Par Andrew Korybko – Le 19 avril 2019 – Source eurasiafuture.com
Le ciblage de Cuba par l’administration Trump est tout à fait prévisible : il visera à faire monter la pression d’une Révolution de couleur sur le pays historiquement porte drapeau de la résistance pour l’hémisphère Ouest.
Le contexte cubain
L’administration Trump a annoncé une rupture avec les administrations précédentes : elle n’empêchera plus les citoyens étasuniens d’attaquer en justice les société étrangères en lien avec la nationalisation de 1959 à l’issue de la Révolution cubaine. La loi « Helms-Burton » de 1966 avait ouvert aux américains les moyens légaux d’ouvrir des différends en justice à ce sujet, mais elle s’était vue suspendue d’année en année par Clinton, Bush, puis Obama. Les USA vont également fortement diminuer les volumes financiers autorisés à l’envoi vers la nation insulaire, et prendre des mesures contre les « séjours pour raisons non familiales » vers Cuba ; récemment, de nombreux américains avaient profité de la « détente » décidée sous Obama pour voyager à Cuba, ce qui avait apporté des subsides importants à l’économie cubaine. Le pays communiste traverse en ce moment une transition systémique, qui le voit s’ouvrir peu à peu à l’économie mondiale, de par l’adoption de réformes douces mises en œuvre sous le nouveau Président : le vieil ennemi étasunien de l’ère de la Guerre froide est en ce moment particulièrement vulnérable aux mesures de déstabilisation venant de l’étranger.
La « Troïka de la tyrannie »
Les USA « justifient » ces décisions en arguant que le soutien de Cuba à fortement aidé le Venezuela à déjouer l’opération de changement de régime actuellement en cours, ciblant le président légitime et démocratiquement élu de la République bolivarienne ; il est vrai que le soutien cubain joue un grand rôle pour le Venezuela, ce qui constitue un sujet de fierté pour la plupart des Cubains et des Vénézuéliens, mais en regard agace les USA au plus haut point. Les ailes militaires et de renseignement de l’« État Profond » cubain disposent d’une expérience riche de plusieurs décennies dans l’hémisphère Ouest, et se sont révélées inestimables dans le soutien qu’elles ont apporté à leurs homologues bolivariens : c’est précisément pour cela que les USA ont qualifié l’an dernier ces deux pays, ainsi que leur allié du Nicaragua – également membre de l’ALBA – de « Troïka de la tyrannie », et l’administration Trump ne cache pas sa volonté de les renverser. Le Venezuela constitue indéniablement le poids lourd démographique et économique, et sa chute constituerait une catastrophe pour l’économie cubaine, dont la dépendance énergétique à l’égard des ressources pétrolières vénézuéliennes n’a fait que croître depuis le début du siècle. Une raison de plus pour la Havane, outre les motifs idéologiques évidents de sa démarche, de soutenir Caracas.
La prochaine à subir le couperet
Il est clair et net que Cuba est la prochaine sur la liste, l’anaconda étasunien étranglant toute forme de multipolarité en Amérique Latine : mais l’île n’a d’autre choix que de poursuivre la résistance par tout moyen à sa portée, et de continuer à soutenir ses alliés de l’ALBA, et le Venezuela en particulier. En contrepartie, cela pousse les USA à faire payer le prix fort à Cuba, au travers des dernières sanctions de facto qui frappent le pays. Plus en détail, la clause qui vient d’être décidée permettra aux étasuniens d’attaquer en justice des sociétés canadiennes, européennes, et d’autres pays, dès lors qu’elles seront soupçonnées de disposer de liens avec des zones territoriales cubaines anciennement privées et nationalisées en 1959. Washington pourra, dès lors qu’une société aura été jugée « coupable » par un tribunal étasunien, activer des « sanctions secondaires » par ses mécanismes d’« extraterritorialité du droit » contre ces mêmes entreprises (et cela pourrait aller jusqu’à leur interdire d’exercer toute activité sur le grand marché étasunien). De quoi exacerber la « guerre commerciale » et faire encore monter les tensions trans-atlantiques entre les USA et l’UE.
Ira-t-on de sanctions en Révolution de couleur ?
Les USA font le pari qu’à long terme, les sociétés étrangères susceptibles de subir les foudres de leur « extraterritorialité du droit » finiront par payer ou par cesser toute activité à Cuba. Dans cette dernière occurrence, les pertes induites pour l’activité commerciale à Cuba se combineraient avec les restriction de transferts de fonds, et catalyseraient une crise économique grave dans le pays, juste au moment sensible de sa transition systémique progressive. Il faut également bien évoquer que les Cubains, à l’instar des Iraniens, ont développé des espoirs totalement irréalistes sous la « détente » de l’administration Obama : l’équipe de Trump est tout simplement à l’œuvre pour tirer parti de ces attentes irréalistes, et d’en faire des armes pour provoquer des désordres de type Révolution de couleur. Mais comme les Iraniens toujours, les Cubains ont derrière eux une fière histoire de résistance et sont peu susceptibles de tomber dans ce piège en masse. Reste qu’il ne faut pas pour autant sous-estimer cette menace stratégique de Guerre hybride, surtout si le Venezuela devait tomber et que les subsides énergétiques du programme Petrocaribe de la République bolivarienne devaient se tarir au pire moment possible pour l’île.
Conclusions
Il ne fait aucun doute que Trump veut faire tomber une tête communiste, pour pavaner devant ses électeurs avant les élections de 2020 : le pari électoral stratégique en est que les Cubains et autres hispaniques présents en grand nombre dans l’État clé de Floride (et ailleurs aux USA), soutiendraient sa réélection si son administration pouvait réaliser un changement de régime contre la nation insulaire. En outre, faire tomber Cuba pourrait constituer la clé pour mettre à bas le Venezuela (et vice-versa, en fait) ; le Nicaragua constituant dès lors le dernier « déchet géopolitique », qu’il sera facile de gérer pour Trump. Ce dernier n’aurait alors plus qu’à vendre sa « Citadelle Amérique » comme clou de ses succès en politique étrangère, chose qui lui vaudrait une place dans les livres d’histoire, pour le meilleur ou pour le pire. Au final, l’avenir de la multipolarité dans l’hémisphère Ouest apparaît de plus en plus compromis, mais la Guerre hybride n’est pas encore finie, et beaucoup de scénarios restent possibles, malgré la noirceur que les événements ont pris récemment.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone
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