, au fur et à mesure que le désespoir monte chez les Russes.

– Qu’en est-il de la Turquie ? Elle figure comme aide indispensable dans la crise des réfugiés et pourtant, elle est en même temps un pays soumis à des tensions continuelles. Comment voyez-vous l’avenir de la Turquie ?

– Nous devons toujours garder à l’esprit, quand nous parlons de la Turquie, qu’elle se trouve dans l’œil du cyclone qui fait rage en Eurasie. Cette zone comprend les Balkans, le sud de la Russie (historiquement parlant) et s’étend profondément dans le Proche-Orient. En ce moment, le chaos règne dans toutes ces régions.

Actuellement, la Turquie ne dispose d’aucune relation solide. Ses liens avec la Russie se sont effondrés et la relation avec le Proche-Orient, avec la Syrie et l’Irak, est floue.

Pendant que l’Europe reporte son attention sur sa partie nord, les États balkaniques se transforment en une région qui n’est plus supervisée par personne. C’est une chance pour la Turquie. Et parce que le pays se trouve maintenant devant cette chance historique tellement énorme, il y a naturellement beaucoup de crises intérieures. Quand on se développe, depuis un État isolé avec une petite influence à une grande puissance régionale, une pression immense s’accumule sur le système de politique intérieur. Cette pression se manifeste alors – comme c’est à attendre – dans les tensions entre la laïcité historique de la Turquie et l’islam.

Dans une région où l’islam est la plus grande force dynamique, c’est valable naturellement pour la Turquie, et dans un pays lié si profondément à l’Europe, d’autres courants jouent logiquement aussi un rôle. Atatürk était totalement fasciné par Lénine – non pas parce qu’il était un marxiste, mais en raison de la manière dont il a construit l’État. En effet, il y a clairement ici certaines ressemblances avec le soviétisme.

Ce qui était autrefois le passé en Turquie est devenu maintenant l’avenir : l’islam. Ce qui était le futur est maintenant le passé : l’Europe. La relation avec la Russie est très complexe et difficile. Si la Turquie ne se transformait pas en grande puissance, il n’y aurait pas du tout ces crises. Elles existent parce que le pays change et tente de s’adapter institutionnellement aux nouvelles réalités.

Si on regarde un peu attentivement la carte géographique en observant les crises au Proche-Orient, en Europe et en Russie, on prend conscience qu’un pays y est toujours partie prenante. Je ne vois pas l’immigration européenne comme une crise : l’Europe se trouve plutôt dans une crise de décision. Il n’y a pas du tout une crise d’immigration. Les États-Unis doivent s’occuper continuellement de la question de l’immigration. Il s’agit d’une crise spécifiquement européenne, mais l’Europe doit s’accorder avec la Turquie. Et si les Américains tentent de traiter le Proche-Orient, ils doivent aussi discuter avec la Turquie. C’est aussi valable pour la Russie : si les Russes interviennent en mer Noire et en Syrie, ils doivent s’entendre également avec la Turquie. C’est le facteur décisif.

– Qu’en est-il d’un État kurde possible, qui pourrait éventuellement comprendre des parties du territoire turc ? Actuellement, en outre, la possibilité d’une Chypre unifiée se dessine. Quelle est la probabilité d’un échec de la réunification et d’une intégration du Nord chypriote avec la Turquie ? Et que pensez-vous de l’idée de faire renaître de nouveau l’empire ottoman, thème qui semble si cher au premier ministre Ahmet Davutoglu?

– L’empire ottoman a existé pendant 500 ans. Depuis un peu moins de 100 ans, nous avons la Turquie elle-même. Mais en ce temps-là, il y avait toujours soit les Britanniques soit les Américains, qui définissaient le Proche-Orient et contenaient la Turquie. La Guerre froide avait gelé la situation de la Turquie,  qui n’avait plus aucune marge de manœuvre. Aujourd’hui, donc, il n’y a plus aucune guerre froide rigide. A présent, autour de la Turquie, tout est constamment en mouvement.

Cela signifie que plus aucune frontière n’est intangible. Il n’y a plus l’Irak ni la Syrie. Les autres pays de l’Empire britannique d’autrefois n’existeront bientôt plus. La question de Chypre n’est pas encore fixée, pas plus que la question d’un État du Kurdistan parce que, finalement, la question de l’Irak est encore obscure.

Qu’il y ait un État kurde ou non, tous les Kurdes ne seront pas obligés de vivre au Kurdistan. Une majorité d’Azéris vivent en Iran, non en Azerbaïdjan. L’empire ottoman existait parce que toutes les régions autour de la péninsule d’Anatolie s’enfonçaient dans le chaos et les gens ne pouvaient pas vivre avec cela. Ils ont donc été entraînés dans l’empire ottoman pour gagner la stabilité. Cet empire ne se propageait pas parce qu’il voulait s’imposer aux autres – il s’agissait plutôt d’un mécanisme de défense. La Turquie ne voudrait plus revivre une telle situation. Elle tente désespérément de ne pas y être entraînée, mais c’est finalement exactement ce qui se passera. Deviendra-t-elle de nouveau l’empire ottoman ? Non. Mais géopolitiquement, des structures semblables pourraient naître parce que tout se dissout dans cette région et que les Turcs sont les seuls à tenir le coup.

– Est-ce que l’UE restera un seul pays unitaire ou se transformera-t-elle en association lâche d’États avec peut-être un noyau dur ? Comment voyez-vous l’avenir de l’UE ?

– L’avenir de l’UE est très intéressant, puisqu’elle ne peut maintenant plus prendre aucune décision importante. Elle ne peut pas non plus décider de se dissoudre. Ce qui se passera est exactement ce qui se passe déjà maintenant : l’Europe prend toujours moins de décisions et quand elle en prend, les États européens y prêtent toujours moins d’attention.

Les politiciens viennent récemment de décider que les investisseurs qui prennent des parts dans les banques italiennes sont en réalité des épargnants et que l’on prend un risque si on verse de l’argent à une banque. Ils prennent de telles décisions sans penser aux conséquences. Ce qui se passe est ce que nous pouvons observer actuellement : celui à qui les règles ne conviennent pas, ne les observe tout simplement pas – et il n’y a pas de conséquences.

A Bruxelles, on produit continuellement des règlements et tous les autres continueront tout simplement comme aujourd’hui. On devrait se souvenir qu’il y avait une zone de libre échange (EFTA) européenne dans les années 1950 et 1960. Elle existe toujours aujourd’hui ! Le bureau de l’EFTA se trouve encore en Suisse. Les institutions en Europe sont comme des musées : on peut encore les visiter et elles fonctionnent toujours. Je ne pense pas que l’UE s’écroule dans un proche avenir, mais je suis convaincu qu’elle perd de plus en plus d’influence sur tous les sujets importants.

Ainsi cette règle, qui dit que celui qui verse son argent à une banque est en même temps un investisseur, est le meilleur exemple de la façon dont les décisions irréfléchies sont prises. Un citoyen tout à fait normal prend de l’argent et le verse à la banque pour le mettre en sécurité. Il ne sait pas du tout qu’il est devenu un investisseur. Face aux taux actuels, il est plus raisonnable de mettre son argent sous l’oreiller que de le placer dans une banque européenne.

On apporte son argent à la banque parce que l’on ne veut prendre aucun risque et maintenant, on signifie tout à coup qu’un tel risque existe. Voici donc le système de banques italiennes avec presque 20 % de crédits à risque. N’importe quel Italien un peu raisonnable retirerait son argent de la banque – et plus encore maintenant, puisque on l’a transformé sans sa volonté en investisseur.

De telles décisions bureaucratiques de l’UE créent une situation dans laquelle les décisions ne contribuent pas du tout à la solution du problème. Deuxièmement, les conséquences sont telles que chacun soit s’enfuit soit ignore le sujet. Je ne pense pas que l’Europe va s’effondrer. Je ne vois tout simplement pas la volonté de voter pour la supprimer. Il y a une volonté de l’ignorer.

Un exemple parfait est la découverte supposée qu’apparemment la Pologne et la Hongrie sont des États fascistes. J’ai déjà vu certains États fascistes et il y a de la marge ! Maintenant, l’Allemagne a, dans ces circonstances, mis en avant, parmi plusieurs problèmes, ce qui se passe là-bas. La décision polonaise de changer la composition du comité directeur des médias et des juges : voilà à quoi s’occupent l’UE et Madame Merkel. Que fait la Pologne alors ? Exactement la même chose que la Hongrie avait fait : elle ignore l’UE parce que cela n’a aucune importance.
L’UE continuera ainsi son existence dans l’avenir et s’enfoncera heureusement dans l’insignifiance.

Traduit par Jefke, vérifié par Ludovic, relu par Diane pour le Saker francophone

   Envoyer l'article en PDF   

2 réflexions sur « George Friedman : l’UE est de moins en moins fiable et prévisible »

  1. Ping : Revue de presse internat. | Pearltrees

  2. Ping : George Friedman : l’UE est de moins en moins fiable et prévisible | Réseau International

Les commentaires sont fermés.