Par Gunnar Bjornson – Le 25 avril 2016 – Source katehon.com
La série télévisée américaine Game of Thrones est devenue un phénomène dans le domaine du cinéma et de la télévision. Des millions de personnes dans le monde attendent la sixième saison à venir. La série, qui a commencé en 2011, a rassemblé en seulement 5 ans un public impressionnant. Ses héros sont plus connus du public que de nombreux hommes politiques réels, et elle est devenue la source d’une pluralité de mèmes et une partie intégrante de la culture de la jeune génération du monde entier.
Selon The Guardian, en 2014, elle était devenu à la fois «le plus grand drame» et «la série dont on parle le plus» à la télévision. La série a reçu de nombreux prix et nominations, dont 26 Primetime Emmy Awards et 86 nominations. Son influence sur les esprits et les humeurs des gens à travers le monde est indéniable. Il reste à déterminer quel genre d’impact a ce phénomène. C’est ce que nous allons traiter.
Une chose américaine
Game of Thrones est une adaptation de A Song of Ice and Fire – la série de romans de fantasy de George R. R. Martin. Martin est un Américain typique; un journaliste par l’éducation. Dans sa jeunesse, il a évité la conscription dans l’armée, choisissant de ne pas se battre au Vietnam. Il est fan de bande dessinée concernant les super-héros. Il est significatif que Martin n’a pas reçu une éducation historique ou philologique systématique, tout en étant assez érudit, et cela se reflète dans Game of Thrones. Selon l’auteur, son monde fictif a été inspiré par les Rois maudits de Maurice Druon et devrait ressembler à la période historique européenne du Moyen Âge, mais les héros, leurs motivations, et la structure de leurs relations dans le monde, ont une approche typiquement américaine – une incompréhension totale de ce que l’Europe traditionnelle et le Moyen Âge européen étaient, et quelle est la différence fondamentale entre le Moyen Âge et les nouveaux temps de la modernité.
Deux types de fantasy
En fait, il y a deux tendances dans la littérature généralement attribuée au genre fantastique. La premier peut être qualifiée de britannique. Elle peut être rapportée aux Inklings – J.RR, Tolkien, CS Lewis, Charles Williams, ainsi que leurs prédécesseurs au XIXe siècle – William Morris avec ses romans The Wood Beyond the World et The Well at the World’s End, et le romancier écossais et théologien George MacDonald. Les caractéristiques de cette tendance sont:
- un travail minutieux avec les images historiques et mythologiques,
- une profonde érudition de l’auteur, qui a reçu une éducation classique
- et, surtout, le rejet de l’idéologie de la modernité avec son individualisme ainsi que l’égalitarisme, le progrès, l’industrialisme, la laïcité, et le rejet de la dimension spirituelle de l’homme.
Cette perception de la modernité a été très bien décrit par J.R.R. Tolkien:
I will not walk with your progressive apes, erect and sapient. Before them gapes the dark abyss to which their progress tends – if by God’s mercy progress ever ends, |
Je ne vais pas marcher avec vos appâts progressistes, constructivistes et faussement sages. Avant de sombrer dans l’abîme sombre vers laquelle tend leurs progrès – si par la miséricorde de Dieu le progrès puisse un jour s’arrêter, |
Ces auteurs se rebellent contre le monde moderne et cherchent une alternative dans des formes particulières du passé. Ils idéalisent le Moyen Âge, et se rendent compte qu’il était fondé sur une base fondamentalement différente de la civilisation moderne.
Ce sont les principes de la civilisation européenne de l’homme solaire apollinien : la hiérarchie, la foi, la loyauté, l’honneur, la famille, la primauté de l’éthique et de l’esthétique sur les bénéfices, le théocentrisme et la prédominance de la relation traditionnelle entre l’homme et la femme. Bien sûr, beaucoup d’écarts par rapport à l’idéal peuvent être trouvés dans le Moyen Âge historique, mais les auteurs mentionnés ci-dessus sont les héritiers des auteurs médiévaux, dans leurs efforts pour décrire des héros idéaux et des situations idéales. Comme les gens du Moyen Âge, ils étaient des platoniciens conscients ou instinctifs, donc pour eux l’idéal est réel. Ce qui appartient à l’éternité, ce qui correspond à l’idéal céleste qui Est vraiment, appartient à l’Être et par conséquent à l’éternité, alors que les distorsions terrestres de l’idéal, le péché, et l’apostasie n’hériteront pas de l’éternité. C.S. Lewis le décrit dans La Dernière bataille, lorsque les protagonistes, après leur mort, et le jour du Jugement dernier du monde de Narnia, révèlent que la véritable Angleterre est également située dans ce véritable et céleste monde de l’Être platonicien :
Vous regardez maintenant l’Angleterre au sein de l’Angleterre, la véritable Angleterre tout comme est le véritable Narnia. Et que l’Angleterre profonde, plus bonne à rien, est détruite.
La deuxième tendance est plus dominante dans la fantasy moderne – elle peut être qualifié d’américaine. Ses pionniers étaient Robert Howard, ainsi qu’un certain nombre d’auteurs américains qui ont créé au milieu du XXe siècle beaucoup de littérature de faible qualité, dans le genre épée et sorcellerie. Les caractéristiques de cette approche sont bien décrites dans la personnalité de Howard, ainsi que dans son cycle des romans sur Conan le Barbare : un accent mis sur des échantillons de la culture de masse, la combinaison d’une haute estime de soi avec la médiocrité de l’auteur, et un mélange éclectique d’éléments anciens et modernes. L’objectif de cette littérature est de frapper le lecteur pour stimuler un intérêt commercial. Les auteurs partagent habituellement tous les mythes de la modernité, y compris la croyance dans le progrès et l’industrialisme. La littérature de ce genre n’est pas une forme de rébellion contre le monde moderne, mais une façon de gagner de l’argent. Les auteurs ne recréent pas le parfait Moyen Âge, mais créent un monde fictif dans lequel ils agissent de façon tout à fait moderne, avec des motivations compréhensibles pour tout Américain.
Conan le Barbare est un Américain typique, il n’a presque pas de dimension intérieure ou spirituelle et son caractère est l’incarnation d’un culte titanesque de la force brutale, pas celle d’un Apollinien, cherchant la sagesse divine. Il est ambitieux, luttant pour la domination et presque matérialiste.
En d’autres termes, dans une coquille fabuleuse et fantastique se trouve un personnage qui est tout à fait moderne et qui est un homme américain avec son Titanic d’extrême individualisme, sa rébellion et un rejet de la tradition. Une vague mais noble nostalgie des temps meilleurs est utilisée pour le profit et les affirmations de puissance – l’inviolabilité des principes de la civilisation moderne.
La différence entre les deux types de fantasy est la différence fondamentale entre les civilisations européennes et américaines. La civilisation américaine a été créée, autant que possible, dans un espace vide ; c’est un projet de laboratoire de la modernité, où l’Europe a exporté toutes ses tendances anti-traditionnelles et anti-européennes. Ainsi, l’Amérique ne connaît pas la tradition, et son imitation du sujet se transforme en une parodie.
Comme Julius Evola l’a dit une fois:
L’Amérique […] a créé une «civilisation» qui représente une contradiction exacte de l’ancienne tradition européenne. Elle a introduit la religion de la praxis et la productivité ; elle a rendu la quête du profit, d’une grande production industrielle et de réalisations mécaniques, visibles et a mis les réalisations concrètes en avant de tout autre intérêt. Elle a généré une grandeur sans âme d’un caractère purement technique et collectif, dépourvue de tout arrière-plan de transcendance, de lumière intérieure et de vraie spiritualité ».
Game of Thrones est un exemple typique d’une telle approche américaine – une coquille médiévale avec un contenu moderne typique. Les valeurs révélatrices de la majorité des héros de la saga comprennent la fourberie, la cupidité, la corruption, la trahison, une attitude nihiliste face à la religion, comme si cela était le contenu principal de la valeur de la société, qui en même temps se caractérise par une forte hiérarchie et des tournois de chevaliers. Il s’agit la plupart du temps de décrire la modernité, avec quelques modifications, dans le but d’avaler complètement la pilule amère des valeurs de l’Occident moderne, le tout adouci par l’ajout d’un cadre traditionnel romantique. Après tout, le monde moderne est en train de devenir ennuyeux et insupportable.
La combinaison de talent d’Éros et de Thanatos, le sexe et la mort, rend le spectacle attrayant. Dans les coulisses, les auteurs imposent, par la culture pop, une image délibérément déformée de certaines valeurs du Moyen Age, qui ne sont pas propres au Moyen Âge, mais sont promues dans l’Occident moderne par l’intermédiaire d’un processus que Patrick Buchanan appelle la mort de l’Ouest.
L’idéologie du genre
Game of Thrones est la première série de masse qui joue avec le thème des relations homosexuelles, qui se transforme presque en porno gay dénudé. La série démontre la naturalité d’un tel contact, et, grâce à l’utilisation fréquente de ces images, fausse une perception de l’homosexualité vue comme un péché, un secret et une maladie.
Il est significatif que les personnages homosexuels sont présentés dans une lumière très positive. Le prince homosexuel Renly Baratheon est le candidat le plus digne pour le trône royal, mais il est mort après avoir refusé de faire des compromis. Son amant – Loras Tyrell –, un chevalier sans peur et sans reproche, est aussi une figure extrêmement positive. Oberyn Martell, un bisexuel dont les attributs sexuels sont aussi largement exposés, est un noble bras vengeur. Il n’y a pas de méchants homosexuels.
La série brise aussi le tabou de l’inceste, abordant ouvertement et avec sympathie, la relation incestueuse entre le chevalier Jaime Lannister et sa sœur jumelle Cercei. Plusieurs fois dans le film, ils prononcent des phrases indiquant qu’ils ne peuvent pas choisir qui ils peuvent aimer, l’excuse sentimentale la plus couramment utilisée pour la défense des intérêts des diverses perversions.
À son tour, l’incarnation de l’homophobie pure revient à un garçon tyran, le roi Joffrey Baratheon, un sadique qui est détesté par tout le pays, ainsi que par ses proches. Dans la saison 3, il proclame qu’il fera de l’homosexualité un crime punissable par la mort. Ainsi, les valeurs traditionnelles et la lutte avec le péché commencent à être associées à la tyrannie et à la cruauté.
Il est inutile de dire que la promiscuité est impensable, comme le Moyen Âge historique fait partie intégrante du monde créé par Martin et de l’imagination des créateurs de la série.
Multiculturalisme et migrants illégaux
Le monde de Game of Thrones met l’accent sur le multiculturalisme. Dans Westeros, vous pouvez rencontrer un étranger qui détient une position haute (par exemple l’eunuque Varys). Dans la région d’Essos, qui ressemble à l’ancienne Asie médiévale, la princesse Daenerys Targaryen se bat contre les élites blanches pour la libération des esclaves noirs. Les vies des noirs comptent ! – Les auteurs de la série nous le disent. Dans le cas de l’approbation du multiculturalisme, les créateurs de la série vont courageusement bien au-delà du prototype littéraire. Le Pirate Salladhor Saan, qui est blanc dans les romans, est devenu noir dans la série.
Une autre élément multiculturel concerne l’attention accordée dans la série au thème de la migration. Qui sont les sauvageons ? Des immigrés. Ils vivent derrière un mur – une structure cyclopéenne qui sépare la civilisation de la barbarie, l’incarnation d’un rêve de Donald Trump. Les résidents des sept royaumes de Westeros ne veulent pas accueillir les sauvageons, parce qu’ils se comportent presque comme des hordes de migrants se déversant dans l’Europe moderne : meurtre, viol, vol et volonté de s’implanter dans des pays étrangers. Les soldats de la Garde de Nuit, qui gardent des créatures sauvages et inhumaines, gardent le mur de Westeros aussi contre eux.
Alors, qu’est-ce que nous voyons dans Game of Thrones ? Le caractère positif de Jon Snow, qui fait tout pour permettre aux sauvages de passer derrière le mur, car ils doivent être sauvés du terrible danger inhumain – presque comme Angela Merkel accueillant les réfugiés syriens. De plus, il entreprend une expédition pour transférer une partie des migrants vers Westeros, la prospère (comme le pape François à Lesbos la semaine dernière, qui a peut-être regardé la série avec Angela Merkel ?). Et bien sûr, seuls les xénophobes, qui ne veulent pas voir s’installer des assassins, des voleurs, et des anthropophages à leur côté, ne comprennent pas cela. Voilà pourquoi Jon Snow est malheureusement tué, et son destin (mort ou vivant) est inconnu. Martin pourrait l’avoir voulu ou non, mais dans le contexte de la fantasy, il reproduit ce thème très moderne. Il est interprété comme étant politiquement correct. Comment quelqu’un ayant de l’empathie pour John Snow et les malheureux sauvageons, peut-il plaider pour limiter la migration ?
Pas de Dieu, mais la mort
Sur le thème de la religion, Game of Thrones n’a aucun scrupule. Le culte traditionnel des anciens dieux de Westeros et les Sept est cérémoniel, et les croyants ne sont pas en guerre les uns avec les autres – tolérance très américaine. La série montre que tout va bien aussi longtemps que la religion est une affaire privée. Des problèmes n’arrivent qu’avec des gens qui croient vraiment en leur Dieu. Le culte du dieu du feu et la résurrection de R’hllor est montré fort négativement. Ainsi, les partisans des Frères Moineaux, qui ont véritablement foi dans leurs dieux, fomentent un terrorisme religieux dans la capitale de Westeros, la terre du roi.
Dans le monde de Martin, il n’y a pas d’église organisée, et il n’y a pas de place pour Dieu dans son sens chrétien, et il n’y a pas de place pour le Christ, qui est explicitement ou implicitement présenté dans les œuvres des Anglais Lewis et Tolkien. Les dieux de Martin se manifestent soit par une présence panthéiste (Anciens Dieux), identifiée avec la nature, soit par la force brute – tout est soumis à sa volonté. Ce dernier est l’idée typiquement sémitique et titanesque de la divinité inhérente dans le judaïsme, l’islam, et un peu dans la version calviniste du protestantisme, accablée par le mystère chrétien de l’amour divin et le sacrifice de Dieu pour l’homme.
Dieu en tant que tel, dans Game of Thrones, n’existe pas. Fait intéressant, tous les moments théologiques, dans les livres de Martin, sont retirés dans la série télévisée. Leur philosophie ne peut être mieux exprimée que par une citation du professeur d’escrime d’Arya Stark :
Il n’y a qu’un seul dieu et son nom est mort, et il n’y a qu’une seule chose que nous disons à la mort : pas aujourd’hui.
Cela ressemble aux paroles de l’apôtre Paul :
Si les morts ne ressuscitent pas ? Laissez-nous manger et boire ; car demain nous mourrons.
Dans le monde de Game of Thrones les morts ressuscitent, mais cela ne leur donne aucun bonheur, ni à leurs proches. Après tout, la résurrection chrétienne est aussi une transformation de l’homme, mais Game of Thrones ne permet pas de signifier qu’une personne peut être autre que ce qu’elle est maintenant, ni de changer sa nature d’une manière semblable à Dieu.
Le monde de Game of Thrones est un monde sans Christ ni Dieu, mais plein de magie dans le style New Age. De «Dieu est mort» à «Dieu est la mort».
De nouveaux Âges sombres ?
La caractéristique distinctive de Game of Thrones est son réalisme sous-jacent. Cette représentation est le résultat de la perte de la perception traditionnelle de la politique comme une pratique philosophique et une esthétique dans l’esprit de Platon et d’Aristote.
Bien sûr, de nombreux souverains médiévaux n’étaient pas des philosophes en couronne comme Justinien, Frédéric II, ou Alfred le Grand, mais cette compréhension de la politique était propre au haut Moyen Âge et à l’Antiquité, et diffère de la modernité, où l’approche machiavélique remplace l’approche classique. La politique dans Game of Thrones n’est pas classiciste, mais machiavélique. Elle est cynique et basée sur le principe de l’intérêt personnel.
La dimension politique de Game of Thrones est très spécifique. D’une part, les auteurs de la série se montrent fortement égalitaires, avec des tendances anti-autoritaires associées principalement avec la ligne de Daeyneris Targaryen, l’une des héroïnes les plus populaires de la série. Elle réclame à juste titre le Trône de Fer de Westeros, en tant que représentante d’une dynastie légitime évincée par des usurpateurs. Mais elle déclare qu’elle ne sera pas un autre rayon sur la roue de Game of Thrones, mais qu’elle «brisera la roue». Cela signifie qu’elle est prête à briser l’ancien ordre hiérarchique et à le remplacer par un autre, plus égalitaire.
D’autre part, dans la série, il y a des déclarations liées au thème de l’honneur, l’ordre, la loyauté, mais elles concernent peu des entités que l’on pourrait associer à des pays (à l’exception du thème important de la garde de nuit), mais plutôt à des familles spécifiques.
La conscience de masse est habituée à l’image du monde, où les familles des clans oligarchiques contrôlent tout, comme dans Game of Thrones, où le statut de la famille est déterminée par SA richesse; ceci est aussi un trait du monde moderne et globaliste. C’est une version effrayante postmoderne d’un nouveau Moyen Âge, qui prophétiquement a été promis même par Berdiaev : la chute du concept de l’État-nation, les armées privées, la confrontation entre les maisons Rothschild et Rockefeller et d’autres maîtres du monde. C’est un monde de guerres permanentes et de conflits.
Un monde où le seul pouvoir est le pouvoir de l’argent et de la force brute, et non de l’autorité spirituelle ; un monde sans Dieu, mais sans rationalité, avec beaucoup de sectes, de nouvelles religions, de croyances dans la magie et l’occultisme ; un monde dominé par la sexualité extatique, dans le but de briser tous les tabous possibles ; un monde où les différences entre l’homme et la bête (d’où le thème du loup-garou dans Game of Thrones) sont ténues. Ce n’est pas seulement le monde de Game of Thrones ; c’est notre avenir qui est en train de devenir réel.
Bienvenue dans Game of Thrones !
Gunnar Bjornson
Traduit par Hervé, relu par Diane pour le Saker Francophone
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