Étrange erratum du New-York-Times…


…qui disculpe le gouvernement britannique et la CIA d’avoir manipulé Trump dans l’affaire de l’empoisonnement des Skripal par du Novichok 


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 6 juin 2019

Un article du New York Times avait expliqué comment, en mars 2018, Trump avait été manipulé par la CIA et le MI6 pour expulser 60 diplomates russes. Huit semaines après sa publication, le journal corrige ce récit et disculpe la CIA et le MI6 de cette manipulation. L’explication de son revirement n’a pas de logique factuelle.

Le 16 avril, le New York Times publiait un rapport de Julian E. Barnes et Adam Goldman sur la relation entre la directrice de la CIA, Gina Haspal, et le président Donald Trump avec cette manchette : “Gina Haspel fait confiance aux compétences des espions pour se faire écouter de Trump. Il n’écoute pas toujours.”

L’article décrit une scène à la Maison Blanche peu de temps après l’incident controversé Skripal / Novichok en Grande-Bretagne. Il explique (soulignement ajouté) :

Au cours de la discussion, Mme Haspel, alors adjointe au directeur de la C.I.A., s'est tournée vers M.Trump. Elle a exposé les réponses possibles d'une voix calme mais ferme, puis s'est penchée en avant et a dit au président que "l'option forte" consistait à expulser 60 diplomates.

Selon des personnes informées de la conversation, pour persuader M.Trump, des responsables, dont Mme Haspel, auraient également tenté de lui montrer que M. Skripal et sa fille n'étaient pas les seules victimes de l'attaque de la Russie.

Mme Haspel a montré des images que le gouvernement britannique lui avait fournies de jeunes enfants hospitalisés après avoir été rendus malades par l'agent neurotoxique Novichok qui avait empoisonné les Skripals. Elle a ensuite montré une photo de canards qui, selon des responsables britanniques, auraient été tués par inadvertance par suite au travail bâclé des agents russes.

Les 60 diplomates russes ont été expulsés le 26 mars 2018. D’autres pays n’ont expulsé qu’une poignée de diplomates après l’incident. Le 15 avril 2018, le Washington Post a signalé que Trump était furieux à ce sujet :

Le lendemain, lorsque les expulsions ont été annoncées publiquement, Trump a explosé, ont annoncé des responsables. À son grand étonnement, la France et l’Allemagne n’expulsaient que quatre officiels russes, soit beaucoup moins que les 60 décidés par son administration. Le président, qui semblait croire que les autres pays suivraient les États-Unis pour le nombre d'expulsions, était furieux que son administration soit décrite dans les médias comme adoptant de loin la position la plus dure à l'égard de la Russie. ...
De plus en plus en colère, Trump a insisté sur le fait que ses collaborateurs l'avaient induit en erreur sur l'ampleur des expulsions. «Il a employé des termes de malédiction», a déclaré le responsable, "beaucoup de mots de malédiction."

Dans ce contexte, le reportage du New York Times, en 2019, selon lequel Haspel aurait montré à Trump des images de canards morts fournies par les Britanniques était logique. Trump a été, comme il l’a prétendu lui-même, manipulé lors de la grande expulsion.

Le rapport du NYT a fait des vagues. Le 18 avril 2019, le Guardian faisait le gros titre : “Le Novichok n’a pas fait de mal aux enfants ni aux canards, selon des responsables de la santé.”

La clarification du conseil du comté de Wiltshire est venue suite aux affirmations selon lesquelles Donald Trump aurait reçu des images montrant le contraire

Le reportage sur les images de canards morts dans le New York Times était un problème pour la CIA et le gouvernement britannique. Non seulement il est dit qu’ils ont manipulé Trump en lui fournissant de fausses images, mais les canards non morts ont également démontré que le récit officiel de la soi-disant intoxication des Skripals comporte d’énormes lacunes. Comme l’a noté Rob Slane de BlogMire :

En plus de la nature extraordinaire de cette révélation, il y a aussi une énorme ironie là-dedans. Comme beaucoup d'autres, j'ai longtemps pensé que l'alimentation des canards était l'un des nombreux talons d'achille de toute l'histoire qui nous a été racontée à propos de ce qui s'est passé à Salisbury le 4 mars 2018. Et la raison de l'ironie est justement que c'était vrai, il  aurait en effet dû y avoir des canards morts et des enfants malades.

Selon le récit officiel, M. Skripal et sa fille ont été contaminés par le «Novichok» en touchant la poignée de sa porte d'entrée entre 13h00 et 13h30 cet après-midi. Quelques minutes plus tard (13h45), ils ont été filmés par une caméra de vidéosurveillance nourrissant des canards et remettant du pain à trois garçons de la région, dont l'un a mangé un morceau. Après cela, ils se sont rendus au restaurant italien Zizzis, où ils ont apparemment tellement contaminé la table à laquelle ils étaient assis que celle-ci a dû être incinérée.

Tu vois le problème ? Selon l'histoire officielle, les canards auraient dû mourir. Selon l'histoire officielle, les enfants auraient dû être contaminés et se retrouver à l'hôpital. Pourtant, aucun canard n’est mort et aucun garçon n’est tombé malade (les parents ont été contactés deux semaines plus tard par la police, les garçons ont été envoyés pour des tests et l’on leur a donné le feu vert).

Après la publication de l’histoire du NYT, la CIA et le gouvernement britannique ont dû supprimer le récit problématique du dossier. Hier, ils ont finalement réussi. Près de huit semaines après la publication initiale de la scène de la Maison-Blanche, le NYT s’est rétracté et a publié une correction (soulignement ajouté) :

Correction : 5 juin 2019

Une version antérieure de cet article décrivait de manière incorrecte les photos que Gina Haspel avait montrées au président Trump lors d'une discussion sur la réponse à donner à l'attaque par l'agent neurotoxique en Grande-Bretagne contre un ancien agent de renseignement russe. Mme Haspel a montré des images illustrant les conséquences d'attaques d'agents neurotoxiques, et non des images spécifiques à l'attaque chimique en Grande-Bretagne. Cette correction a été retardée à cause du temps nécessaire à la recherche.

Les paragraphes originaux cités ci-dessus ont été remplacés par ceci :

Au cours de la discussion, Mme Haspel, alors adjointe du directeur de la C.I.A., s'est tournée vers M. Trump. Elle a exposé les réponses possibles d'une voix calme mais ferme, puis s'est penchée en avant et a dit au président que "l'option forte" consistait à expulser 60 diplomates.

Selon des personnes informées de la conversation, des responsables, tels que Mme Haspel, auraient tenté de convaincre M. Trump des dangers liés à l'utilisation d'un agent neurotoxique, tel que le Novichok, dans une zone peuplée. Mme Haspel a montré des images sur les effets d'attaques par d'autres agents neurotoxiques.

Le gouvernement britannique avait informé les autorités de l’administration Trump au sujet des premiers renseignements selon lesquels des enfants seraient malades et des canards auraient été tués par inadvertance suite au travail bâclé des agents russes.

Les informations étaient basées sur les premières informations et les responsables de l'administration Trump avaient demandé plus de détails sur les enfants et les canards, a déclaré une personne familière avec les services de renseignements, bien que Mme Haspel n'ait pas présenté ces informations au président. Après la publication de cet article, les responsables locaux de la santé en Grande-Bretagne ont déclaré qu'aucun enfant n'avait été blessé.

Ainsi, au lieu de photos de canards morts à Salisbury, le directeur de la CIA a montré des photos de quelques canards morts au hasard ou d’enfants hospitalisés ou de tout autre élément illustrant les conséquences des incidents liés aux agents neurotoxiques ?

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Le 24 mars 2018, les médias britanniques avaient déjà rapporté que les enfants avaient été emmenés à l’hôpital mais étaient indemnes, avant que les diplomates russes ne soient expulsés, et pas seulement après la publication de l’article sur le NYT en avril 2019.

Hier, Julian E. Barnes, auteur de l’article sur le NYT, s’est tourné vers Twitter pour présenter de longues “excuses” :

Julian E. Barnes @julianbarnes - 14:52 utc - 5 juin 2019
 
J'ai commis une erreur importante dans mon article sur Gina Haspel du 16 avril. Il a fallu un certain temps pour comprendre où je me suis trompé. Voici la correction: 1/9 [...]
Les renseignements sur les canards et les enfants étaient basés sur un rapport de renseignement préliminaire, selon des personnes familières avec le sujet. Les renseignements ont été présentés aux États-Unis dans le but de partager tout ce qui était connu, et non de tromper l'administration Trump. 7/9

Cette correction a été retardée, car il a fallu du temps pour mener à bien des recherches afin de comprendre ce qui m'était arrivé, comment je m'étais trompé et quelle était l'information correcte. 8/9

Je regrette l'erreur et présente mes excuses. Je m'efforce d'obtenir des informations correctes dès la première fois. C'est pour cela que les abonnés paient. Mais quand je me trompe, je répare. 9/9

Barnes couvre les questions de sécurité nationale et de renseignement pour le bureau du Times à Washington. Son travail dépend du bon accès aux “sources” dans ces cercles.

Il est remarquable que le porte-parole de la CIA n’ait jamais nié le rapport initial du NYT. Il n’y a eu aucune réaction visible à l’encontre de ce récit. Il est également remarquable que la correction intervienne au moment même où Trump est en visite d’État en Grande-Bretagne.

Le rapport original avait pour source “des personnes informées de la conversation”. La version corrigée est également basée sur “des personnes informées de la conversation” mais ajoute “une personne familière du renseignement”. Les “personnes” citées à l’origine racontent-elles maintenant une histoire différente ? Devons-nous faire confiance à une seule “personne familiarisée avec les renseignements” plus qu’à ces multiples “personnes” ? Quel genre de “recherche” le journaliste a-t-il fait pour corriger ce qu’il prétend lui avoir été dit par des “personnes”, au début et par la suite ? Pourquoi cette “recherche” a-t-elle pris huit semaines ?

Le fait que le «journal de référence» corrige à présent l’ «article publié» résout un gros problème pour Gina Haspel, la CIA / MI6 et le gouvernement britannique. Ils ne peuvent plus être accusés de manipuler Trump (même si nous pouvons être certains que de telles manipulations se produisent tout le temps).

En fin de compte, il appartient au lecteur de décider si le rapport original est plus vraisemblable que celui qui a été corrigé.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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