Élection américaine : pire qu’en 1860


James Howard Kunstler

James Howard Kunstler

Par James Howard Kunstler– Le 18 janvier 2016 – Source kunstler.com

L’histoire perdue au milieu des chahuts de réfectoires et des concours de fanfaronnades que sont devenus les débats est celle de la destruction tournant au naufrage des deux grands partis eux-mêmes. Je ne vois pas comment les républicains ou les démocrates vont pouvoir sortir vivants de cette chausse-trappe. La saison des primaires est maintenant sur nous avec pour horizon des événements qui aspirent les deux partis sans but dans le trou sans fond des mauvais souvenirs historiques.

Les deux partis ont échoué si fondamentalement à représenter ou même à appréhender les intérêts de la nation qu’ils sont maintenant simplement des obstacles à toute sorte de futurs plausibles, deux machines infernales bloquant la route, luttant entre elles jusqu’à la mort.

Le Parti républicain est peut-être plus proche de l’explosion totale, puisque les militants de base ne vont jamais accepter Donald Trump comme leur candidat légitime, et Trump n’a que du mépris pour ces militants. Si Trump parvient à remporter suffisamment de primaires et à recueillir une grande masse de votes des délégués, la convention de juillet à Cleveland sera le site d’un suicide politique de masse. La direction du parti, y compris les gouverneurs, les membres du Congrès, les sénateurs et leurs copains donateurs trouveront le moyen de priver Trump de son prix. Les soutiens populaires de Trump vont se révolter contre ce mouvement, et l’ensemble du processus de candidature sera renvoyé devant les tribunaux avec, comme résultat, une organisation détruite. La commission électorale fédérale peut alors faire appel à Capitol Hill [le Congrès, NdT] pour reporter l’élection générale. L’autre résultat évident sera une crise constitutionnelle. La légitimité politique est brisée. Entrez donc, général du Pentagone sur votre cheval blanc [référence à un coup d’État militaire ? NdT].

Des événements parallèles pourraient bousculer le côté démocrate. Je m’attends à voir Hillary quitter la course d’une façon ou d’une autre avant avril. Elle est en vitrine comme un produit défectueux qui n’aurait jamais dû passer le contrôle de qualité. Personne ne l’aime vraiment. Personne ne lui fait confiance. Personne, à part Debbie Wasserman Schultz et Huma Abedin, ne croit que c’est à son tour de diriger le pays. Des factions du FBI qui ont lu attentivement ses anciens courriels au Département d’État veulent la voir inculpée pour avoir fait de son bureau une base pour extorquer des fonds pour sa Fondation Clinton. Ces personnes du FBI sont peut-être en train de préparer une autre crise constitutionnelle en forçant le procureur général Loretta Lynch soit à entamer une procédure contre Clinton, soit à démissionner. Les rumeurs sur son état de santé (des complications suite à une commotion subie lors d’une chute) ne vont pas disparaître. Et enfin, bien sûr, le sénateur Bernie Sanders est en position de la concurrencer sérieusement dans les urnes.

Les démocrates pourraient finir par avoir à désigner Bernie par KO technique. Mais ce faisant, ils se mettraient instantanément une pancarte dans le dos avec la marque socialiste, le pire placement de produit imaginable, compte tenu de notre histoire et de notre mythe national. En théorie, le pays pourrait bénéficier d’une dose partielle de socialisme comme un système unique Medicare pour tous, uniquement pour démanteler la clique odieuse de racketteurs que sont devenus les milieux médicaux, mais la méga-bureaucratie à grande échelle a passé sa date de péremption pour faire émerger un monde post-centralisé qui a besoin que ses régions deviennent plus locales et autonomes.

Pour retrouver trace de la dernière fois où les principaux partis politiques se sont désintégrés, il faut remonter aux années 1850. La nation a du passer par une convulsion sanglante avant de se reconstituer. La question purulente de l’esclavage dominait tellement la politique que l’on n’a rien retenu d’autre de la dynamique de la période. Aujourd’hui, la question purulente est la corruption et le racket, mais aucun des candidats n’utilise ces termes précis pour décrire ce qui nous est arrivé, bien que Sanders invective la classe des banquiers avec un certain effet. Trump ne s’en prend à eux que de manière détournée en pestant contre l’«incompétence» de la direction actuelle, mais il s’exprime si mal, sans finir ses phrases et avec des pensées incomplètes, qu’il semble incarner la même incapacité mentale que les gens contre lesquels il vitupère. La corruption et le racket continuent de passer inaperçus et incontestés. Même l’effronterie incroyable de Ted Cruz, qui a omis de déclarer la contribution de Goldman Sachs à sa campagne à la commission électorale fédérale (alors que sa femme travaille comme directeur général dans cette société !), a à peine fait une vaguelette auprès de l’opinion publique la semaine dernière.

L’incertitude politique n’a jamais été aussi dangereusement élevée dans ce pays depuis cette année d’élection de 1860. Même les années du Watergate font pâle figure face à cette scène malsaine d’aujourd’hui parce que, malgré toutes les turpitudes et les faux-fuyants de Richard Nixon à la Maison Blanche, les institutions de la démocratie étaient par ailleurs saines et elles ont étonnamment bien fonctionné. Le comité du Sénat a fermement et systématiquement mis à nu les crimes de Nixon et de ses équipes pendant plus de deux ans d’audiences, le comité judiciaire de la Chambre a digéré efficacement le travail préparatoire à la mise en accusation et, enfin, le vieux Tricky Dick a embarqué sur son hélicoptère pour San Clemente [Résidence de vacances des présidents US, NdT] avec un sourire en lambeaux.

Personne ne sait où ce spectacle de merde de 2016 nous mène. L’incertitude contribue à couler ce qui reste de l’ancienne économie, et on peut facilement discerner un ensemble de rétroactions très dangereux ramper sous la glace…

James Howard Kunstler

Traduit par Hervé, vérifié et relu par Ludovic pour le Saker Francophone

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