Par Finian Cunningham – le 18 mai 2015 – Source : Strategic Culture
Le 12 mai dernier, le Secrétaire d’État américain, M. John Kerry, est venu en Russie déposer une gerbe en mémoire des millions de soldats soviétiques morts pour infliger une défaite historique à l’Allemagne nazie. Et cette semaine s’est terminée par l’arrivée de l’adjointe de M. Kerry, Mme Victoria Nuland, qui a rencontré des officiels russes pour discuter de la mise en œuvre des accords de cessez-le-feu en Ukraine, signés à Minsk.
Mme Nuland conduisait la deuxième délégation américaine de haut rang en Russie en moins de sept jours. Avant que M. Kerry ne s’incline devant le monument aux morts de Sotchi, cela faisait presque deux ans qu’aucun officiel américain de premier plan n’avait mis le pied sur le territoire russe.
On peut dire que «les États-Unis ont été les premiers à baisser les yeux» dans leur face-à-face irréfléchi avec la Russie au sujet de l’Ukraine.
Quel chemin parcouru! Rappelez-vous qu’il y a encore peu de temps, le Président Barack Obama déclarait que la Russie était une menace sur la sécurité mondiale, à l’égal des réseaux État islamique [et du virus Ebola, NdT].
Washington et son porte-voix otanien qualifiaient le Président russe, M. Vladimir Poutine, de nouvel Hitler, après son annexion de la Crimée et sa guerre hybride en Ukraine. Ces derniers mois, le Secrétaire d’ État américain, M. Kerry, n’a jamais perdu une occasion de condamner M. Poutine qui, selon lui «tentait de modifier les frontières de pays indépendants en leur braquant une arme sur la tempe».
Hé bien, tant pis pour les excités d’outre-Atlantique. Très respectueux lors de sa visite à Sotchi, M. Kerry avait tout de l’écolier qui se fait rappeler à l’ordre par ses maîtres, après une série de bêtises. Le ministre russe des Affaires étrangères, M. Sergueï Lavrov, semble lui avoir rappelé que la Russie ne traiterait désormais que d’égal à égal.
Un peu plus tard ce jour-là, M. Poutine a accordé une entrevue de quatre heures à M. Kerry. On a dit qu’une grande partie de l’actualité internationale a été évoquée, en tout premier lieu l’Ukraine. Quatre heures d’entretien! On peut supposer que M. Poutine, fermement mais avec le sourire, a fait la leçon à son visiteur : Washington ferait mieux de renoncer à ses projets de guerre, via sa bande de néo-nazis ukrainiens, et de commencer à se comporter raisonnablement.
M. Poutine peut se permettre de parler comme quelqu’un qui connaît son sujet. Quelques jours avant la visite de M. Kerry, Moscou a organisé le défilé militaire le plus impressionnant depuis des décennies pour célébrer le 70e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie.
Le redressement militaire russe est indiscutable, de même que celui des alliés de la Russie, en premier lieu la Chine. Si les Américains sont suffisamment fous pour imaginer une guerre mondiale, ils sont désormais avertis qu’ils la feront à leurs propres risques.
La visite de M. Kerry est une reconnaissance de ce fait indiscutable : c’est l’Union Soviétique et ses 25 millions de morts qui a vaincu le nazisme – l’une des idéologies les plus meurtrières du siècle passé.
Le flirt de Washington avec les nazillons de Kiev ces dernières années a laissé supposer que l’on allait réécrire l’Histoire et déprécier le rôle essentiel de la Russie dans la défaite du nazisme. Mais au bout du compte toute révision de cette évidence historique est vaine. S’incliner devant le monument aux morts russes, comme M. Kerry l’a fait la semaine dernière, c’est reconnaître cette folie, et la perversité morale qu’il y a à refuser une telle vérité historique.
Ce qui est certain, c’est que dans son face-à-face téméraire avec la Russie, Washington vient de baisser les yeux, et cela s’est confirmé quand M. Kerry s’est ouvertement engagé à mettre en œuvre les accords de cessez-le-feu signés à Minsk. Washington n’avait pas pris part aux négociations qui avaient abouti à cette trêve, signée le 12 février dernier dans la capitale biélorusse par M. Poutine, Mme Merkel et M. Hollande. Du coup les Américains avaient feint d’ignorer ces accords, préférant continuer à accuser, sans fondement, la Russie d’envahir l’Est de l’Ukraine.
Hé bien que voyons-nous ? M. Kerry appelle maintenant à appliquer les accords de Minsk à la lettre ; il reconnaît ainsi implicitement les efforts diplomatiques russes pour rétablir la paix dans ce qui est un conflit interne à l’Ukraine. Oubliées, semble-t-il, les insinuations sournoises des Américains contre la Russie.
Encore plus significatif, c’est depuis la Russie et très officiellement que M. Kerry a conseillé à Kiev de s’abstenir de toute nouvelle violation des accords de Minsk. La veille encore, M. Petro Porochenko avait déclaré que ses forces se préparaient à reprendre l’aéroport de Donetsk – ce qui aurait été pour le moins un très large coup de canif dans ces accords. C’est une claque que M. Kerry a envoyée à M. Porochenko : il a même affirmé que les États-Unis «n’appuieraient pas un tel acte».
De même, la semaine dernière, le Secrétaire général de l’Otan, le Norvégien M. Jens Stoltenberg, a signifié au régime de Kiev qu’il devait mettre en œuvre les accords de Minsk, de concert avec les milices rebelles des Républiques populaires auto-proclamées de Donetsk et de Lougansk. Là encore, c’est un net changement d’attitude au sein de l’alliance Washington-Otan. Jusqu’à ces derniers jours, M. Stoltenberg lisait docilement ses anti-sèches, répétant que la Russie était en train de déstabiliser secrètement l’Ukraine. Désormais le porte-parole de l’Otan se focalise davantage là où il doit le faire : sur l’engagement, de la part du régime de Kiev, à mener des pourparlers directs avec les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.
Mais dans ce recul des Américains face à un obstacle plus fort que prévu, la palme revient à l’adjointe du Département d’ État, Mme Victoria Nuland. Vicky [F*ck the EU !,NdT] est la pom-pom girl des néoconservateurs, chargée des opérations secrètes [secrètes :-))), NdT] de changement de régime. C’est elle qui a supervisé le coup d’État de février 2014 en Ukraine, anticonstitutionnel et soutenu par la CIA. Après quoi, les États-Unis se sont offert un énorme shoot de testostérone. Les néo-nazis de Svoboda et de Pravy Sektor ont été amenés au pouvoir, après avoir chassé le gouvernement démocratiquement élu ; et le nouveau régime soutenu par les États-Unis s’est lancé, à une échelle encore jamais tentée, dans la déstabilisation de la Russie.
Mme Nuland est à Moscou cette semaine pour discuter de manière civilisée de la mise en œuvre des accords de Minsk. Comme le rapporte l’Agence Tass : «Après un passage à Kiev, Mme Nuland a affirmé que Washington voulait s’impliquer davantage dans la mise en place des accords de Minsk, en collaboration avec l’Union européenne et les pays du Format Normandie (Allemagne, France, Russie, Ukraine).»
C’est un retournement spectaculaire de la part de Mme Nuland, célèbre, juste avant le coup d’ État à Kiev, pour son coup de téléphone fuité, qu’elle concluait par : «L’Union Européenne, on la nique !…»
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, M. Sergueï Ryabkov, aurait dit que les États-Unis étaient non seulement intéressés au Format Normandie, mais également au Groupe de contact chargé de superviser le cessez-le-feu.
Alors, qu’est-il en train de se passer ? Il y a à peine trois semaines, les États-Unis ont envoyé plusieurs centaines de parachutistes du 173e régiment aéroporté en Ukraine pour entraîner la Garde nationale du régime de Kiev et d’autres unités.
Il y a probablement toute une série de raisons.
Les sanctions économiques dirigées par les Américains et leur propre version de la guerre hybride dans l’Est ukrainien, menée secrètement avec le régime de Kiev, ont échoué à déstabiliser la Russie, comme c’était prévu. M. Poutine est resté ferme malgré l’énorme vague de propagande déversée par les gouvernements occidentaux et leurs médias serviles. La démonstration militaire de Moscou, calme et résolue lors de la commémoration de la victoire du 9 mai, a montré à Washington, une fois pour toutes, qu’elle se trouvait face à une super-puissance militaire, et non pas un pays de second rang, comme la Libye ou la Syrie, qu’on peut si facilement écraser.
Plus encore, les troupes américaines envoyées pour l’entraînement des escadrons de Kiev ont probablement dû trouver des troupes qui n’étaient plus en état de poursuivre une guerre. Moral bas, équipements dépassés, très faible rendement de la mobilisation ont sans nul doute montré que tout engagement plus sérieux des Américains en Ukraine finirait par les obliger eux-mêmes à tenir les premières lignes, si le conflit débouchait sur une guerre avec la Russie.
Plusieurs reportages sont parus dans les médias américains sur l’armée de pacotille de Kiev, une semaine avant que M. Kerry ne tourne, semble-t-il, la page avec la Russie. Le 6 mai, par exemple, USA Today rapporte : «Des milliers de déserteurs fuient les combats avec les rebelles.» Selon le journal, 39 000 Ukrainiens ont réussi à passer à travers les mailles de la mobilisation – cela représente 16% du total des conscrits prévus.
USA Today cite Konstantin Kovba, un futur homme d’affaires de 23 ans, qui «ne répond jamais à un numéro inconnu sur son téléphone… par peur qu’un recruteur ne l’oblige à se faire incorporer pour aller se battre contre les séparatistes pro-Russes à l’Est». Konstantin avoue au journaliste qui l’interviewe : «Faire mon service militaire est une perte de temps. Je pourrais passer ce temps à apprendre des choses nouvelles.»
Un autre facteur est l’économie. L’économie allemande s’est contractée au cours du premier trimestre 2015 de 0,3%, alors qu’au dernier trimestre 2014, la croissance se traînait à 0,7%. Les économistes attribuent cette inquiétante dégringolade de la locomotive économique de l’Union européenne aux sanctions contre la Russie, qui ont fait s’effondrer les exportations de 18% l’an dernier, une perte estimée à quelques 6,5 milliards d’euros.
Les Américains doivent savoir que ces répercussions économiques négatives vont les atteindre tôt ou tard, tout comme elles vont pousser de plus en plus d’Européens à s’opposer ouvertement aux sanctions anti-russes dictées par Washington. D’autant plus que l’économie russe semble avoir très bien supporté les dommages que les sanctions occidentales auraient dû lui infliger, renforcée par une nouvelle stratégie énergétique, le commerce et les partenariats financiers dévoilés ces derniers mois avec la Chine et d’autres pays en Asie.
Finalement, il y a le comportement, de plus en plus incontrôlable, du régime de Kiev lui-même. Ce régime paraissait être une bonne idée, l’an dernier, à Washington. Mais ces derniers temps, tout a déraillé. Le régime de Kiev subit une récession économique à deux chiffres, pendant qu’il ne cesse de mendier des prêts de plusieurs milliards de dollars à ses soutiens occidentaux.
Les rodomontades de M. Porochenko au sujet d’un assaut sur l’aéroport de Donetsk, de la reconquête de la Crimée et du Donbass rebelle non seulement montrent clairement qui sont les agresseurs dans ce conflit, mais ces propos stupides commencent aussi à poser un sérieux problème de communication, même aux gouvernements occidentaux les mieux disposés.
Pendant ce temps, le Premier ministre ukrainien, M. Arseny Iatseniouk – un fidèle vassal qui mange dans la main de Mme Nuland – a affirmé à un journaliste français, la semaine dernière : «Nous apprécions le soutien de nos amis occidentaux. Mais l’Europe et le monde doivent se souvenir des sacrifices que les Ukrainiens ont consentis pour défendre leur liberté et les valeurs européennes.»
C’est avec cette arrogance insupportable que M. Yatseniuk réclame encore plus d’argent aux Occidentaux, pour le déverser dans ce trou noir qu’est devenue l’Ukraine, pendant que dans son esprit de plus en plus délirant, il justifie cette mendicité en clamant qu’il défend les valeurs de l’Europe face à l’agression russe.
Tout compte fait, il semble que «Washington a finalement retrouvé ses esprits», comme vient de le noter Paul Craig Roberts, journaliste et politologue.
Après avoir fixé la Russie dans les yeux pendant une grande partie de l’année dernière, les Américains au visage impassible se sont finalement aperçus qu’ils avaient de mauvaises cartes en main. Et les Américains ont baissé les yeux.
Traduit par Ludovic, relu par jj pour le Saker Francophone