Ces documents prouvent que le jeu vidéo Call of Duty est une opération psychologique à l’initiative du gouvernement étasunien


Par Alan MacLeod − Le 18 novembre 2022 − Source Mint Press News

Call of Duty : Modern Warfare II est disponible à la vente depuis trois semaines à peine, mais ce jeu fait déjà des vagues. Dans les dix jours suivant sa sortie, ce jeu vidéo militaire de type first-person shooter a déjà généré plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaire. Pourtant, il est déjà l’objet d’importantes controverses, avec des missions mettant en jeu l’assassinat d’un général iranien clairement inspiré de Qassem Soleimani, un homme d’État et dirigeant militaire tué par l’administration Trump en 2020, ainsi qu’un niveau où le joueur doit abattre des « trafiquants de drogue » qui essayent de traverser la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

La franchise Call of Duty est un poids lourd en matière de divertissement, qui a déjà vendu pas loin d’un demi-milliard de licences de jeu vidéo depuis son lancement en 2003. Sa société de production, Activision Blizzard, est un géant de l’industrie, avec des jeux emblématiques comme Guitar Hero, Warcraft, Starcraft, Tony Hawk’s Pro Skater, Crash Bandicoot et Candy Crush Saga.

Pourtant, à regarder de plus près les personnes clés dirigeant l’entreprise et leurs liens avec l’appareil d’État étasunien, ainsi que les détails glanés depuis des documents obtenus en vertu du Freedom of Information Act, on comprend que Call of Duty n’a rien d’un first-person shooter neutre, mais constitue une œuvre de propagande militaire savamment construite, conçue pour servir les intérêts de l’État de sécurité national étasunien.

Complexe du militaro-divertissement

Il est depuis longtemps de notoriété publique que des espions étasuniens ont ciblé et pénétré les jeux d’Activision Blizzard. Les documents livrés par Edward Snowden ont révélé que la NSA, la CIA, le FBI et le département de la Défense étasunien ont infiltré les grands domaines virtuels comme World of Warcraft en créant des personnages imaginaires servant à surveiller les potentielles activités interdites et à recruter des informateurs potentiels. De fait, à un certain moment, on trouvait tellement d’espions étasuniens dans un seul jeu vidéo qu’il leur a fallu constituer un groupe d’« élimination des conflits » : ces espions perdaient leur temps à se surveiller mutuellement. La NSA a écrit que les jeux vidéos constituaient une « opportunité » et un « réseau de communication riche en cibles ».

Pourtant, les documents obtenus de manière tout à fait légale suivant le Freedom of Information Act par le journaliste et chercheur Tom Secker, et partagés avec MintPress News, montrent que les liens entre l’État de sécurité nationale et l’industrie des jeux vidéos dépassent largement ce niveau, et relèvent de la collaboration active.

Par exemple, au mois de septembre 2018, l’Air Force des États-Unis a amené par avion un groupe de dirigeants de l’industrie du divertissement — parmi lesquels Coco Francini, le producteur de Call of Duty pour Activision Blizzard, jusqu’à son siège à Hurlburt Field, en Floride. La raison explicite de cette invitation, écrite par l’armée de l’air des États-Unis, était de « mettre en avant » son matériel et de faire des membres de l’industrie du divertissement des « avocats crédibles » de la machine de guerre étasunienne.

« Nous avons tout un tas de gens qui travaillent sur des superproductions à venir (pensez à Marvel, Call of Duty, etc) qui sont tout contents de ce voyage ! » a écrit un responsable de l’armée de l’air. Un autre courriel indique que l’objet de la visite était de fournir aux producteurs de « gros succès » une « immersion dans l’AFSOC (Air Force Special Operations Command), centrée sur les tactiques spéciales des aviateurs et les capacités air-sol. »

« Il s’agit d’une superbe opportunité d’éduquer cette communauté et de faire de ses membres des avocats plus crédibles en notre faveur dans les productions de films/de télévision à venir au sujet de l’Air Force et de notre communauté », a écrit le chef des relations avec la communauté de l’AFSOC.

Francini et d’autres se sont vus montrer des hélicoptères CV-22 et des avions AC-130 en action, qui ont chacun été mis en œuvre lourdement dans les jeux Call of Duty.

Pourtant, la collaboration de Call of Duty avec l’armée remonte bien plus loin. Les documents montrent que le Corps des Marines des États-Unis [USMC — United Stated Marine Corps] a été impliqué dans la production de Call of Duty : Modern Warfare 3 et de Call of Duty 5. Les producteurs du jeu ont approché l’USMC au cours d’une convention sur le divertissement de 2010 à Los Angeles, demandant un accès à des aéroglisseurs (des véhicules qui sont ensuite apparus dans le jeu). Les dirigeants de Call of Duty 5 ont également demandé à utiliser un aéroglisseur, un char et un aéronef C-130.

Cette collaboration s’est poursuivie en 2012 avec la publication de Modern Warfare 4, où des producteurs ont demandé l’accès à toutes sortes de véhicules aériens et terrestres.

Secker a affirmé à MintPress qu’en collaborant avec l’industrie du jeu vidéo, l’armée s’assure de disposer d’un portrait positif pouvant l’aider à atteindre des cibles de recrutement, affirmant que :

Pour certaines catégories de joueurs, il s’agit d’un portail de recrutement, certains first-person shooters ont des publicités intégrées directement dans le jeu… Et même en l’absence de cette sorte de tentative de recrutement explicite, des jeux comme Call of Duty font paraître la guerre comme une partie de plaisir exaltante, une échappée de leur vie normale pénible. »

Le documentaire de Secker, « Théâtres de Guerre : Comment le Pentagone et la CIA se sont emparés de Hollywood » est paru en début d’année 2022.

Il est clair que l’armée a eu une influence considérable sur la direction des jeux Call of Duty. En 2010, les producteurs du jeu ont approché le Department of Defense (DoD) pour obtenir de l’aide sur un jeu se déroulant en 2075. Mais la liaison du DoD a « exprimé ses préoccupations à l’idée que le scénario envisagé puisse impliquer une future guerre contre la Chine. » Par conséquent, Activision Blizzard s’est mis à « considérer d’autres conflits possibles pour concevoir le jeu. » En fin de compte, en raison pour partie d’objections de la part de l’armée, le jeu a été abandonné pour de bon.

De la guerre contre la Terreur aux first-person shooters

Non seulement Activision Blizzard travaille-t-elle main dans la main avec l’armée étasunienne pour concevoir ses produits, mais son conseil de direction est également rempli d’anciens hauts-dirigeants de l’État. Au tout premier rang d’entre eux, on trouve Frances Townsend, principale représentante et qui a, jusqu’au mois de septembre, occupé le poste de chief compliance officer et d’executive vice president for corporate affairs.

Avant de rejoindre Activision Blizzard, Townsend a passé sa vie à monter les échelons de l’État de sécurité nationale. En 2004, après qu’elle a occupé le poste de directrice du renseignement pour les Gardes Côtes et d’adjointe au contre-terrorisme de la secrétaire d’État Condoleezza Rice, le président Bush l’avait nommée à son Groupe de Conseil du Renseignement.

Townsend, au titre de conseillère la plus haut-placée de la Maison-Blanche sur le terrorisme et la sécurité nationale, a travaillé étroitement avec Bush et Rice, et est devenue l’un des visages de la Guerre contre la Terreur menée par cette administration. L’une de ses principales réussites a été de forcer le grand public étasunien à un état de crainte constant face à la menace supposée d’attaques menées par Al-Qaeda (qui ne se sont jamais produites).

Avant de rejoindre Activision Blizzard, Frances Townsend a travaillé pour la Sécurité Nationale et le Contre-terrorisme pour la Maison-Blanche de Bush. Ron Edmonds | AP

Dans le cadre de son travail, Townsend a contribué à populariser le terme de « techniques d’interrogation améliorées » — un euphémisme de l’ère Bush désignant la torture des prisonniers. Pire encore, le lieutenant-colonel Steven L. Jordan, officier en chargé de la célèbre prison d’Abu Ghraib, a affirmé que Townsend avait fait pression sur lui pour faire monter la cadence du programme de torture, en lui rappelant « à de très nombreuses reprises » qu’il lui appartenait d’améliorer les renseignements en provenance de la prison irakienne.

Townsend a réfuté ces allégations. Elle a également condamné par la suite le « menottage » et les « humiliations » autour d’Abu Ghraib. Cependant, elle ne faisait pas référence aux prisonniers. Au cours d’une interview avec CNN, elle s’est plainte de ce que « ces professionnels de carrière » — les bourreaux de la CIA — ont été sujets « aux humiliations et à l’opprobre » après que des détails de leurs actions ont été rendus publics, indiquant que les administrations à venir allaient se trouver « menottées » par la crainte d’une mauvaise presse, et que la communauté du renseignement allait devenir plus « hostile au risque ».

Au cours de l’administration Trump, Townsend a reçu des pistons importants pour devenir directrice des Renseignements Nationaux ou Secrétaire de la Sécurité Intérieure. Le président Trump l’avait également approchée pour le rôle de directrice du FBI. Au lieu de cela, Townsend a fait connaître à sa carrière un détour apparemment incongru, pour se positionner comme dirigeante d’une société de jeux vidéos.

Entrent en jeu les planificateurs de guerre

Outre son nouveau poste, Townsend dirige une instance relevant de l’OTAN, l’Atlantic Council, comme directrice du Conseil des relations étrangères, et est administratrice du Center for Strategic and International Studies, un groupe de pression de faucons que MintPress News a déjà décrit en détail.

Fondé par les entreprises d’armement, l’OTAN et le gouvernement étasunien, l’Atlantic Council tient lieu de groupe d’experts de l’alliance militaire, en discutant des stratégies pour gérer au mieux le monde. Figurent également à son conseil de direction des hautes personnalités comme Henry Kissinger et Conzoleezza Rice, pratiquement tous les généraux en retraite des États-Unis, et pas moins de sept anciens directeurs de la CIA. À ce titre, l’Atlantic Council représente l’opinion collective de l’État de sécurité nationale.

Deux membres clés du personnel de Call of Duty travaillent également pour l’Atlantic Council. Chance Glasco, co-fondateur d’Infinity Ward qui a supervisé la montée rapide de la franchise, est le membre senior non-résident du Conseil, et conseille les hauts généraux et les dirigeants politiques sur les derniers développements technologiques.

Dave Anthony, un concepteur de jeu et producteur, central dans la réussite de Call of Duty, est également employé par l’Atlantic Council, qu’il a rejoint en 2014. Il apporte des conseils au groupe sur ce à quoi ressembleront les guerres à l’avenir, et discute des stratégies pour les combats de l’OTAN dans les conflits à venir.

Anthony n’a pas fait secret du fait qu’il collaborait avec l’État de sécurité nationale étasunien en établissant la franchise Call of Duty. « Mon plus grand honneur a été de consulter le lieutenant colonel Oliver North sur le scénario de Black Ops 2, » a-t-il affirmé publiquement, ajoutant « Il y avait tant de petits détails que nous n’aurions pas pu connaître sans son implication. »

Oliver North est un haut-dirigeant du gouvernement, qui s’est fait connaître mondialement pour son infamie après avoir été condamné pour son rôle dans l’affaire Iran-Contra, qui a vu son équipe vendre en secret des armes au gouvernement iranien, et utiliser l’argent pour armer et entraîner des escadrons de la mort fascistes en Amérique Centrale — des groupes qui ont essayé de renverser le gouvernement du Nicaragua et ont mené des vagues de massacres et de nettoyage ethnique au cours de ce processus.

Des Républicains à recruter

Autre embauche méritant d’être soulignée, le chief administration officer d’Activision Blizzard, Brian Bulatao. Ancien capitaine puis consultant pour McKinsey & Company il a, jusque 2018, tenu le poste d’agent de renseignement en chef pour la CIA, ce qui le positionnait comme numéro trois de l’agence. Lorsque Mike Pompeo, directeur de la CIA, a été muté au poste de secrétaire d’État pour Trump, Bulatao l’a suivi, et a été nommé sous-secrétaire d’État pour l’administration.

À ce poste, selon certaines sources, il a été le « chien d’attaque » personnel de Pompeo, d’anciens collègues l’ayant décrit comme un « tyran » qui a amené un « nuage d’intimidation » sur ce lieu de travail, faisant pression de manière répétée sur ses collègues pour ignorer des événements potentiellement illégaux se produisant au sein du département. On ne sait donc pas vraiment si Bulatao a été l’homme qui convient pour améliorer l’environnement de travail « toxique«  qui régnait à Activision Blizzard et s’il n’est pas a l’origine du départ en masse de dizaines d’employés au cours de l’été 2022.

Après la défaite électorale de l’administration Trump, Bulatao avait quitté le Département d’État pour rallier les plus hauts échelons d’Activision Blizzard, malgré une absence totale d’expérience dans l’industrie du divertissement.

Trump en compagnie de l’agent en chef des opérations de la CIA, Brian Bulatao, au siège de la CIA, le 21 mai 2018, à Langley, Va. Evan Vucci | AP

Le troisième dirigeant républicain de haut-niveau recruté par Activision Blizzard est Grant Dixton. Entre 2003 et 2006, Dixton a tenu lieu de conseiller associé au président Bush, et l’a conseillé sur un grand nombre des activités légales les plus controversées de son administration (comme la torture et l’expansion rapide de l’État de surveillance). Avocat de profession, il a ensuite travaillé pour Boeing, le fabricant d’armes, et s’est élevé au poste de vice-président, conseiller général et secrétaire général. Au mois de juin 2021, il a quitté Boeing pour rallier Activision Blizzard au poste de chief legal officer.

Parmi d’autres dirigeants d’Activision Blizzard disposant d’expérience en matière de sécurité nationale, on trouve le vice-président et directeur informatique Brett Wahlin, qui a été un agent de contre-renseignement de l’armée des États-Unis, et le chef d’État-major Angela Alvarez qui a jusque 2016 occupé le poste de spécialiste des opérations chimiques de l’armée.

Le fait que le même gouvernement qui infiltrait les jeux il y a 10 à 15 ans dispose désormais d’un aussi grand nombre d’anciens dirigeants contrôlant les entreprises de jeux vidéos pose des questions graves au sujet de la vie privée et du contrôle de l’État sur les médias, et reflète la pénétration par l’État de sécurité nationale des réseaux sociaux qui s’est produite sur la même période.

Jeux de guerre

Ces connexions profondes avec l’État de sécurité nationale étasunien peut contribuer à expliquer pour partie les raisons pour lesquelles, des années durant, de nombreuses personnes se sont plaintes de la propagande pro-étasunienne étalée de manière patente dans les jeux vidéos.

La dernière mouture, Call of Duty : Modern Warfare II, ne fait pas exception. Au cours de la première mission assignée au joueur, celui-ci doit lancer une attaque de drone contre un personnage du nom de Général Ghorbrani. La mission est de toute évidence une re-création de l’attaque de drone de 2020 menée de manière illégale contre le général iranien Qassem Soleimani — le général présenté dans le jeu présente une ressemblance frappante avec Soleimani.

La dernière version du jeu Call of Duty fait assassiner par le joueur un certain général Ghorbrani, référence nébuleuse au général iranien Qassem Solemani, dont la photo se trouve à droite.

Call of Duty: Modern Warfare II présente de manière ridicule le général comme étant sous la coupe des Russes et affirme que Ghorbrani « apporte de l’aide aux terroristes ». En réalité, Soleimani était la force clé mettant en défaite le terrorisme menée par État Islamique au Moyen-Orient — des actions pour lesquelles les médias occidentaux l’ont qualifié de « héros ». Des sondages menés par les États-Unis ont montré que Soleimani était possiblement le dirigeant le plus populaire du Moyen-Orient, avec plus de 80% des Iraniens qui entretenaient une opinion positive de sa personne.

Juste après son assassinat, le Département d’État de Pompeo avait fait planer le mensonge en disant que la raison pour laquelle Soleimani avait été assassiné était qu’il était sur le point de mener une attaque terroriste contre des Étasuniens. En réalité, Soleimani se trouvait à Baghdad, en Irak, pour mener des pourparlers de paix avec l’Arabie Saoudite.

Ces négociations auraient pu déboucher sur la paix entre les deux nations, une chose que le gouvernement étasunien ne peut accepter d’envisager à aucun prix. Le premier ministre irakien de l’époque, Adil Abdul-Mahdi, a révélé avoir demandé personnellement au président Trump la permission d’inviter Soleimani. Trump avait donné son accord, et avait ensuite utilisé cette opportunité pour procéder à son assassinat.

Ainsi, au moment-même où Activision Blizzard recrute de hauts-dirigeants du département d’État à ses plus hauts postes, ses jeux célèbrent les assassinats les plus controversés de ce même département d’État.

Et ce n’est pas du tout la première fois que Call of Duty a donné pour instruction à de jeunes joueurs impressionnables de tuer des dirigeants étrangers. Dans Call of Duty Black Ops (2010), les joueurs doivent mener une mission visant à assassiner Fidel Castro, le dirigeant cubain d’alors. Si le joueur parvient à lui mettre une balle dans la tête, il reçoit pour récompense une scène vidéo horrible à vitesse lente, et reçoit un trophée en bronze « Mort aux Dictateurs ». Ainsi, le joueur est contraint de mener à bien numériquement une chose que Washington à échoué à réaliser à plus de 600 occasions.

Une mission de « Call of Duty : Black Ops » fait assassiner par des joueurs un Fidel Castro preneur d’otages.

De même, Call of Duty: Ghosts, se déroule au Venezuela, où le joueur se bat contre le général Almagro, un dirigeant militaire socialiste clairement basé sur l’ancien président Hugo Chavez. À l’instar de Chavez, Almagro porte un béret rouge, et utilise la richesse pétrolière du Venezuela pour forger une alliance de nations latino-américaines face aux États-Unis. Washington a essayé à de nombreuses reprises de renverser Chavez et son successeur, Nicolás Maduro. Au cours de la sixième mission du jeu, le joueur doit tirer sur Almagro pour le tuer, à faible distance.

La propagande anti-russe est également portée à son paroxysme dans Call of Duty: Modern Warfare (2019). L’une des mission reproduit le tristement célèbre incident de l’Autoroute de la Mort. Au cours de la première guerre en Irak, des forces dirigées par les États-Unis ont piégé des soldats irakiens fuyant sur l’Autoroute 80. Il s’ensuivit ce que le président des chefs d’État-major de l’époque, Colin Powell, décrivit comme un « meurtre injustifié«  et un « massacre au seul but de massacrer », l’armée étasunienne et ses alliés ouvrant le feu sur le convoi pendant des heures, tuant des centaines d’hommes et détruisant des milliers de véhicules. Il a également été rapporté que l’armée étasunienne tira sur des centaines de civils irakiens et sur des soldats qui se rendaient.

Call of Duty : Modern Warfare reproduit cette scène pour en tirer un effet dramatique. Mais dans la version du jeu, ce n’est pas l’armée étasunienne qui est responsable de la tuerie, mais celle des Russes, ce qui revient à blanchir un crime de guerre en accusant des ennemis officiels.

Une mission du jeu « Call of Duty : Modern Warfare » fait reproduire au joueur la tristement célèbre autoroute de la mort

« Call of Duty, en particulier s’est fait remarquer pour sa tendance à rejouer des événements réels en tant que missions de jeu, mais en les modifiant à des fins géopolitiques, » a affirmé Secker à MintPress au sujet de l’Autoroute de la Mort, et d’ajouter :

Dans une culture où l’exposition de la plupart des gens aux jeux vidéos (et aux films, aux émissions télévisuelles, etc) est bien plus importante que leur connaissance des événements historiques et contemporains, ces manipulations contribuent à façonner les réactions émotionnelles, intellectuelles et politiques des joueurs. Cela contribue ainsi à faire d’eux des soutiens du militarisme en général, même s’ils ne s’engagent à rien de manière formelle.

Le dernier ouvrage de Secker, « Superhéros, films, et État : Comment le gouvernement des États-Unis fabrique des univers cinématiques » est paru cette année.

Fin du jeu

Dans l’ère digitale contemporaine, les mondes de la guerre et du jeu vidéo se ressemblent de plus en plus. De nombreux observateurs ont commenté les similarités entre le pilotage de drones dans la vraie vie et dans des jeux tels que Call of Duty 4 : Modern Warfare. Le prince Harry, qui a été mitrailleur sur un hélicoptère en Afghanistan, a décrit sa « joie » de tirer des missiles sur les ennemis. « Je suis l’une de ces personnes qui adore jouer sur PlayStation et sur Xbox, et j’aime à penser qu’avec mes pouces, je peux me montrer plutôt utile, » a-t-il affirmé. « Si des gens essayent de s’en prendre à nos gars, nous allons les sortir du jeu, » a-t-il ajouté, en comparant explicitement les deux activités. L’armée des États-Unis contrôle même des drones au moyen de contrôleurs Xbox, ce qui rend encore plus floues les lignes entre les jeux de guerre et la réalité.

L’armée a également produit directement des jeux vidéos à titre d’outils promotionnels et de recrutement. L’un des jeux de l’US Air Force s’appelle Airman Challenge. Il met en scène 16 missions à réaliser, et est entrecoupé d’informations factuelles sur la manière de devenir opérateur de drones. Dans ses dernières tentatives de rendre attirant le service actif auprès des jeunes gens, le joueur est amené au fil des missions à escorter des véhicules étasuniens dans des pays tels que l’Irak et l’Afghanistan, livrant la mort depuis le ciel à quiconque est désigné comme « insurgé » par le jeu.

Le joueur remporte des médailles et des honneurs lorsqu’il parvient à détruire des cibles en mouvement. Pendant toute la durée du jeu, un gros bouton « Postulez dès maintenant » apparaît à l’écran si le joueur a envie de s’enrôler et de mener de véritables frappes de drones au Moyen-Orient.

Les forces armées des États-Unis utilisent la popularité des jeux vidéos pour recruter massivement dans la population des jeunes gens, en sponsorisant des tournois de jeux, en déployant leur propre équipe d’Esport, en essayant de recruter des adolescents sur des sites de diffusion de vidéos comme Twitch. La plateforme, qui appartient à Amazon, a dû finir par sévir contre cette pratique après que l’armée s’est mise à distribuer de faux prix et récompenses attirant le jeune public impressionnable vers ses sites interne de recrutement.

Les jeux vidéos constituent des entreprises très importantes financièrement et un centre colossale de soft power et d’idéologie. Ce média propage une propagande particulièrement efficace, car les enfants et adolescents les consomment, souvent sur des semaines ou des mois en temps cumulé, et parce qu’il s’agit de divertissements légers. De ce fait, le joueur ne se protège pas comme il le ferait s’il avait à écouter parler un homme politique. Les universitaires ont souvent tendance à négliger le pouvoir des jeux vidéos, du fait de la supposée frivolité de ce média. Mais c’est cette notion même, voulant que ces jeux constituent une source d’amusement sans importance, qui leur rend d’autant plus puissants.

La franchise Call of Duty est particulièrement remarquable, non seulement par les messages qu’elle porte, mais du fait de l’identité des messagers. De plus en plus, les jeux semblent à peine dépasser le contenu d’une propagande étasunienne se cachant en jeu de type first-person shooter. Pour le joueur, il s’agit simplement de jouir du divertissement qui se déroule à un rythme très soutenu. Mais pour ceux qui travaillent à produire ces contenus, l’objectif n’est pas uniquement de gagner de l’argent ; il s’agit bien de se mettre au service de la machine de guerre impériale.

Alan MacLeod est Senior Staff Writer pour MintPress News. Après avoir obtenu une thèse en 2017, il a fait paraître deux livres : Mauvaises Nouvelles du Venezuela : Vingt Années de Fake News et Mauvaises Informations et Propagande à l’Age de l’Information : la Fabrication du Consentement se poursuit, ainsi que de nombreux articles académiques. Il a également contribué à FAIR.org, The Guardian, Salon, The Grayzone, Jacobin Magazine, et Common Dreams.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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