Par Robert Kogon − Le 16 juillet 2023 − Source Brown Stone
« L’État, c’est moi » – On attribue à Louis XIV cette expression. Thierry Breton, le commissaire au marché intérieur de l’UE fait écho à ces mots, en répétant à qui veut l’entendre ce lundi que « c’est moi le régulateur » en vilipendant les réseaux sociaux et en leur reprochant de « n’avoir pas assez agi » durant les récentes émeutes survenues en France. Et de les menacer de sanctions, voire d’interdiction, s’ils continuent de se montrer aussi inactifs après la date du 25 août 2023.
N’avoir pas assez agi, mais de quelle manière ? Il s’agit purement et simplement de censure : supprimer les contenus que la Commission européenne estime avoir été, d’une manière ou d’une autre, néfastes. D’où l’importance de la date du 25 août. Car ce jour marquera la date butoir désignée officiellement par la Commission européenne auprès des « très grandes plateformes en ligne » et auprès de deux « très grands moteurs de recherche en ligne ». À dater de ce 25 août, suivant le calendrier que nous allons exposer ci-après, ces instances devront se soumettre au Digital Services Act (DSA) de l’UE, précisément conçu pour « réguler » les contenus en ligne.
Le brillant et sémillant Thierry Breton a proféré ces remarques face à la radio publique France Info, et noté qu’à l’avenir, les entreprises gérant des réseaux sociaux devront se montrer pro-actives pour supprimer des contenus, sous peine de sanctions. « Lorsqu’il s’agit de contenus haineux, » affirme-t-il, « des contenus qui appellent, par exemple, à la révolte, ou qui appellent au meurtre – parce qu’on a vu des individus aussi exprimer cela – ils vont devoir les effacer sur-le-champ. S’ils ne font pas, ils seront sanctionnés sans délai. »
Breton n’a pas cité d’exemple spécifique de contenu appelant à la violence, et encore moins au meurtre. Mais chose intéressante, après que l’un des interviewers a essayé de manière répétée de désigner Twitter comme l’un des principaux contrevenants, Breton l’a rapidement corrigé en indiquant que les principaux contrevenants, selon la couverture de la presse française, étaient plutôt TikTok et Snapchat.
Au vu de la correspondance entre le profil démographique très jeune des émeutiers français et de celui des utilisateurs de TikTok et de Snapchat, il n’y a guère matière à la surprise. Qui plus est, les contenus qui ont été le plus largement cités comme circulant sur TikTok et Snapchat – et parfois repris à grande échelle jusque dans les médias français traditionnels (comme par exemple ici) – ne sont pas tant composés d’appels à la violence que d’une documentation vidéo des violences qui se sont déjà produites.
Cette prolifération de vidéos documentant sur les réseaux sociaux et applications de messagerie sur le niveau de violence atteint en France semble constituer la véritable cible de l’ire de Thierry Breton. De fait, le commissaire européen y a fait lui-même allusion, allant jusqu’à suggérer que les plateformes faisaient usage d’algorithmes pour pousser à la viralité ces contenus – comme si cela était nécessaire !
L’indulgence affichée par Breton envers Twitter n’a en outre rien de surprenant, car de nombreux observateurs (le présent auteur y compris) ont remarqué que les vidéos des violences qui se sont produites en France postées sur Twitter ont rapidement disparu. Cela suggère que Twitter a bel et bien agi de manière préventive pour supprimer ces contenus.
On peut se demander en passant quelle est exactement la justification derrière la suppression de documentations tout à fait authentiques de ces violences et destructions – il s’agit, après tout, d’une forme d’information, pas de « désinformation » – et l’on peut se demander si cela ne va pas déboucher sur un vide qui sera précisément comblé par des « fake news » montées de toutes pièces.
(Voir par exemple ce tweet au sujet de l’incendie d’une bibliothèque « Alcazar » à Marseille. Une « Note à la communauté » produite par Twitter indique à raison que la vidéo attachée au post est celle d’un autre bâtiment. Mais cette note omet d’indiquer qu’une petite bibliothèque municipale portant ce nom a bel et bien été incendiée par des émeutiers à Marseille.)
Quoi qu’il en soit, Breton indique s’être récemment rendu en Californie pour dérouler des « tests de stress » avec les entreprises de réseaux sociaux, pour assurer leur préparation à la date butoir de la loi DSA, et qu’il va se rendre en Chine la semaine prochaine pour discuter de ce même sujet avec TikTok. Soupesez bien l’ironie de la chose : un fonctionnaire de l’UE voyage en Chine pour s’assurer que l’entreprise chinoise se soumet bien à une loi de censure européenne !
Breton a également indiqué qu’au cours de sa visite en Californie, Mark Zuckerberg a confirmé qu’il allait « embaucher mille personnes » – sans doute pour assurer une censure humaine – afin d’assurer la conformité de Meta avec les lois de l’UE.
Quoi qu’il en soit, les journalistes de France Info ont douché l’enthousiasme manifesté par Breton, en indiquant que Meta n’a pas encore le moindre projet concret vis-à-vis de cette loi édictée par l’UE, et en se demandant si les régulations de l’UE ne pourraient pas rendre « nerveuses » certaines grosses sociétés technologiques.
En tous cas, il n’a pas tort d’affirmer que c’est lui, du moins la Commission européenne, qui est le régulateur. Car pour en revenir au parallèle avec Louis XIV, la loi DSA investit bel et bien la Commission de pouvoirs factuellement absolus pour déterminer les infractions à cette loi et appliquer des sanctions en cas de non-conformité.
Robert Kogon
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone