Contrairement à la Russie, le secteur privé américain a besoin de la Chine…


… ce qui rend la sinophobie difficile à vendre


Par Adam Garrie – Le 8 octobre 2018 – Source EurasiaFuture

La semaine dernière, un rapport du journal étasunien Bloomberg déclarait que l’armée chinoise avait implanté une petite puce dans le circuit de serveurs appartenant aux grandes entreprises de technologie américaine ayant des activités en Chine. Parmi les 30 entreprises qui auraient été espionnées par Beijing, les géants de la technologie Apple et Amazon faisaient partie des plus célèbres. Selon Bloomberg, la petite puce était capable d’espionner et de voler les secrets commerciaux et les données privées appartenant à une société américaine. Il n’y avait qu’un seul problème avec cette histoire : tant les accusés que les victimes supposées ont déclaré qu’elle était totalement fausse.

Amazon a publié une longue déclaration de Steve Schmidt, le directeur de la sécurité de l’entreprise, qui réfutait l’article à sensation dans sa totalité. La déclaration d’Amazon a qualifié l’article de Bloomberg d’« erroné », tout en affirmant qu’« il y a tellement d’inexactitudes dans cet article en ce qui concerne Amazon qu’elles sont difficiles à compter ». Apple a publié une déclaration encore plus longue, énumérant les multiples éléments où Bloomberg « s’est trompé » sur les opérations d’entreprise et de sécurité d’Apple et ses activités en Chine. Le ministère des Affaires étrangères à Beijing a également nié avec véhémence les allégations et regretté que la Chine soit si scandaleusement diffamée.

Même avant que les allégations soient démenties, le moment choisi par Bloomberg pour sa publication calomnieuse était immédiatement suspect, car il coïncidait avec la déclaration provocatrice du vice-président américain Mike Pence, affirmant que la Chine s’immisçait dans les élections aux États-Unis. Ainsi, tout le barrage d’affirmations sinophobes, dont aucune n’était étayée par des preuves, indiquent une nouvelle alliance entre certains organes de presse et des éléments du gouvernement autour d’un programme clairement provocateur visant à diaboliser la Chine aux yeux du public américain.

Si, ces deux dernières années, le monde a été témoin d’un feu roulant d’allégations non fondées contre la Russie provenant d’une combinaison du gouvernement, des médias grand public et même du secteur technologique américains, lorsqu’il s’agit de ce même secteur et d’autres parties vitales du grand secteur privé américain, la Chine est la responsable littérale et proverbiale. C’est le cas pour la simple raison que tandis que des entreprises étasuniennes ont relativement peu d’attaches significatives avec le marché russe, la Chine constitue une base des relations commerciales américaines modernes. En effet, la Chine représente maintenant le marché avec la plus grande parité de pouvoir d’achat (PPA), la base de consommateurs chinois est aujourd’hui plus importante pour le commerce international que la base des consommateurs américains. Au fur et à mesure que le PIB de la Chine dépassera progressivement celui des États-Unis, l’importance du marché intérieur chinois pour le commerce mondial deviendra encore plus grande ces prochaines années. En outre, la Chine reste un centre de production important pour de nombreux fabricants américains, tandis que le secteur chinois de la recherche et développement, en croissance exponentielle, devient une ressource inestimable pour les entreprises innovantes du monde entier.

De ce fait, tandis que de nombreuses entreprises américaines de technologie ont sauté dans le train de la russophobie, lorsqu’il s’agit de prendre le train sinophobe de Trump et Pence, il est certain que la Maison Blanche sera l’objet de fortes pressions de la part des entreprises américaines pour qu’elle cesse ces provocations économiquement et éthiquement dangereuses. Non seulement la Chambre de commerce américaine s’oppose à la guerre commerciale de Trump avec la Chine, mais des événements récents ont montré que les grandes entreprises de technologie américaines n’ont guère envie de sacrifier à des théories conspirationnistes anti-chinoises fondées sur des allégations caricaturales d’espionnage pratiqué par l’Armée populaire de libération.

De plus, les compagnies d’aviation Delta, United et American Airlines ont toutes défié Washington en modernisant leurs références et leurs codes pour les vols à destination de Taipei, afin de refléter de manière fidèle la politique d’une seule Chine. Au-delà des États-Unis, d’autres entreprises occidentales constatent aussi que de bonnes relations avec la Chine sont essentielles pour les affaires. En février de cette année, la grande marque automobile allemande Mercedes-Benz a publié une publicité destinée aux acheteurs de voitures chinois, qui citait un séparatiste anti-chinois basé en Inde. Constatant rapidement l’offense que cela avait représenté pour ses clients potentiels en Chine, Mercedes-Benz a rapidement publié des excuses et s’est engagée à mieux comprendre les caractéristiques culturelles chinoises.

Ainsi, alors que l’administration étasunienne actuelle est en train de dire à propos de la Chine ce que l’opposition a dit pendant des années de la Russie, la réponse de la communauté des affaires américaines ne pourrait pas être plus diamétralement opposée. Parce que les entreprises américaines ont peu à perdre à s’aliéner une base de consommateurs russes dont elles ont toujours été éloignées, des entreprises comme Apple, Facebook et Twitter ont contribué à attiser les flammes de la haine pour la Russie. Mais parce que les entreprises américaines risqueraient de perdre des milliards de dollars en s’aliénant les régulateurs, les clients et les développeurs chinois, les chercheurs et les scientifiques, le secteur privé ne peut se permettre de se joindre à Mike Pence et Donald Trump dans leur mépris de la Chine en absence de toute preuve d’un seul acte malveillant de la part de Beijing.

C’est pourquoi la campagne anti-chinoise de l’actuelle administration américaine a déjà rencontré un obstacle majeur. Pour le dire franchement, alors que certains politiciens pensent que les États-Unis peuvent survivre et prospérer en poursuivant des politiques unilatérales d’hostilité dirigées contre la Chine, les milieux d’affaires savent ce qu’il en est – ils connaissent la vérité.

Adam Garrie

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF